Un fils unique d'après guerre (1920 - 1939)

CHAPITRE IV
FIN D'ADOLESCENCE

Rendre justice à mon père.

Revivre le temps des années qui vont suivre, m'incite à profiter de cette occasion pour exprimer ma reconnaissance envers mes parents que j’ai trop souvent critiqués tout au long des pages précédentes... A ma mère pour son courage. A mon père, qui, depuis sa mémorable entrevue avec Monsieur Bidel à propos de mon dossier à reliure noire, s'occupera désormais activement de moi avec une efficacité remarquable.

Dommage que les chagrins et pleurs qu'il provoquait parfois chez ma mère, m'aient si souvent dressé contre lui pour la défendre ! Mais dans le même temps, je réalise désormais, que si mon amour pour elle fut pour moi une source de joies, celui-ci risque maintenant de devenir, avec les années qui passent, une charge qui va m’handicaper.

En effet, cette responsabilité du bonheur de ma mère qui me semblait à cette époque être un de mes devoirs essentiels pour la protéger et la rendre heureuse, fait naître aujourd'hui dans mon esprit une lueur de doute ...

Oui, est-ce qu’en fait, je n’aurais pas plutôt été "vampé" par ma mère? Capté par ses armes de femme : charme, beauté, tendresse, pleurs ?

Devenu un spectateur impartial par la vertu de l’écriture des temps de ma jeunesse, ayant exposé les circonstances qui en ont déterminé le cours, qui m'ont fait douter de mon père, j’entrevois aujourd’hui, la possibilité d’une autre hypothèse, parfaitement cohérente, et en totale contradiction avec tout ce que j'avais pensé et conclu jusqu'alors, en ce qui concerne la responsabilité de mon père - par trop de hauteur, par désintéressement apparent, ses omissions ou options - ensemble de faits et circonstances, qui m’auraient désavantagé.

Le vraisemblable de cette erreur de jugement, aujourd'hui, me semble presque une évidence !

Alors, j'éprouve un serrement de cœur : Je suis peut-être passé à côté de mon père... Passé à côté d'un homme exceptionnellement bon, parfaitement éclairé et lucide, que je n'ai pas su comprendre, aimer comme il le méritait.

Aujourd’hui, j'imagine parfaitement l’exactitude de ses raisonnements à mon égard...

Après la deuxième année de Franchot, il avait été persuadé, d'une part que je ne présentais aucun des signes de vocation religieuse, et que d'autre part, en dépit d'une réussite chanceuse au certificat d'études, il était évident que je n'étais pas doué pour des études supérieures. D’ailleurs je me souviens maintenant de ses longues et fréquentes conversations avec mes maîtres et Directeurs de l’époque, au cours desquelles il restait très longtemps enfermé dans leur bureau. Des tests que l'on me fit subir à cette époque, tests qui m'avaient tant intrigué...

En conséquence, en toute conscience, et pour mon bien, parce qu'il s'est rendu compte de ma tendance à être prétentieux, de mon attirance pour le luxe – séductions de maisons de mes petits camarades Combs et Létot - d'une certaine féminité héritée de l’intimité vécue avec ma mère, il avait estimé qu'il était temps de me ramener à mes axes.

Il décida donc de m'inclure dans le milieu modeste des futurs fonctionnaires moyens qui serait vraisemblablement mon lot plus tard compte tenu de mes modestes dispositions. D'où le choix calculé de l’école laïque de Juvisy. D'autant plus que, si je me révélais quelque peu ultérieurement, il y avait ensuite, la possibilité valorisante la filière de l'Ecole Normale d'instituteurs, suivie de celle de l’Ecole Normale Supérieure de professeurs.

Ce raisonnement et les décisions, je les aurais sans doute été mieux perçus si elles m'avaient été clairement expliquées. Mais il en avait sans doute confié le soin à ma mère, avec laquelle je m'entends si bien.

