Vivre à 20 ans une guerre perdue

EPILOGUE

Ainsi s’achève le récit d’une guerre perdue …

Cinq années titanesques qui m’ont brassé comme poussière, m’imposant la loi de leur fatalité, traçant les grandes lignes de ma destinée, et qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui.


Il est clair que je n’ai pas été un héros.

Seulement l’une de ces dizaines de millions de victimes de la fureur hégémonique d’un homme machiavélique qui se croyait capable de défier le destin, et d’imposer par le glaive et le feu, la domination nazie sur l’Europe, pour mille ans !

Victime impuissante d’événements qui toujours me dépasseront.

En proie à tous les puissants instincts de ma fureur de vivre. Opportuniste au sens littéral du mot, par nécessité et par raison. Broyé comme tous ceux de ma génération par le typhon des événements, mais acharné à survivre. Marqué au fer rouge, dans ma chair et dans mon esprit, par les pesanteurs exceptionnelles d’une guerre atroce.


Epargné d’avoir eu à faire des choix cruciaux imposés par accident, et de ce fait contraint et forcé à m’engager dans des actions aventureuses….

Quelle aurait été, par exemple ma destinée, si, selon le plus ardent de mes vœux au lendemain de la défaite de juin 1940 et pour la refuser, j’avais réussi à embarquer sur le Massilia en route vers mon idéal d’alors : le Maroc ?

Sans aucun doute, par tradition patriotique, conforté par la position géographique de ce pays libre et bien loin de toutes influences ennemies, lors du débarquement allié de 1943, j’aurais repris les armes d’enthousiasme !

Tout pouvait, à partir de cette hypothèse, être supposé... Même celle de ma disparition comme ce fut le cas de bien des jeunes de ma génération tombés au cours des combats de Sicile et surtout du Mont Cassino...

Autre hypothèse… Pendant les temps de l’occupation vécus à Liévin, combien de fois ai-je tourné et retourné dans ma tête ce qu’aurait dû être ma conduite, si certaines éventualités s’étaient présentées à moi ?

Telle que, par exemple, lorsque passaient dans le ciel de la nuit au dessus de ma tête, les escadres de super forteresses porteuses de mort, subissant les assauts de la chasse et de la redoutable D.C.A. allemande, quand parfois apparaissaient dans le pinceau blême des projecteurs, les minuscules corolles blanches des parachutes de l’équipage d’un avion allié incendié...

Qu’aurais-je fait si l’un de ces parachutistes était tombé à proximité ? Un réflexe d’assistance automatique aurait évidemment joué pour dissimuler à l’ennemi cet aviateur anglais ou américain ! Implication obligatoire vers un cycle d’engagements aux conséquences imprévisibles : Filières de résistance, de passeurs, risques d’arrestation par la Gestapo, interrogatoires, tortures...

Ou encore, si, lors de l’une de mes nombreuses convocations à la Kommandantur à la suite d’actions de certains résistants contre des membres de l’armée allemande, j’avais été menacé dans ma liberté ou dans ma vie ? Sans aucun doute, j’aurais alors tenté de fuir prix ! Donc de nouer avec l’engrenage des réseaux clandestins et une implication dans une aventure aux suites imprévisibles.

Par exemple encore... Si, dans l’hypothèse précédente, ayant réussi à gagner la zone libre, sans appuis et en état d’illégalité, j’avais été arrêté par la police, et contraint aux Chantiers de Jeunesse ? Or ceux ci, à la libération avaient été automatiquement versés dans les unités combattantes de la France Libre, dont certaines se retrouveront sous les ordres du général Leclerc dans la célèbre deuxième division blindée, celle qui libérera Paris et Strasbourg, et qui de ce fait, se couvriront de gloire !

Fatalité !

Le hasard, la chance, ou la malchance, m’épargneront ces cas de conscience.

En conséquence, mon nom ne sera pas inscrit sur les registres de l’honneur...

Non ! Je ferai modestement partie de l’humble multitude des anonymes qui se seront contentés de survivre modestement à l’enfer de la guerre, subissant toutes les pulsions de leurs instincts, dans un environnement shakespearien.

Redoutant, dès cet instant, que l’Histoire de cette époque ne soit écrite que par la minorité de ceux qui, par un volontarisme exceptionnel ou par fatalité, se rangèrent derrière celui qui, incarna l’âme de la France en juin 1940, à Londres, le général de Gaulle.

Oubliant que cette histoire n’est pas la seule qu’ait connu mon pays ! Londres n’était pas toute la France ! Il y avait aussi la France profonde de cette époque, celle de ces quarante millions de français confrontés aux rigueurs et aux contraintes de l’occupation allemande !

Il serait bon que la véritable Histoire leur consacre les pages que mérite leur abnégation impuissante devant la fatalité de ces cinq années de sacrifices...

Le récit que je viens de transmettre, en est un modeste témoignage.

Et enfin rappeler cette évidence qui risque d’être oubliée : Entre juin 1940 et la libération, que pouvaient des milliers de poitrines nues contre la puissance de feu d’un seul des char blindé de nos vainqueurs d’alors ?

Je fus l’une de celles ci...


Et telle fut alors ma destinée banale…

Mais parce que ce fut la mienne, unique et précieuse, il m’est resté quarante cinq ans plus tard, le privilège de conter ces fabuleuses années historiques 1939 - 1944, telles que je les ai passionnément vécues à vingt ans, lors d’une guerre perdue.

FIN.

28 novembre 1990.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:46:16.
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