Vivre à 20 ans une guerre perdue

CHAPITRE I
SOUS LA BOTTE ALLEMANDE

KNOCK OUT...

Après ma tentative avortée de fuite hors de France vers l’Afrique du nord, j'ai littéralement flotté moralement pendant plusieurs semaines...

J'étais comme assommé !

Une seule certitude de tous les instants : Méthodiquement les forces militaires allemandes s’installaient durablement en France. Il ne se passait pas de jour sans que résonnent à nos oreilles les bruits cadencés de leurs patrouilles bottées, défilant dans nos rues aux accents gutturaux de leurs chants martiaux !

Pas de journaux. Pas de radio, si ce n'est celle de “ Stuttgart ”. Pas de moyen de transport. En revanche, « le bouche à oreille fonctionne » très bien. Des rumeurs contradictoires et incontrôlables circulent, se propagent comme des traînées de poudre. Mon jeune esprit raisonnable souffre de l'impossibilité d'avoir une vue d'ensemble des événements qui m'aurait peut-être permis d'envisager l'avenir, de faire des projets.

Au contraire, apparaît une nouvelle nécessité, impérieuse et sans gloire en raison de la disparition progressive des produits alimentaires : Assurer la vie matérielle minimum, au jour le jour !

Au niveau politique, je me rends parfaitement compte que j'assiste à la naissance d'un autre monde dans lequel la France, phare de la civilisation depuis dix siècles, sera discrète, effacée, face à une Allemagne toute puissante, maîtresse de la terre et du ciel.

Pour combien de temps ?

Car pouvait-on encore compter sur notre alliée, l'Angleterre? Personnellement, je n'avais qu'une confiance limitée dans la volonté de notre ancienne alliée de nous venir en aide. Tant de guerres livrées, suscitées et entretenues par elle, nous avaient si souvent opposés au cours de l'histoire !

Non, l'espoir ne pouvait venir que des autres grandes puissances, plus lointaines, à l'Est comme à l'Ouest, qui ne pourraient pas perpétuellement tolérer ce pangermanisme plus expansionniste que la somme des rêves et ambitions réunis de tous les Rois de Prusse et Empereurs d'Allemagne!

Je pensais qu'un jour ou l'autre, fatalement, un engrenage se mettrait en mouvement. Celui-ci impliquerait les Etats les plus puissants de la planète, des multitudes et des forces de destructions inimaginables. Alors s'écrirait dans le sang et les larmes, une nouvelle histoire universelle où la France aurait peut-être encore une place...

Mais sous quel délai ? En ces mois de détresse absolue, j'étais incapable d'en évaluer l'échéance qui ne pouvait être que lointaine.

Mais, j'en étais persuadé : Ce jour arriverait !

Dans l'intervalle, il me fallait désormais, à la place où la fatalité m'avait maintenu, me remettre en question. Contourner les contraintes du destin actuel. M'adapter provisoirement à celui ci. Sans jamais perdre de vue l'essentiel : Ma liberté physique et mon entière indépendance d'esprit, fut-ce au péril de ma vie !

Dois-je l’avouer et même le répéter - et je n’étais pas le seul loin s’en faut : Je n'avais pas entendu l'appel du Général de Gaulle du 18 juin 1940 ...


Quelques jours plus tard, je déciderai de revenir à Juvisy, en banlieue parisienne, via Toulouse où j'avais retrouvé mes parents. Là, une vie végétative s'organisera, au jour le jour, sans véritable activité, sans but. Monotone et oisive. Jusqu'au jour où je vais faire deux rencontres qui vont m’apporter quelques dérivatifs :

D'abord à une sortie de la grand-messe, je me trouve face à face avec... Béatrice !

Elle s'est encore alourdie, mais c'est bien elle ! Heureuse de me retrouver, plus disponible qu'avant, elle va renouer nos amours... D'autant plus facilement que sa mère étant restée en Dordogne, sa maison est libre dans la journée, à condition que je la rejoigne discrètement par l'entrée arrière de son jardin !