Mais ma mère avait une préoccupation prioritaire : sa lutte contre mon père! Alors, sans réfléchir aux éventuelles conséquences sur mon avenir, et surtout parce qu'elle ne veut pas être seule, parce qu’elle a besoin d’être aimée, soutenue, elle va reporter sur moi tout son capital d'affectivité, provoquant ainsi en moi, un réflexe de défense et d'amour exclusif pour elle ! Réflexe qui par la répétition de leurs oppositions conjugales, m’amènera jusqu’à rejeter mon père !

Elle va, en se servant de ses atouts de mère, mais aussi avec de ses armes de femme, captiver mon cœur et mon esprit. Créant progressivement en moi des automatismes issus d'un amour excessif pour elle, et ceux, presque agressifs, de sa défense contre mon père. Ces automatismes iront jusqu'à un début de sentiment de haine envers celui-ci. Avec pour conséquence pour l’avenir, un redoutable complexe de totale responsabilité de ma mère, au niveau de son bonheur à venir.

Oui, concept de devoir lui assurer, d'une part tout le bonheur qu'elle n'a pas eu en tant qu'épouse, d'autre part sa prise en charge financière afin qu'elle n'ait plus "à compter", et de lui faire perdre cette condition de locataire qui l’humilie, pour lui faire connaître enfin les joies d’avoir une maison à elle !

Inscriptions anormales, qu’elle m’a suggérées progressivement, agissant - j’ai presque honte à prononcer les mots - en « mère abusive », sans qu'elle s'en rende compte un seul instant et en toute bonne conscience !

Effrayé par les développements possibles de cette révision poignante de certains de mes jugements en ce qui concerne les rôles respectifs de mes parents à mon égard, je m'impose l'effort de volonté de ne pas pousser plus loin l'exploration de ces éventualités...

Pourtant, les conclusions de ce raisonnement tardif, s’inscriront durablement dans ma mémoire, et qu’elles détermineront de manière décisive sur ce plan, la manière dont je limiterai plus tard volontairement, le rôle de mon épouse, au niveau de l’éducation de nos propres enfants :

Eviter essentiellement pour eux, le risque de la part de leur maman, d’un excès de maternage propre aux mères sans autre activité – c’est à dire sans profession ou fonction sociale comme institutrice ou pharmacienne par exemple - que l’élevage de leur progéniture. Oisiveté qui peut les amener à exagérer l’importance de leurs soins, et surtout de les prolonger au-delà d’une certaine limite raisonnable (sous prétexte de maintenir et entretenir la chaleur de liens familiaux), c'est-à-dire au-delà de leur état d’adulte devenu.

Redoutable risque de « mère abusive », souvent issu de leur crainte de solitude affective finale, en l’absence de tout autre centre d’intérêt du fait de leur passif d’oisiveté. Risque plus fréquent qu’on ne le croit, ainsi que je pourrai le constater chez certaines mamans de mon entourage, notamment celles des « oisives de profession », parce que « nanties », qui verront – avec une satisfaction secrète – leurs enfant retarder de plusieurs années leur désir de fonder une famille...

Mes propres enfants le comprendront-ils, le moment venu ?


Donc, abandonnant avec soulagement l'hypothèse que je viens d'émettre, je reviens au concept précédent : ma mère si belle, si douce, qui m'aime tant. Mon père si austère, sévère, intransigeant…

D'autant plus qu'à cette époque – 1935 - 1936, il y a des événements internationaux infiniment plus préoccupant que mes petits problèmes personnels...

La France vit des temps prémonitoires ! Des événtualités considérables son en cours ! Inexorables, fatidiques, tandis que le bon peuple de mon pays s'abandonne aux joies des promesses politiciennes en tout aveuglement : Les quarante heures, les premiers congés payés…

D'ailleurs les ondes répètent les succès à la mode: "Quand un Vicomte, rencontre un autre Vicomte...", "Ca vaut mieux que d’attraper la scarlatine…

Au cinéma, Jean Giono connaît le succès grâce au film : « Regain », ainsi que Marcel Carné avec « Drôle de drame ».

1937, en costume de golf très mode à l’époque...

1937, en costume de golf très mode à l’époque...

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:28:04.
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