Aime-moi Mamour

T'SULTANE

Pour oublier l’évocation de l’angoisse de ces temps troublés où le monde a redouté le pire, quelques pages de détente concernant une compagne à quatre pattes.


Tandis que se sont écoulés les temps moroses des trois années du «sanatorium Chemin Manot», et celles, radieuse, de ma convalescence au 14 rue Bollaert, j’ai eu chaque jour l’occasion de me louer du dévouement et de l’amour sans défaillance de ma tendre et dévouée épouse.

Toutefois, il serait injuste d’oublier dans les raisons de mes bonheurs revenus, la présence affectueuse de ma superbe chienne, T’Sultane…

En effet, ma T’Sultane mérite bien quelques pages, car elle a été pendant près de dix sept ans ma compagne oh combien fidèle...

Elle est de la race royale des chiens, le berger allemand ! Race directement issue de certains loups, qui, un jour, ont accepté de vivre avec l’homme... C’est pour moi le plus beau de tous les chiens. Le plus noble et le plus intelligent. Le plus pur génétiquement : Tous les autres ont été plus ou moins « fabriqués » - au prix de croisements volontaires pour en stabiliser les caractéristiques – pour obtenir des espèces nouvelles propres à un usage bien déterminé : Molosses contre les prédateurs. Chasseurs, avec toutes les variétés de "courants", "couchants" ou bassets, et tant d’autres...

Nulle autre chien n'a la fierté de son port de tête, les remarquables proportions, la fourrure somptueuse identique à celle de ses plus anciens ancêtre.

Ma T'Sultane est superbe, de la truffe noire de son museau, jusqu’au panache sombre de sa queue. Légèrement plus haute au garrot que de croupe, pattes avant longues et fines, train arrière puissant, arqué vers l'avant pour mieux bondir.

Il se dégage de sa silhouette une impression de puissance potentielle redoutable, que tempère, ou accroît selon son humeur, une expression du regard et de la gueule, qui ne peuvent que séduire ou inquiéter.

Robe noire de tête, dos, flancs et queue, son ventre, cou et pattes sont beiges. Teintes parfaitement dégradées, depuis le sombre du haut, jusqu'au clair du dessous de son poitrail et de l'extrémité des membres. En outre, une qualité de toison brillante, qui s'allume de reflets rapides dans l'action, vraiment magiques.

Que dire de sa stature, de son allure, de sa démarche, pas, trot ou course, si ce n'est que c'est un ravissement pour l'œil de la voir évoluer ! Que sa charge – pour le jeu ou pour l’attaque - est impressionnante de soudaineté et de vitesse ! Le nombre des chats du voisinage qu’elle a "escagassés" en quelques secondes, en témoigne.

Quant à son aptitude au saut, un mur de deux mètres est pour elle une aimable distraction…

L'été, la grosse chaleur n'est pas de son humeur, tandis que l'hiver, et surtout la neige, ont toutes ses faveurs : Il faut alors la voir évoluant dans la campagne blanchie, s'enfonçant jusqu'au poitrail, lapant les flocons avec gourmandise. Retrouvant ses réflexes d'animal sauvage pour disparaître de notre vue, puis, après un long détour, nous bondir soudain dans le dos, à notre plus grande surprise !

Pendant les longs mois de solitude et de bagarre avec le clan Y.V., elle fut ma compagne fidèle, blottie à mes pieds sous mon bureau, ou sur le siège de droite de ma voiture pendant mes déplacements.

C'était "sa" place, et malheur à qui voulait se l'approprier ! Je me souviens qu'un jour, où lui ayant ordonné de libérer le siège passager pour faire place à une compagnie de rencontre, elle profitera d'un moment d'inattention de ma part pour prendre dans sa gueule aux grands crocs blancs, la nuque gracile de mon amie, en grondant de façon redoutable...

Celle-ci, ayant connu une peur bleue, me donnera à choisir :

-"Ce sera "elle" ou moi !

Bien sûr, ce sera ma T’Sultane favorite que je choisirai…

Sa plus grande joie, quand l'occasion s’en présentait, consistait à terroriser un visiteur imprudent sur lequel elle se précipitait comme un fauve, en hurlant avec férocité, l'obligeant à se maintenir aussi immobile qu'une statue...

Il y avait des gens qu'elle ne pouvait supporter d’instinct... C'était définitif, aucune flatterie ni gâterie ne pouvait la faire changer d’avis. Elle se trompait d'ailleurs rarement, me désignant ainsi les personnes dont je devais me méfier.

