Racines

Trois Lignées

Le récit qui va commencer est l'histoire de trois familles dont les principales originalités étaient d'être très distantes les unes des autres, - de sept cents à mille cinq cents kilomètres - représentant au mieux, une à trois journées de chemin de fer de ce temps !

Ces trois familles n'avaient aucunes raisons naturells de se rencontrer, fixées une fois pour toutes dans leurs provinces d'origine, dans leurs villages. Elles étaient aussi dissemblables aujourd'hui qu'une famille paysanne des Flandres, des petits commerçants méditerranéens d'Afghanistan, et une maisonnée de mineur turc ! Elles n'avaient pas une chance sur un milliard de se croiser une seule fois en raison de leur conditionnement local, sauf circonstances tout à fait exceptionnelles...

Certains membres de ces trois familles seront les héros et héroïnes de ce récit. C'étaient des gens très simples et besogneux, plus préoccupés par leurs soucis quotidiens que par les agitations du monde.

Pas un seul d'entre eux n'était bourgeois, notable, aristocrate, noble ou titré. Tous sont les « sans grade » du petit peuple, presque tous paysans, parfois artisans et petits commerçants.

Ils ont travaillé courageusement, anonymement, pour survivre, génération après génération, sans doute depuis des siècles attachés aux mêmes lieux, aux mêmes villages.

- Vallée de la Claise, Châtellerault, et la région de la Creuse pour les Nonet - Picault

- Région de Metz, Nancy, puis Crévic, pour les Henriot, Royer, Perrette

- Province de Poznan en Pologne, pour les Czerzniak - Sobecki.


Chers petits et arrières- petits- enfants, je suis navré d'avoir une si modeste et si obscure origine à vous offrir... Pas de titre, pas de particule, pas d'ancêtres plus ou moins historiques...

Mais prenez un instant pour songer à cette ancienne société héréditairement partagée en trois castes : noblesse, clergé, tiers état...

Et maintenant, songez à cette dernière catégorie : Cette multitude, condamnée sauf rarissimes exceptions, génération après génération, à la même condition : Ouvrier, laboureur, paysan, artisan... Oui, véritable condamnation à être maintenu au niveau subalterne hérité de sa naissance, et dont il sera impossible pendant des siècles d'évoluer : On naissait paysan, on vivait paysan, on mourait paysan !

Ce fait d'être héréditairement attaché à la terre et de ne pouvoir changer de destinée, est devenu au fil des générations intolérable, et il a suscité un sentiment d'injustice inacceptable par comparaison avec la vie souvent oisive des gens de la noblesse et du clergé... En France, cet état des choses trouvera son exutoire en 1789 ! Cette scandaleuse inégalité excusera certains des excès odieux de la Révolution.

Pourtant, pour les classes privilégiées, quoi de plus naturel que de tenter de transmettre à leurs enfants les avantages acquis par une vie de travail ou de mérites un peu exceptionnels ? Quel est le père qui n'a pas formulé ce voeu? Quel père ne l'a pas réalisé d'une manière plus ou moins modeste ou ponctuelle, par la tentative du meilleur établissement possible de ses enfants ?

Privilèges du nom, privilège de l'argent... Privilèges de toute façon. Tout cela est bien dans la manière de l'homme de tenter d'assurer pour ses descendants, la pérennité de ce qu'il a acquis.

Quoi de plus exceptionnel, flatteur et doux au coeur, que celui d'un beau nom ? Heureux dépositaires d'un tel privilège, je comprends parfaitement votre fierté de porter un patronyme dont les racines remontent dans la nuit des temps !

Tel ne fut pas mon cas, ni le vôtre, par conséquent... Toutefois, enfants, petits enfants et tous les descendants de mon sang, n'oubliez cependant jamais que vous n'avez pas à rougir de vos simples origines : Vos ancêtres ont été la chair, sinon l'esprit, de la France profonde et silencieuse. Ils ont plus souffert, inconnus, attachés à la glèbe, que les privilégiés de l'argent ou du nom !

Ce sont eux - comme les soldats du 125e Régiment d'Infanterie de Poitiers créé par Napoléon 1ier - qui se sont sacrifiés sur les bords de la Bérézina en 1814, pour sauver la Grande Armée du désastre !

Ce sont eux encore qui, un siècle plus tard, sous le drapeau du même régiment - celui de mon père en 1914 - participeront au sauvetage de la patrie sur les bords de la Marne, et plus tard se battront au Mort-Homme, à la côte 304, pour empêcher la rupture du front à Verdun, aux plus sombres jours de l'année 1916...

Ils furent les humbles, les petits, les sans grades...

Et sans eux rien n'aurait pu être tenté ! Sans eux rien n'aurait pu être ! Sans eux rien jamais ne fut !

Soyez fiers de leurs mains calleuses, de leurs pieds nus : Vous êtes leurs enfants.

Par mon père, vous êtes héritiers des chouans, morts pour leur Dieu et leurs traditions, massacrés par les républicains.

Par ma mère, vous êtes descendants de paysans lorrains attachés à leur terre ingrate, travailleurs courageux et obstinés, en dépit des guerres et des invasions.

Par les modestes familles Czerzniak - Sobécki, vous êtes originaires de cette lointaine Pologne, si souvent et si longtemps crucifiée.

Les cimetières du Poitou, de Lorraine, de la région de Poznan, témoignent de leur présence en ces lieux depuis des siècles. Leurs noms sont gravés dans la pierre. Qu'ils le soient aussi dans vos coeurs !

Soyez fiers de leur simplicité et de leur discrétion. Vous leur devez la vie, ils sont vos ancêtres. L'Histoire a oublié leurs noms. A vous de vous en souvenir !

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Maurice NONET
Dernière modification le : January 31 2007 19:09:15.
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