Racines

La famille CZERZNIAK-SOBECKI

Fin juillet 1914, la province de Poznan est occupée depuis plus d'un siècle par la Prusse - devenue l'Empire Allemand après sa victoire sur la France en 1871. La langue officielle, obligatoire dans les écoles, est l'allemand.

Peut-on encore à cette époque parler de Pologne ? Ce pays n'existe pas en tant que pays indépendant, ou plutôt n'existe plus.

La Pologne ! Ce fut pourtant, entre les XIIIème et XVème siècles un royaume puissant, aussi structuré et christianisé que l'Empire d'Autriche ou le royaume de Suède. La Russie n'était alors qu'une immense contrée sauvage et inconnue, et la Prusse un simple duché sous d'obscurs Hohenzollern...


La France s'est toujours sentie sentimentalement très proche de la Pologne, bien que notre mémoire collective n'en ait pas retenu tous les motifs de cet attachement.

J'ai donc éprouvé le besoin de comprendre, et, au hasard d'un des pèlerinages que j'accomplis presque tous les ans dans ma Lorraine natale, je me suis attardé dans l'église de Crévic... Sa pénombre était propice à la méditation.

C'était un jour de semaine, et j'étais le seul visiteur. Je pus ainsi, à loisir, détailler les lieux objets de tant de souvenirs d'enfance. La chaire, le choeur, la tribune avec l'harmonium... Et, pour la première fois, j'observais le porche.

Surprise ! Je découvris une plaque de marbre avec cette inscription :

"Cette église a été construite par Stanislas Leczinski, roi de Pologne" !

Cette révélation me décida à des recherches dont voici l'essentiel.

L'histoire de la Pologne semble débuter avec Frédéric Barberousse, lointain successeur de Charlemagne, qui envahit en 1157 les territoires situés à l'est de son empire. (cf Annexe ).

Elle fut ensuite fort agitée. Puis connut des temps particulièrement glorieux sous le roi Vladislav : A la fin du XIIème siècle, la Pologne s'étendra de la Baltique à la Mer Noire, de la Silésie à Moscou, et prétendra même au début du XVème siècle, au trône de Suède !

Ensuite, l'empire Ottoman, puis l'Autriche, enfin la Russie, vont enclencher le déclin de sa puissance.

En 1574, pour raisons politiques, la Pologne se donnera pour roi un prince Français : Henri de Valois ! Lequel s'en désintéressera, dès qu'il sera couronné roi de France...

La guerre de Trente Ans sera fatale à la Pologne : La Suède et la Russie envahirent le pays et destitueront le roi Stanislas Leszczynski qui sera recueilli par son gendre, le roi de France Louis XV.

Celui-ci lui confiera, en viager, la province de Lorraine, avec les villes de Nancy et Lunéville.

En 1792, survint le partage de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l'Autriche.

Napoléon tentera de ressusciter ce pays sous l'inspiration de la Princesse Maria Waleweski dont il était très épris. Il y lèvera même une armée qu'il confia au Maréchal polonais Poniatowski, lequel lui sera fidèle jusqu'à la fin de l'Empire.

Après Waterloo, au Congrès de Vienne en 1815, la Pologne sera démembrée et la restera jusqu'aux derniers jours de 1918.

Telle était, dans ses grandes lignes, l'histoire de la Pologne à la veille de la Grande Guerre. Bref panorama qui explique les liens affectifs de la France envers ce pays, dont les capitales sont portant distantes de 1 500 kms., et que séparent les redoutables Empires Germanique et Austro-Hongrois.


Or, dans ce pays occupé et soumis à l'administration de allemande, à l'est de la Silésie et au nord de Cracovie, vivaient depuis de nombreuses générations, deux familles de laboureurs, la famille Czerzniak et la famille Sobecki...

Si de la première je ne sais que très peu de choses, par contre je dispose de quelques informations sur la seconde.

