Vivre à 20 ans une guerre perdue

MAI ET JUIN 1940 : LES MOIS TERRIBLES !

1940 avait débuté par un hiver très rigoureux : la Tamise et la Seine charrièrent des glaçons ! Les restrictions avaient commencé et les premières cartes d'alimentation distribuées.

Sur le front français, aucune hostilité d'importance. Derrière la ligne Maginot, notre armée attend, l'arme au pied. C'est toujours la drôle de guerre. Et les Belges avaient confirmé qu'ils entendaient rester neutres.

Le 10 janvier, un avion courrier allemand qui s'est perdu dans le brouillard, effectue un atterrissage forcé à Malines, en Belgique... La police découvre le relevé précis des installations stratégiques belges qui devaient être bombardées lors de la prochaine offensive allemande au travers de ce pays ! Pourtant, s'entêtant dans sa politique de neutralité, le gouvernement du roi Léopold confirmera solennellement à nouveau celle-ci !

En Finlande, les armées russes enfoncent la ligne de défense Mannerheim, et obligent le pays à capituler. Celui-ci perd quarante mille kilomètres carrés, et onze pour cent de sa population est déplacée.

En France, les jeux politiques continuent... A une infime majorité, 268 voix contre 256, M. Paul Reynaud devient Premier ministre, et remplace Daladier.

Pour rompre le blocus imposé par la flotte franco anglaise, Hitler décrète la guerre sous-marine totale. Les pertes navales en bateaux de commerce atteindront alors des sommets inquiétants.

Opportunément, notre marine de guerre s'enorgueillit du lancement, à Saint-Nazaire, de notre surpuissant cuirassé “Jean Bart ”, armé de huit canons de 380 mm..

Advient alors le jour terrible du 10 mai, à 5 heures 35 du matin… Celui de la “ blitzkrieg ”, la grande offensive des armées de Hitler contre la France ! Violente comme la foudre. Véritable raz-de-marée !

Raz-de-marée qui déferlera irrésistiblement au travers des plaines de Hollande et de Belgique, puis vers les Ardennes, bénéficiant d'un temps de soleil splendide.

La soudaineté de l’attaque permettra dès les premières heures de l’offensive, à la Luft Waffe - l’armée de l’air du maréchal Goering - de détruire au sol notre aviation par surprise, avant qu’elle n’aie eu le temps de décoller ! Rendant ainsi aveugles et exposées aux terribles attaques en piqué des “ stukas ”, nos forces terrestres désorganisées.

Dès lors la France va vivre les semaines - hélas ô combien funestes et tragiques -, les plus sombres de sa longue histoire ! Tandis qu’en Angleterre, Wiston Churchill devenu Premier ministre, promettait à ses concitoyens :

-“ Je n’ai rien d’autre à vous offrir, que du sang, de la peine, de la sueur et des larmes.

En quelques jours, la Hollande capitule, et la Belgique est envahie.

Alors toute l’élite des forces françaises, ainsi que ses divisions blindées les plus performantes, s’engouffrent massivement en Flandre belge, protégées à leur droite par le massif des Ardennes...

Les Ardennes sont la protection naturelle de notre frontière, et elles ont une réputation d’invulnérabilité d’autant plus qu’elles sont puissamment fortifiées en Belgique. A ce point que l’état major du roi Léopold a estimée inutile la prolongation de la ligne Maginot.

Mais l’état major allemand a imaginé une nouvelle technique d’assaut : Des grenadiers parachutistes sont déposés par voie aérienne sur les superstructures des forts qui n’ont pas été conçus contre une attaque venue du ciel. Ce sera notamment le sort de l’ouvrage considérable d’Eben Emael, clé de voûte du système défensif de nos voisins d’outre Quiévrain, qui sera investi en quelques jours !

Grâce à ce stratagème, les panzers du général Guderian pourront foncer plein ouest. Ils franchiront alors la Meuse le 13, s’empareront de Sedan, et se précipitent à raison de cent kilomètres par jour vers leur prochain objectif : Dunkerque ! Le 20, les blindés du général Rommel seront sous les murs d’Arras, et ceux du général Guderian atteindront la mer du Nord !

Le plan allemand intitulé “ Coup de Faucille ”, est couronné de succès : L’élite de l’armée française et de ses divisions de chars d’assaut aventurée en Flandres belge, coupée de ses bases, est en péril mortel !

Toutes ces nouvelles catastrophiques - pudiquement ignorées des communiqués français - sont annoncées avec précision dans ceux diffusés par... Radio Stuttgart ! Bien entendu, en bons français que nous sommes, personne ne les prend vraiment au sérieux puisqu’il ne peut s’agir que d’une propagande mensongère diffusée par l’ennemi...

Nous nous fions plutôt aux nouvelles publiées par les journaux français qui parlent, en termes volontairement imprécis, du déroulement des opérations militaires sur le front français : Offensive en Belgique… Manœuvres défensives militaires… Furieux combats sur l’Escaut... Victorieux combats retardataires...

Puis il sera question de résistance héroïque, de replis stratégiques, de colmatages... Enfin de regroupements de nos forces sur la Meuse, puis sur l’Aisne, enfin sur la Somme... Mais tous les jours il est rappelé avec insistance que l’ennemi était contenu tout au long de notre ligne Maginot.

