Vivre à 20 ans une guerre perdue

3 SEPTEMBRE 1939

Donc, les dés de la fatalité avaient roulé...

Depuis le 3 septembre nous étions une nouvelle fois en guerre et pour la troisième fois en soixante dix ans - le temps de trois générations - contre notre ennemi héréditaire, l'Allemagne !

En réalité, celle-ci avait déjà commencé la veille : Ce jour-là, sans déclaration de guerre, Hitler avait mis en application le “ Plan Blanc” (Fall Weiss), d'invasion de la Pologne : L'élite de l'armée nazie, 53 divisions, 6 blindées, 4 motorisées, avaient franchi la frontière. Elles fonçaient sur Varsovie tandis que les escadrilles de Goering détruisaient au sol l'ensemble de l'aviation polonaise.

La rapidité de la pénétration des armées allemandes avait été consternante ! Pourtant, dans les jours précédents, tous les journaux avaient parlé de 80 divisions polonaises sur pied de guerre, de 400 avions, et de 40 régiments de cavalerie, de quoi résister à un envahisseur… Mais aujourd’hui il fallait se rendre à l’évidence, le front polonais s’effondrait.


En France, et surtout à Paris, la première nuit de guerre s'était passée dans l'attente d'un bombardement aérien que tous les augures avaient annoncé. Or rien n'advint. Pas plus que le lendemain, ni les jours suivants.

On s'attendait aussi à ce que nos troupes franchissent le Rhin et se portent en masse en territoire ennemi, puisque le gros des divisions nazies était engagé à l'Est. Offensive qui aurait soulagé la Pologne et respecté les traités d’assistance qui nous liaient à ce pays.

En fait d'offensive générale, il n'y eut qu'une infiltration de quelques régiments français en Sarre, sans ampleur ni profondeur.

Un statu quo débilitant s'installa alors. Nos armées, retranchées derrière la ligne de fortifications Maginot réputée infranchissable - mais interrompue à la frontière belge - attendaient l'arme au pied.

Après l'angoisse aérienne des premières nuits, une certaine quiétude commença à s’installer dans les esprits. On s'habituait à une guerre où il ne se passait rien de ce que l'on avait redouté ou prévu.

Les jours défilaient, marqués de flashes d'informations tels que :

- Le 5 septembre, un sous-marin nazi torpille un bateau de commerce, le paquebot anglais, l'Athena.

- Les U.S.A. renouvellent leur choix de la stricte neutralité.

- Les régiments français engagés en territoire ennemi, se retirent de la Sarre allemande le 12 septembre.

Alors la vie et les activités civiles coutumières reprirent leur cours habituel. La banalité du train-train d'avant l'état de guerre se rétablit. Faute d'événements historiques dramatiques, chacun retourna à ses petites préoccupations.

Personnellement, je ne tarderai pas à subir ce climat lénifiant, en dépit de mon patriotisme sincère.

Mais, parvenu à ce point de mon récit, je voudrais revenir un peu en arrière, et raconter ma première nuit de guerre...


Nous habitions à Juvisy, site de la plus importante gare de triage de la région parisienne. Donc, cible idéale et désignée aux aviateurs bombardiers nazis. De plus, notre appartement était si proche des voies ferrées que lorsque les trains rapides passaient, vaisselle et verrerie tremblaient sur la table.

Alors, par prudence, dès le crépuscule de la première nuit de guerre, mon père décida de nous éloigner de la maison.

Chargés de couvertures, nous prîmes la route de la campagne vers Orly, alors modeste camp d’aviation militaire au milieu des champs, pour camper en pleine nature sur les hauteurs qui dominaient la Seine et ménageaient une vue vers Paris. Ainsi nous serions à l'abri et pourrions juger, de visu, de l'importance du bombardement de la capitale et du triage ferroviaire de Juvisy.

Les journaux avaient annoncé avec certitude que la première nuit de guerre serait une nuit de terreur aérienne ! Tout le monde partageait cette opinion. D'ailleurs, autour de nous, une multitude d'ombres campait silencieusement.

Mon père scrutait le ciel vers l'Est. Je guettais l'appel des sirènes qui annonceraient l'imminence du danger. Nous avions, en bandoulière notre masque à gaz. Ma tête bourdonnait des plus noirs pressentiments Chaque demi-heure qui passait semblait me rapprocher d'un dénouement tragique.

Mais le temps s’écoulait... Enfin, le son sinistre, ascendant et descendant de cent sirènes, annonçaient le début de l'alerte aérienne sur Paris. Je m'attendais au déclenchement du tonnerre de la D.C.A., et à voir l’horizon s'embraser d'incendies.

Un quart d'heure plus tard, un son continu, sur une seule note, annonça la fin de l'alerte... Peu après, autour de nous, tout le monde dormait.

Dès les premières lueurs de l'aube, chacun regagna ses pénates. Rien ne s'était produit. Pas de bombardement massif. Harassés et frileux, nous regagnerons notre appartement. Mon père était convaincu que les avions allemands avaient choisi d'autres villes françaises pour cibles.

Il n'en avait rien été. Ce serait donc pour demain.

Et la nuit suivante nous avions repris le chemin de la plaine. Il y avait moins de monde. Il n’y eut pas de bombardement.

Le troisième jour, mon père décida de rester à la maison car c’était le jour de la grande séparation de la famille.

Mon père, mobilisé à la S.N.C.F. avec les services dont il dépendait, était replié sur Toulouse. Ma mère, terrorisée par la psychose des bombardements aériens que tous les journaux avaient annoncés, avait choisi de rejoindre sa sœur à Montauban.

Pour ma part, je devais suivre le sort de mon nouvel employeur, la Caisse de Prévoyance. Celle-ci était évacuée en Normandie, dans la petite ville balnéaire de Houlgate. Rendez-vous nous avait été donné pour le lendemain, très tôt, gare Saint-Lazare.


Donc, c'en était fait, le moment de quitter le giron de mes parents était arrivé. Mais ce n’était pas dans ce décor dramatique de la guerre que j’avais souhaité que sonne pour moi l'heure de quitter ma famille !

Je me retrouvais donc seul, dans le petit matin, valises à la main, face au train qui devait m'emporter vers un nouveau destin.

J'y retrouvais le groupe de mes collègues habituels de travail, mais sans les hommes, tous mobilisés. Il n'y avait pratiquement que des femmes et, en majorité, de très jeunes femmes, dont les yeux rougis attestaient les pleurs d'une douloureuse et récente séparation. Quelques hommes quand même : nos chefs, grisonnants et âgés.

L'atmosphère était blême, inquiète et silencieuse.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:35:02.
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