Un fils unique d'après guerre (1920 - 1939)

Grandes vacances 1938.

La fin de l’année scolaire désunira notre joyeux et amical petit groupe de Jarach. Suzanne et Marcelle partent en vacances avec leurs parents. Béatrice, ma Béatrice - dont les inquiétudes ont été heureusement vaines, mais qui est déçue car je ne parle pas de fiançailles – commence à espacer nos rencontres très particulières, puis m’annonce qu’elle partira une quinzaine de jours début août, en famille, sur la Côte Atlantique.

Curieusement, je n'éprouve que peu de ressentiment envers ce début de froideur : N'aurait-elle été qu'une étape nécessaire dans ma vie sentimentale ?

Pour ma part, la vente de mes petits postes radio s’achée par absence de débouchés, ayant fourni toutes les amies et connaissances de ma mère… Il s’en suit que je manque cruellement d’argent pour assurer mes tendres sorties amoureuses... Alors je choisis de déclarer à mes parents que je souhaite travailler durant les mois de juillet et août !

Mon père, peut-être pour me mettre à l'épreuve, me fait embaucher comme simple "ouvrier manœuvre" sur les voies de chemin de fer de la S.N.C.F….

Durant deux mois, les mains blessées au contact de l'acier des rails, je trimerai dur sous le soleil, huit heures par jour. Moi qui souhaitais fatiguer mon corps, je serai servi : En effet dans l'équipe dont je fais partie, composée de vingt-quatre ouvriers, chacun doit soulever, à mains nues, les cinquante kilos d'acier d'un rail de 1.200 kilos, pour le poser sur les traverses de bois. Puis, deux à deux, il faut visser les "tire-fonds" dont les têtes immobiliseront le talon du rail, le tout à la cadence obligatoire du sifflet du chef d'équipe !

Fin août, sur les genoux de ma mère, je ne ferai pas tomber une pluie de billets de mille francs, mais déposerai, modestement, douze billets de cent francs!

Toutefois, ces grandes vacances 1938 ne seront pas consacrées uniquement aux rails de chemin de fer… Car, si les journées de travail commencent à sept heures, elles se terminent à trois heures de l’après midi. Ainsi, j'ai le temps de me précipiter à la S.N.H.S. pour retrouver mes coéquipiers du "4 outrigger", pour de longues séances d'entraînement sur la Seine.

Je rentre à la maison doublement épuisé, mais l'âme heureuse. Le cœur encore occupé par la douceur du souvenir de mes trop rares étreintes avec Claude, qui plus tard de Préfailles, sa résidence de vacances près de La Baule, m'adressera tous les jours de douces lettres pudiques sur papier bleu, signées de l'empreinte de ses lèvres qu'un léger rouge à lèvres avait empourprées...

Précieuses lettres, mes premières lettres d'amour, longtemps conservées dans ma boîte à souvenirs, jusqu'au jour où des mains sacrilèges les ont découvertes, avec d'autres, et détruites...

Les samedi et dimanche matin sont consacrés à Roger, Nicolas et Jean, avec lesquels je continue nos randonnées à vélo. Celles-ci nous donnent l'occasion de commenter les événements prodigieux qui se déroulent et ceux, tragiques peut-être, qui nous attendaient. Pourtant ces mauvais augures ne nous empêchent pas de toujours rêver à nos merveilleux projets de départ pour l'Outremer !

Mais pour le présent, et compte tenu des risques probables de conflit, nous évaluons les conséquences d'un appel anticipé sous les drapeaux. Et dans cette hypothèse, le souhait de ne pas être "simple troufion", avec les risques de promiscuités semblables, pour moi, à ceux du Collège de Dourdan. Ainsi qu’aux moyens de faire le choix de l'arme : Infanterie, artillerie, ou aviation.

Nous trouverons la solution : Elle consiste à nous inscrire aux cours de préparation militaire qui ont lieu le soir, dans l’un des services annexes de l'armée. Or il y en avait un à Juvisy. Grâce à celui-ci, en deux ans, après le passage du concours de « Préparation supérieure de l’Armée », nous pourrions accéder au grade d’aspirant sous-officier, lors de notre incorporation, et postuler l'arme de notre choix.

Cette nouvelle entreprise nous fera connaître un nouveau milieu social tout à fait particulier : l'Armée. Celui-ci nous apparaîtra, hiérarchisé, routinière, vieillot, semblable à celui des romans de Courteline et de Jean Drault, c’est à dire, celui que mon père avait connu vingt cinq ans plus tôt...

Les cours de préparation militaire ont lieu sous l'autorité d'un capitaine instructeur de réserve, ventripotent, aux cheveux grisonnants. Le recrutement des postulants est médiocre dans l'ensemble, et nous n'avons aucune peine à être brillants et remarqués. D'autre part, notre bonne condition sportive nous rend faciles les épreuves physiques. Tout se présente bien.