Antoine Sobecki, né en 1851, avait épousé Anna Dublinski de deux ans sa cadette. Il jouissait d'une situation enviable de fermier indépendant, possédant terre et bétail. En outre, il était l'homme de confiance et le contremaître du Comte polonais de Pakocze, propriétaire d'un immense domaine agricole et de plusieurs châteaux. Il devait avoir une certaine instruction, car c'était lui qui faisait la paie des ouvriers.

Les parents d'Anna Dublinski, Michel et Catherine étaient nés peu après Waterloo (lui en 1818, elle en 1820).

Michel avait perdu ses parents dès l'âge de trois ans. Des voisins qui servaient dans l'un des châteaux du Comte de Pakocze, le recueillirent. Il travailla d'abord aux écuries, devint palefrenier, puis cocher personnel du Comte, poste honorable que son application et son sérieux lui avaient assuré. Une jolie lingère du châtelain attira son attention, elle s'appelait Catherine...

Antoine Sobieki était un homme respecté qui entretenait soigneusement son petit domaine: Il fut le premier fermier du village à posséder une machine à faire le beurre, une baratte !

C'était un gaillard superbe, une force de la nature, qui mourut à 89 ans (en 1939), accidentellement blessé par un taureau.

Successivement, dix magnifiques garçons naîtront de cette union ! Et, enfin, une fille: Stanislawa, qui fut pour cette raison, particulièrement aimée et choyée par ses parents et grands-parents Dubliski.

La jeunesse de Stanislawa sera très heureuse en raison de l'aisance assez exceptionnelle de sa famille. De plus, elle aura la chance de devenir, très tôt, une très belle jeune fille qui fit tourner bien des têtes...

Or, un jour, celui de l'anniversaire de ses quinze ans, elle avait croisé le regard bleu et hardi d'un nouveau venu, un blond jeune homme à la fière stature. D'un coup, le coeur de Stanislawa s'embrasa avec toute la violence du premier amour ! Elle fera ensuite l'impossible pour attirer son attention, car au départ il ne l'avait même pas remarquée ! Oui, Andrei était définitivement entré dans son coeur.

Les jours suivants, faussement innocente, habillée comme pour les dimanches, un ruban dans les cheveux et une ceinture de satin rouge mettant en valeur sa silhouette, elle entreprendra de tourbillonner autour d'Andrei...

« Ce que femme veut, le diable le veut » dit-on en France ! Ce doit être tout aussi vrai à Pakocze, puisque Andrei l'invita bientôt au bal du dimanche.

Déception ! Elle ne savait pas faire un pas de danse sans lui marcher sur les pieds ! Cela ne fera pas beaucoup avancer les affaires de Stanislawa, car, peu galant, Andréi excellent danseur, préférera inviter d'autres jeunes filles...

En dépit de ce mauvais début, enhardie par l'amour, elle persista. Et sa persévérance fut récompensée : Andrei la remarqua enfin, lui parla, l'invita à sortir le soir pour de longues promenades sentimentales.

Il lui apprit qu'il était né en 1884, dans la même province qu'elle, au village de Sankowo. Sa mère était morte quand il avait huit ans. Il y avait travaillé comme ouvrier agricole avec son père et son frère, avant de partir avec eux pour la Ruhr allemande, comme ouvrier métallurgiste dans une usine de Bochum.

En 1906, après deux ans de service militaire sous le casque germanique, il avait décidé de rentrer chez lui. A vingt deux ans, ce jeune homme né à la campagne, était las du travail monotone dans un atelier d'usine.

Le hasard voulu qu'il trouve un emploi d'ouvrier agricole à Pakocze, au service du Comte, et qu'il loge justement, chez la soeur d'Antoine Sobiéki, le contremaître !

A quoi doit-il son charme ? Essentiellement à sa haute silhouette et à son allure : Il n'a rien d'un paysan. Alors que les autres jeunes hommes sont costauds et massifs, lui est grand, svelte, étroit de hanches et large d'épaules. Sa colonne vertébrale est parfaitement droite, son port de tête altier. Et son visage au front large est animé d'yeux bleus audacieux et rieurs... Un bleu clair, si clair... Comment les quinze ans romanesques de Stanislawa n'aurait-elle pas remarqué un tel jeune homme ?