Puis, comme je n'ai aucune activité professionnelle, j'ai repris les séances d'aviron pour m'user physiquement et m'éviter de trop penser.

C'est aussi l'occasion de faire de nouvelles connaissances. C’est ainsi que l’un de mes coéquipiers, Sternem, me présente un beau jour sa sœur Anna, une jolie blonde au merveilleux visage de porcelaine de Saxe... Dès la première rencontre, je sens que j’en suis devenu amoureux, ébloui par son visage aux yeux couleur de bleuet, par sa silhouette de tanagra...

Dès lors je multiplierai les occasions de la rencontrer au cours de tendres promenades le long des berges feuillues de la Seine, qu’incendie en fin d’après midi, le soleil couchant d’un exceptionnel automne.

Toutefois une chose m’intrigue : En dépit d’un temps constamment ensoleillé, elle a toujours sur son bras un long imperméable soigneusement plié...

Sa résistance sera longue. Ma récompense en rapport...

A nouveau le décor romantique de la Seine, le confort relatif du canoë français et les berges hospitalières d’un étang ombragé de saules et d'aulnes, seront le cadre d'un amour passionné, bien que toujours aussi mal inspiré.

Partager mon temps entre la blonde et la brune, me convaincra définitivement des charmes incomparables de la dualité...

Jusqu'au jour où je vais me convaincre de la chaleur incomparable de l’amour d’Anna, le bonheur et l’orgueil d’être aimé par quelqu’un qui semble ne vivre que pour moi ! Qui me répète passionnément que je suis sa raison de vivre, que nos séparations la bouleversent !

Ces aveux me ravissent. Je découvre avec ravissement le sentiment de régner. D'être plus aimé que je n'aime moi-même !

Anna m'apprend ainsi une nouvelle dimension de l'amour infiniment valorisante, une autre appréhension du bonheur du cœur. Surtout dans mon cas particulier où je suis encore convaincu d'être physiquement, si peu avantagé par la nature !

J’ose alors lui demander le secret de son inséparable imperméable. Sa réponse me laissera perplexe... En effet elle m’apprit que, pour des raisons qu’elle se refusa de développer, chacun de la double rangée des boutons dont celui ci était muni, était un louis d’or recouvert de tissus...

Plus tard, quand notre amour fut établi, je revins à la charge alors que nous approchions de son domicile, pour lui demander le pourquoi de cette étrange précaution… Elle me fit alors cette surprenante confidence :

-“ Tu vois les fenêtres de notre maison ? Tous les volets sont ouverts. Eh bien, si ceux ci étaient fermés, cela voudrait dire qu’il faut absolument que je m’enfuie au plus vite pour tenter de gagner la zone libre !

Tandis que je m’apprêtais à continuer à l’interroger, elle posa doucement son doigt sur mes lèvres, en ajoutant, ses beaux yeux soudain noyés de larmes :

-“ Non ! Ne me questionne pas davantage... Plus tard, peut être...

Pour toutes ces raisons, je vais lui sacrifier Béatrice... Car je suis comblé par les élans d’Anna, par le caractère un peu désespéré de son attachement. C'est ainsi qu'au moment où nous nous séparons, j'apprécie sa façon de rester accrochée à moi, regard noyé embué de larmes… Cela me trouble infiniment !

Aurait-elle un secret quelle n'ose m'avouer? Souvent, la vision de ses yeux suppliants me poursuit lorsque je me retrouve seul. Combien je l'aime alors !

Bientôt elle me confiera la clé de sa chambrette de Mimi Pinson, qui deviendra notre nid d'amour.


Cette dimension un peu dramatique de nos relations correspondait exactement avec la couleur de mon ciel d'alors, mélancolique et angoissé, en raison de la gravité des événements, de l'occupation allemande, et de mes inquiétudes pour mon proche avenir.

Une confirmation de ce pessimisme avait été superbement administrée par Hitler récemment, dans une de ses incantations prophétiques dont il avait le secret, et où il avait proclamé :

-“ Le National Socialisme Allemand fera régner sur l’Europe un ordre nouveau, pour les mille ans à venir !

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:53:07.
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