Un fils unique d'après guerre (1920 - 1939)

Les années du déclin de la France...

Années sombres, exceptionnelles en raison des menaces sur la paix de l’Europe, parfaitement enregistrées dans ma mémoire. Ressenties en parfait accord d’inquiétude avec mes trois fidèles camarades.

Pour nous ces années 1936-1937 seront inoubliables car nous constaterons avec une angoisse grandissante l'accélération de la montée irrésistible de la puissance militaire de l'Allemagne nazie, et des audaces coloniales de son allié, le « duce » italien.

Parallèlement, avec colère, nous constaterons la stérilité débilitante des luttes politiciennes démagogiques menées par la gauche pour conquérir le pouvoir à tout prix. Au risque d'affaiblir le pays face à notre ennemi mortel renaissant! Et, en conséquence, la passivité humiliante de notre pays face aux insolences et violations de traités des deux dictateurs Hitler et Mussolini.

Surtout parce que maintenant se profile à l'horizon le spectre hideux d'une nouvelle guerre contre le pays que nous avons vaincu en1919! Guerre qu’il nous semble encore possible d'éviter par une intervention militaire préventive outre-Rhin immédiate, pendant que nos armées ont encore la supériorité du nombre et de l'armement.

Mais la faiblesse des gouvernements en place, l’absence dans l’arène politique française d'une "grande voix" nationale désignant les priorités absolues de la France, nous décevront infiniment! Tandis que les masses électorales semblent ne vouloir écouter que les sirènes de gauche qui promettent des avantages sociaux.

Survint alors le coup de tonnerre du 7 mars 1936. Hitler informa les signataires du pacte de Locarno, qu'il rompait celui-ci! Immédiatement, les troupes du Reich pénètrent dans la zone démilitarisée de la Rhénanie. Du jour au lendemain, Strasbourg était à portée des canons allemands!

Rarement j'assisterai à une telle colère de mon père! Une véritable fureur dont je ne l'aurais jamais cru capable. Car il prévoyait, en raison de la mollesse du Gouvernement en place, notre absence de réflexe militaire immédiat : une intervention de nos troupes en territoire allemand. Réaction salvatrice qui aurait sans doute fait reculer le dictateur nazi, ainsi que le confirmera le dépouillement des archives allemandes cinquante ans plus tard.

Avec pessimisme, il nous rappela, une fois de plus, l'allégorie prophétique de l'instituteur de Bad Ems:

-"Mes enfants feront la guerre à vos enfants !

Pour moi et mes camarades, ce fut un jour de deuil, d'humiliation. D'autant plus que par la radio nous entendrons les harangues gutturales du dictateur allemand triomphant, fanatisant des multitudes qui l'ovationnent sans fin. Combien alors nous ressentions de la peur pour l'avenir !

Car désormais, l'éventualité à terme d'une nouvelle guerre provoquée par l'Allemagne, dès cette époque, va s'imposer à nous qui allions vers nos dix huit ans.

Un espoir, un peu fol, compte tenu de la mentalité ouvrière du moment, nous restait: l’énormité de l’événement et le risque flagrant d'un autre conflit, allait peut-être faire prendre conscience du danger au peuple français. Car justement, celui-ci va être appelé à élire de nouveaux députés.

Las, en dépit du péril mortel qui nous menaçait, les jeux politiques et syndicaux vont au contraire s'amplifier à la limite de l'inconscience, de la caricature de la démagogie!

De l'inconscience, en effet. Car pour nous, catholiques de cœur et d’esprit, bien évidemment, si le contexte international n'avait pas été aussi contraignant et dangereux pour la survie de la nation, nous aurions été les premiers à souhaiter une amélioration des conditions de vie des classes laborieuses dont nous faisions d'ailleurs nous-mêmes partie. D'autant plus que notre philosophie chrétienne est imprégnée par les paroles du Christ, défenseur des humbles et des faibles.