Mais à la réputation justifiée de Don Juan d'Andréi s'ajoute aussi celui d'un grave défaut : Il est vindicatif et porté à la bagarre ! Avec lui, les soirées au bal finissent souvent très mal, car, en dépit de sa minceur, il est vigoureux, agile et redoutable.

Peut-on alors s'étonner que la famille de Stanislawa ne voie pas d'un oeil très favorable l'idylle qui se noue? Ses frères s'en mêlent. De franches bagarres, à coups de poings et de pieds, éclatent derrière les granges. Tous s'attachent à démontrer à Stanislawa que son amoureux est volage, pauvre et par trop violent ! En vain, la petite est aussi têtue qu'amoureuse.

Alors, peu à peu, la famille se résigne, Andrei est reçu comme prétendant officiel dans la maison des Sobiéki. Sa promise, follement heureuse, embellit de jour en jour.

Or voici qu'un après midi d'été de 1907, Monsieur le Comte vient inspecter les travaux de la moisson au moment de la pause. La radieuse Stanislawa est là, avec son panier, sa jolie robe et ses rubans.

Le Comte est un célibataire endurci, sa réputation de séducteur est connue de toute la province. Il remarque immédiatement cette ravissante jeune fille. Et, peut-être par galanterie et sans véritable arrière pensée, il effleure d'un doigt caressant la joue dorée de Stanislawa...

C'en est trop pour Andrei qui a tout vu du haut de la charrette de gerbes qu'il est en train de charger ! Saisi d'une furieuse jalousie, il bondit vers le Comte, oubliant toute prudence ! Les hommes parviennent à l'immobiliser. Mais le mal est fait, il est licencié sur-le-champ.

Le bel Andrei devra quitter Pakocze, car le Comte est rancunier et parce qu'il contrôle toute la région. Andréi n'a d'autre ressource que d'envisager de retourner travailler à Bochum...

Eblouie par son courage et la démonstration de sa jalousie, Stanislawa est encore plus éperdument amoureuse... Et malgré toutes ces difficultés, les liens puissants de l'amour se sont noués définitivement entre les deux jeunes gens.

Le 17 janvier 1908 sera le jour de leur mariage, célébré en l'église de Pakocze, toutes cloches sonnantes ! Les réjouissances dureront trois longues et joyeuses journées, et tout le village y sera convié.

Lorsque les dernières notes de musique de la fête se seront tues, il fallut penser aux choses sérieuses. D'une part Andrei - depuis son altercation avec le Comte - était pratiquement interdit de séjour... D'autre part, la vie agricole était très difficile dans toute cette région... Il leur apparut bientôt qu'il n'y a pas d'autre solution que de retourner travailler dans cette Ruhr industrieuse où se forgeait les armes de l'Empire Allemand.

La gaie fauvette Stanislawa qui n'a encore jamais connu que les grands espaces de la plaine polonaise, devra se résoudre à suivre Andrei à Bochum.

Les barreaux de la cage d'une ville ouvrière - aux rues sombres et enfumées, où les hautes cheminées des usines vomissent des nuages noirs, remplacent les bouquets de bouleaux aux feuillages légers dansant dans le vent de son village - vont se refermer sur Stanislawa...

Fille de la plaine, elle ne s'habituera jamais à cette existence, ni à leur modeste appartement sans lumière. Mais elle aime tant son bel Andréi que le soleil revient dans son coeur dès qu'il est de retour de son travail !

Une autre angoisse va bientôt compromettre leur bonheur : La menace d'une nouvelle guerre ! Tous les journaux l'annonce. Si son bel Andréi vient à être mobilisé sous l'uniforme allemand, qu'adviendra-t-il d'elle ?

L'un des 10 frère de Stanislawa sous l'uniforme allemand et casque à pointe.

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Maurice NONET
Dernière modification le : January 31 2007 19:11:00.
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