Personnellement, j'ai choisi la spécialité de la météo aérienne, qui, compte tenu de sa nouveauté, permettait des promotions, ainsi que le port de l'uniforme aviateur : Elégante veste bleu marine croisée à boutons dorés, superbe casquette à visière, semblable à la tenue de l’Institution Franchot !

De plus, grâce à Saint Charles, une nouvelle activité sportive nous avait été révélée : Le tennis ! L’abbé Seigné était l'auteur de ce miracle.

Sans professeur, d'instinct, et avec tous les défauts qui en découleront, nous apprenons à taper dans une balle, au mieux. Nicolas se révélera très vite le plus doué. Pour moi, il y a surtout beaucoup de bonne volonté et beaucoup de cœur...

Des heures durant, insensibles à la fatigue, nous nous adonnerons à ce nouveau sport. Heureux de nous sentir privilégiés en dépit de notre accoutrement peu orthodoxe. Désormais, nous alternerons raquette, vélo et aviron.

Quant à moi, l'ébauche d'un nouvel amour, s’annonce...

En effet, en fin de soirée, après l'entraînement à la S.N.H.S., je sorts souvent le grand "canoë français" - longue embarcation à un seul rameur mais avec une banquette capitonnée pour passager - qui me permet de prendre en cachette, une nouvelle petite amie, toute blonde, visage clair aux yeux de faïence bleue : Ma mignonne Laurette aux lèvres si sensuelles !

Différente de Béatrice parce que plus ardente, plus disponible, moins réservée. Elle est d'un peu plus d'un an mon aînée. Pour elle, j'ai découvert dans un bras mort de la Seine, une petite crique discrète dissimulée par les branches d'un aulne, où je glisse mon embarcation…. Ce sera le cadre, romantique à souhait, de nos tendres et coupables amours...

Plus tard, quand Béatrice sera de retour, je prendrai l'habitude d'alterner mes passagères un jour sur deux, apprenant sans trop de honte, puis prenant goût au plaisir coupable, de partage l'amour, entre la brune et la blonde...

D’autant plus que je remarqueé avec regret que les vacances ont profité à Béatrice… Elle avait forci, presque épaissi me semble-t-il... Malgré moi, je fais des comparaisons avec le corps gracile de la blonde et voluptueuse Laurette, qui ressemble à Danielle Darrieux, l’actrice de cinéma à la mode. Je me surprends à penser, avec ingratitude, que Béatrice a peut-être un peu trop le style et l'allure d’une infirmière major...

Mais surtout je constate des différences de comportement entre mes deux amies… La blonde me semble beaucoup plus « participante » dans nos jeux amoureux, qu’elle me donne beaucoup plus de joies, que la trop pudique et réservée brune...


Plénitude de vacances parfaitement remplies selon mes nouveaux goûts, entre travail, sport et amours.

Pratiquement, désormais, je passe quatorze heures hors du giron familial, et, je dois le reconnaître, pleinement et parfaitement heureux. Par contre, quand je rentre le soir recru de fatigues diverses, passé le bonheur de partager l'affection de ma mère, celui-ci s'éteint quand elle me fait remarquer d'un ton mélancolique :

-"Tu es de moins en moins souvent à la maison...

Réflexion dont l'exactitude gâche ma soirée, surtout quand elle ajoute:

-"Tu me laisse toujours seule...

Cela me donne le sentiment coupable d'avoir manqué à mes devoirs envers elle. De plus, dans l'ambiance familiale, je retrouve très vite un sentiment de contrainte et d’angoisse, dont j'attribue la raison à l'apparente froideur de mon père.


Fin septembre se termine mon intermède de travailleur manuel sur les voies de la S.N.C.F. Intermède enrichissant car il m'a permis, pendant deux mois, de vivre avec des « ouvriers », de partager leurs conversations, d'entendre leurs revendications. De comprendre que l’opposition « patron - ouvrier » était sans solution évidente...

Non du fait des salariés dont j’ai partagé et compris les préoccupations et souhaits, mais du fait de leur intoxication par les partis politiques de gauche et par leurs syndicats, qui, pour des motifs électoraux, utilisent la démagogie et la surenchère des promesses, pour capter les suffrages de ces gens braves et courageux, mais trop crédules.

J'ai pu, pendant ces deux mois, par la lecture quotidienne du journal communiste "l'Humanité", constater combien celui-ci excitait la haine du « patron », déformait l'information, mutilait à son profit le contexte de la conjoncture, et choisissait toujours la référence de l’exemple soviétique.


Sur ces pratiques variées, s'achèvera le troisième trimestre de 1938. Je suis heureux de retrouver les cours Jarach, assuré de faire un petit triomphe auprès de mes amies Suzanne et Marcelle, du fait de ma transformation physique et mentale.

Et surtout à cette occasion, d’exhiber à mon bras ma conquête, Béatrice !

1939

1939

La modeste piscine de Draveil sur la Seine.

La modeste piscine de Draveil sur la Seine.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:27:59.
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