Mais nous sommes conscients que les usines, outre Rhin, tournent soixante heures par semaine, que celles d'armements font trois postes par jour. Que le Fuhrer réalise une à une toutes les étapes prévues dans son livre: "Mein Kampf": annulation du Traité de Versailles et Locarno, reconstitution de la puissance militaire germanique, annexion de toutes les régions de langue allemande en Europe centrale!

Comment peut-on être pareillement aveugle et sourd?

On le saura bientôt... Avec consternation nous allons prendre connaissance du résultat des élections législatives du 26 avril 1936. Les promesses de l'union électorale socialo communiste conduite par Léon Blum portera ses fruits... La pays s'abandonnera aux promesses inconséquentes, et oubliera les dangers d’une guerre probable! Elle choisira de donner le pouvoir au "Front Populaire" en élisant 378 députés de gauche contre 222 à droite!

Un bandeau sur les yeux, du coton dans les oreilles, dans une atmosphère de kermesse, le peuple dansera sur un volcan pour fêter sa victoire! Au même instant, les blindés italiens achèveront la conquête de l'Ethiopie, pénétrant même dans sa capitale Addis-Abéba. Quant à Hitler, en toute quiétude, il pourra installer ses divisions sur la rive droite du Rhin!

En dépit de sa victoire électorale et de la présence du leader socialiste Léon Blum à la tête du Gouvernement, la classe ouvrière, sur sa lancée, continuera à revendiquer, n’hésitant pas à plonger la France dans une situation de grève générale qui va complètement la paralyser.

Elle sera particulièrement sévère à la S.N.C.F. Les piquets de grève syndicaux seront intraitables. Je n'oublierai jamais ces trains de bestiaux immobilisés sur les voies de triage de la gare de Juvisy: de ces wagons s'élèveront les meuglements désespérés du bétail enfermé, sans eau ni nourriture, des jours durant...

Ce sera l'occasion d'une nouvelle victoire des syndicats ouvriers qui proclameront que "l'outil de travail" constitue la propriété des travailleurs, ainsi que l’avait réalisé l'Internationale ouvrière bolchevick en U.R.S.S...

Léon Blum cédera aux syndicats après six semaines d'arrêt de travail. Il leur accordera la semaine de quarante heures, trente pour cent d'augmentation de salaires, et deux semaines de congés payés par an !

Pratiquement, par rapport à nos voisins allemands, nous avions perdu deux mois de production d'armement, et désormais nous en fabriquerions, par semaine, trois fois moins! Veule et insouciante, la classe ouvrière fêtera sa nouvelle victoire dans l'allégresse, dansant toute la nuit Place de la Bastille!

Quelques semaines plus tard, presque en écho, la guerre civile éclatait en Espagne.

Depuis quelques années nous étions obligés de constater l'efficacité remarquable des régimes politiques dictatoriaux : Staline, Hitler, Mussolini, régimes dont nous réprouvons le principe. Mais nous sommes obligés d’admettre que notre système démocratique démontre dans les mêmes temps, toutes ses faiblesses et risques de perversions.

De plus, depuis l'arrivée du "Front Populaire", il nous apparaît de plus en plus évident que la masse ouvrière, dans ses aspirations légitimes de mieux être, a oublié les grands principes traditionnels qui ont fait la grandeur du pays: esprit patriotique désintéressé, religion, famille, travail.

Alors nous nous perdons en hypothèses de philosophies politiques possibles, qui toutes excluent une dictature brutale, en vain. Seul recours, nous semble-t-il, un personnage patriote et autoritaire, du type Gambetta ou Clemenceau, capables de susciter le grand réveil national. Personnages à venir, car finalement le Colonel La Rocque n'a pas répondu à nos espoirs, et d'autre part, tous les leaders politiques actuels: Blum, Chautemps, Herriot ou Daladier, nous apparaissent comme des pantins politicards !