Ses amours furent de véritables comédies... Elle refusait avec mépris et méchanceté les superbes mâles - dotés pourtant des meilleurs pedigrees - surtout lorsqu’ils venaient d’être toilettés... En revanche, ceux qui avaient eu l'heureuse idée quand ils lui faisaient la cour, de s’être roulé auparavant dans la boue ou les plus vils excréments, comblaient tous ses vœux !

Mais elle ne leur cédait qu'après les avoir presque épuisés de refus soudains, de volte-face brusques, de courses éperdues pendant des heures...

Si je l'avais écoutée, elle aurait volontiers jeté son dévolu sur les pires cabots, clochards et bâtards, de préférence de petite taille !

Quand elle rentrait de certaines de ses escapades encanaillées - qui n’eurent heureusement jamais aucune suite - elle prenait des allures de fille coupable, faussement repentante, toute en flatteries...

Dans cette situation, elle avait un talent tout particulier pour se faire pardonner : Elle rampait humblement à mes pieds, m'obligeant ainsi à me pencher en avant pour la caresser. Alors elle se redressait d'un élan pour me nettoyer le visage, de bas en haut, de toute la largeur de la langue humide en quelques instants !

Après cet hommage d'allégeance mouillée, elle se considérait comme absoute, et reprenait son comportement habituel, fait de dignité et de grâce naturelles.

Elle eut deux très belles nichées de cinq chiots de pure race, au temps de la grande maison d'Avion... Ce furent les deux seules périodes où elle m'abandonnera, toute entière occupée à soigner sa progéniture. Plus féroce que jamais aux étrangers, intraitable dans son territoire dont elle seule avait délimité les frontières.

Son extrême tolérance envers ses petits ne dépassait pas les six mois, Au delà, elle rappelait alors à l'ordre sévèrement les plus indisciplinés, puis les rejetaient sans tendresse.

Un de ses fils fut célèbre : Uhlan. Mon père l’avait choisi et adopté en raison de sa force et sa vigueur précoces. Ce sera un chien tout à fait exceptionnel pour sa beauté, sa bonté, et surtout sa taille extraordinaire : Je n'ai jamais rencontré un berger allemand d'une telle stature, presque celle d'un doberman !

T'Sultane – je l’ai déjà dit - avait un vice incorrigible : La haine des chats ! Rien, ni les menaces, ni les rappels, ni les coups de cravache, ne la raisonnait.

Quand on la sortait dans les rues, elle se laissait traîner, hypocritement, en arrière, et trouvait le moyen de sortir la tête de son collier, ayant traîtreusement gonflé son cou pour que celui-ci ne soit pas trop serré…

Dès lors, bien que sachant la correction qu'elle allait mériter, elle commençait sa chasse au matou... Avec un flair infaillible, elle avait tôt fait de dénicher l'ennemi... S'ensuivait une course effrénée, dans un vacarme de cailloux, feuilles, cris aigus, qui se terminait immanquablement par un : "Mi-a- oû-oû", désespéré et définitif !

Elle revenait alors, en rampant, le mufle au ras du sol, oreilles couchées, queue traînante... Le nombre de malheureux minets et minettes qui furent les victimes de sa vindicte et de ses redoutables mâchoire, empoisonna mes rapports avec tous les voisins qui avaient eu la malencontreuse idée de laisser sortir de chez eux leur animal favori !

Un autre de ses plaisirs consistait à terroriser un autre chien... D'instinct, elle prenait alors la démarche du loup, avançant en biais, rasant la terre, de plus en plus vite, jusqu'à bondir enfin, gueule ouverte, sur sa victime hurlant de terreur... Celle-ci se roulait à terre, offrant sa gorge en signe de soumission, perdant son eau...

Alors, T'Sultane se délectait... Tous crocs sortis, rictus méchant, poils de l'échine hérissés, grondements menaçants, elle maintenait l'autre, autant de temps qu'il lui plaisait dans cette humiliante position... Puis, avec mépris, elle détournait la tête, ignorant la fuite du poltron...

Par contre, plus tard, sa douceur, sa patience avec mes jeunes enfants sera remarquable : Elle se laissait martyriser par leurs petites mains, sans jamais manifester le moindre geste de mauvaise humeur. Compagne assidue de leurs jeux, sans aucune brutalité.

Elle mourut très âgée, dans une grande discrétion : Quand elle sut que l'heure approchait, elle disparu dans un buisson au fond de notre jardin de la rue Bollaert… Où je la retrouverai le lendemain, le corps déjà rigidifié…

Son départ me causera une peine profonde...

Dois-je l’avouer ? J’ai pleuré !

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 18:50:45.
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