Seul de nous quatre, Robert, aux certitudes royalistes, est fermement convaincu de détenir la suprême solution. Il applaudit sans réserve au soulèvement nationaliste du Général Franco en Espagne, qui est soutenu par l'église catholique espagnole et les mouvements monarchistes. Ce militaire s’est dressé contre les excès des désordres, grèves et émeutes qui désorganisent son pays; contre une tentative d’inféodation au système soviétique du gouvernement dit républicain - en fait socialo communiste - actuellement au pouvoir ; contre la déchristianisation voulue par les autorités.

Notre petit groupe d'amis, jusqu'alors si unanime, sera quelque peu déstabilisé. Robert jugé trop excessif. Partagés quant aux intentions futures de Franco qui reçoit le soutien inconditionnel des dictateurs allemand et italien. Personnellement, je calmerai mes hésitations en assimilant le soulèvement nationaliste espagnol, à la révolte des Chouans contre les excès de la Révolution Parisienne.

A cette époque, avec un intérêt passionné, nous nous poserons la question:

"Quelle serait, pour le bonheur et la grandeur d'un pays, la meilleure forme de Gouvernement ?

Nous étions en troisième année d'études primaires élémentaires, c'est-à-dire que nous venions de survoler l'histoire de notre pays, depuis la conquête romaine jusqu'à la naissance de la Troisième République après la défaite de 1871. Nos remarquables livres d'histoire en trois volumes Isaac et Malet nous avaient évoqué toutes les formes de pouvoir imaginées par les hommes au cours de deux millénaires, leur succès, leurs échecs, et même parfois leur condamnation.

Par tradition familiale, je me sentais d'abord Français, à forte vocation patriotique, convaincu d'être engagé à maintenir, fut-ce au prix de ma vie, l'intégrité du territoire et l'héritage de mes ancêtres. Par imprégnation paternelle, naturellement républicain, mais avec peut-être une préférence - influence certaine de mon camarade Roger -, partisan d’une démocratie monarchique constitutionnelle.

Donc, dans le contexte lamentable des désordres politiques dont la France donnait le spectacle, et le gouffre qui nous dont menaçait, nous nous interrogions. Bien sûr, très vite, nous nous étions rendus compte de notre immaturité, et du besoin de nous référer à des personnages plus érudits et plus expérimentés que nous, dont nous reconnaissions le savoir et la sagesse.

Dans notre petit milieu privilégié de parents cultivés, bien pensants, d’anciens combattants qui avaient démontré leur esprit de sacrifice, et d’ecclésiastiques exceptionnels dont le doyen de la paroisse de Juvisy, le Chanoine Baudet ainsi que le généreux jeune abbé Seigné, nous n'avions que l'embarras du choix.

Aucun de ces personnages ne sèmera jamais le doute dans nos esprits: c'était tous de sincères démocrates, même si les perversions des jeux politicards démagogiques de la gauche leur faisaient craindre pour l'avenir de la France. Tous espéraient qu'un grand personnage, de dimension historique, allait bientôt se dégager du magma politicien issu du suffrage universel.

Le suffrage universel justement... Indispensable, irremplaçable, esprit de nos « Institutions républicaines». Mais combien sujet à critique: chaque Français, quel qu'il soit, disposait d'une voix! Or, à l'évidence, tous les Français n'ont pas la même "qualité". La même capacité de jugement, d'analyse. Obéissant plutôt généralement à l'impulsion primaire de la tentation : "panem et circences ! ". Proie facile des promesses utopiques. Tel le troupeau naïf qui avait porté au pouvoir le "Front Populaire" .

Nous nous perdions en hypothèses de sélectivité, d'attribution de "quotient électoral" aux individus les plus évolués socialement, les plus instruits, les plus producteurs, sans parvenir à imaginer une panacée qui satisfasse nos certitudes de cœur et d'esprit.

Décidément, il ne restait qu'à espérer le miracle de la "Grande Voix" qui rallierait tous les Français !

Hélas, pas de "Grande Voix" en 1937... Au contraire, cette année concrétisera nos inquiétudes: la France s'affaiblissait, les syndicats persistaient dans leurs exigences de bien-être au prix de grèves renouvelées et d'émeutes. Ainsi, à Clichy, 5 morts et 200 blessés le 16 mars. Ces excès affolent même tous les leaders de la gauche. Finalement, Léon Blum demandera une "Paix Sociale".

De l'autre côté du Rhin, la force allemande en reconstitution accélérée, affiche son triomphalisme et son insolence. Hitler se dresse, véritable Dieu germanique de la guerre, assoiffé de grandeur et de revanche, plébiscité par tout un peuple.

Quel contraste ! Chez nous, un peu plus de cinquante pour cent des Français soutiennent le Front populaire. Pas forcément les plus cultivés, ni les meilleurs. Ni ceux qui se réfèrent en priorité aux impératifs vitaux du pays. Mais plutôt ceux qui ne pensent qu'aux facilités et aux vacances. Qui considèrent les Anciens Combattants comme de séniles bellicistes parce qu'ils redoutent le réveil de l'impérialisme allemand, alors qu’eux, ils ne croient pas à la menace d’une guerre prochaine!

La pire des démonstrations de notre déliquescence nationale allait bientôt apparaître aux yeux de tous.

Le 4 mai 1937 le Président de la République, Albert Lebrun, inaugurait l'Exposition Universelle de Paris "Arts et Techniques". Cette exposition, semblable par son aura mondial à celle de 1931 (Coloniale), devait démontrer aux yeux du monde les succès de notre puissance industrielle justifiant notre suprématie européenne…

Toute la presse, notamment l’ « Humanité » et le journal du parti socialiste « le Populaire », avait annoncé que cette grandiose manifestation serait la parfaite démonstration de la supériorité des démocraties sur les régimes totalitaires !

Ce fut raté ! L’exposition offrira aux yeux du monde le spectacle affligeant d'un immense chantier inachevé. Le Président de la République défilera, avec les officiels étrangers, devant des échafaudages et des groupes de manifestants vociférants... En effet, une succession de grèves, d'arrêts de travail à répétition, avaient retardé l'achèvement des travaux. Tous les journaux du monde relateront l'affront !

Je n'oublierai jamais ce que je ressentis lorsque je m'y rendis en compagnie de mes trois amis. Nous étions descendus à la station de métro Trocadéro. Le tout nouveau Palais de Chaillot, moderne, rectiligne, annonçait la perspective du Champ de Mars. Franchi celui-ci, nous avions débouché sur une immense terrasse aux superbes plans d'eau.

En face, barrant l'horizon, concentrant tous les regards, deux gigantesques édifices verticaux lançaient leurs façades vers le ciel. Presque symétriques et orgueilleux, on ne voyait qu'eux!

L'un était dominé par un énorme aigle doré maintenant dans ses serres une grande croix gammée. L'autre, surmonté par deux colossales statues représentant un homme et une femme brandissant ensemble une faucille et un marteau.

Au-delà, un immense chantier, avec des pavillons inachevés, certains encore dissimulés par des échafaudages, d’autres en cours de finition, tous contrastant par leur aspect inachevé avec ces deux géants impeccables! Quel symbolisme dans cette triomphale démonstration de l’efficacité des deux dictatures - fasciste et communiste -, qui ridiculisaient notre démocratie déchirée!

Quelle occasion pour ces pays totalitaires d'affirmer, en plein Paris, à la face du monde, leur puissance en plein essor. La menace de leur force monolithique, confrontée au spectacle de notre impuissance et nos querelles!

Quelle humiliation! En sept ans, depuis la démonstration magistrale de notre prééminence de grande nation mondiale lors de l'inoubliable et exaltante Exposition Coloniale, quelle démonstration de notre décadence actuelle!

Repensant à 1931, tous quatre, nous ressentions une profonde inquiétude à propos de la destinée de notre pays, incapable de se donner un chef énergique, et d'accepter les sacrifices indispensables à sa survie nationale.

Plus que jamais, de tout cœur, nous envisageons notre départ pour les Colonies. Mais nous réalisions que ces projets pourraient être vains si la guerre promise à la France par Hitler dans «Mein Kampf», survenait prochainement.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:28:23.
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