Survient le coup de tonnerre de l’annonce du repli du Gouvernement sur Bordeaux !

Le décalage des faits et des dates citées par les communiqués des quotidiens français, comparés à ceux de Radio Stuttgart, apparaît de manière flagrante ! Et lorsque nous apprendrons par un télégramme radiophonique que les forces allemandes avaient atteints la mer, ce sera la consternation !

Car il faudra bien alors se rendre à l’évidence : Les blindés de Guderian et Rommel fonçant plein ouest et contournant nos défenses fortifiées de la frontière du Rhin, avaient en quelques jours coupé en deux le dispositif militaire franco-anglais ! L’essentiel de nos armées blindées était isolé au nord, tandis que nos divisions d’infanterie étaient transpercées au sud par les panzers allemands !

Sanction ? Le Général Weygand succèdera à Gamelin. Ce qui n’empêchera pas la séquence tragique des mauvaises nouvelles de s’accélérer :

Le 20, Dunkerque est encerclé.

Le 28, le roi de Belgique, Léopold III, capitule sans avertir ses alliés !

-“ Votre roi est un sale Boche! ”

lancera avec colère Reynaud, à son collègue le Premier Ministre belge.

La “ Home Fleet ” entreprend alors l’évacuation du contingent anglais à Dunkerque, trois cent vingt-cinq mille soldats encerclés face à la mer. Cent cinquante mille français contiendront provisoirement les divisions allemandes, au prix de très lourdes pertes. Peu après, les survivants seront faits prisonniers.

Ainsi, sur les plages de la Mer du Nord, nous perdrons presque tout ce qui restait de nos blindés, de notre artillerie, un stock de guerre considérable, et vingt mille camions !

Abandonnée par son alliée insulaire, la France restera seule, avec des forces réduites et désorganisées, face à l’irrésistible machine de guerre nazie. Ce sera le début de la débâcle de nos armées !

D'autant plus que l'invasion allemande a provoqué une immense panique généralisée dans toutes les populations du Nord, Belges et Hollandais compris, qui se ruent en masse vers le Sud : Exode qui va jeter un million cinq cent milles personnes sur les routes dans le plus complet désordre, bloquant ainsi tous les axes routiers, et paralysant les mouvements de notre armée en retraite.

La succession de ces mauvaises nouvelles en ce sinistre mois de mai 1940, se prolongera en juin : Le 7, abandon de Narvik, suivi de la capitulation de la Norvège. Le 10, l'Italie nous déclarera courageusement la guerre.

Paris, déclarée ville ouverte, tombera le 14.

Hitler s'y rendra peu après... Il visitera rapidement la capitale. L’Arc de Triomphe, les Invalides où il méditera devant le tombeau de Napoléon... Au cours de ce voyage il déclarera vouloir faire de la France, vassalisée, un territoire agricole et une “ réserve ” pour le repos de ses guerriers !

La Seine franchie, les armées nazies déferlent vers le Sud, franchissent la Loire le 15, et prennent à revers la ligne Maginot.

Le Maréchal Pétain succède à Daladier au ministère de la guerre.

Le 16 juin, sans doute conscient de la déroute sans précédent des armées françaises, Winstor Churchill fait à la France une étrange proposition : La fusion des deux pays ! Notre gouvernement repoussera la proposition.

De Londres, le 18 juin - l’histoire le retiendra - le Général de Gaulle lancera un appel à la résistance. Personne autour de moi ne l'entendra...

Finalement le 22, le Maréchal Pétain sera contraint de demander l'armistice, dans l'honneur.

Le 25, les hostilités s'arrêtent. La France est vaincue comme elle ne l'a encore jamais été au cours de sa longue histoire, et en trente cinq jours seulement !


En fait, ce que je viens de résumer en quelques lignes des événements de mai - juin 1940, correspond à la séquence historique de notre défaite telle que je les français la connaîtrons ultérieurement...

Car toute autre sera la connaissance que j'en aurai à la même époque, à Bordeaux...

En effet, les journaux et la radio dont je dévorais les communiqués, avaient donné une version très édulcorée des événements, dont voici quelques unes des formules, vagues et imprécises:

-“ Scandaleuse agression nazie de la Hollande et la Belgique! ”

-“ Résistance héroïque de celles-ci.

-“ Intervention victorieuse de nos troupes outre Quiévrain.

-“ Batailles décisives dans les Ardennes.

-“ La vaillance de nos armées contient l'adversaire au nord de la Belgique.

Puis, brusquement, il sera question de combats sur la Meuse... De la défense victorieuse de Dunkerque... Plus tard, de la reconstitution d'une ligne de défense infranchissable sur la Somme... De batailles glorieuses retardatrices... Enfin d'un front sur la Loire !

Puis, les nouvelles deviendront encore plus imprécises, contradictoires. Les plus folles informations circuleront. Surtout depuis que déferlait sur la capitale girondine le flot de plus en plus important de réfugiés affolés venant des régions nordiques. Tous propageaient les informations les plus alarmantes. Jusqu'à annoncer l’arrivée des blindés nazis à Poitiers et Angoulême ! Certains même faisaient état de colonnes motorisées allemandes fonçant sur Bordeaux !

Dans les ateliers de Rombas où je travaillais, l'activité était réduite, souvent interrompue par des alertes aux bombardements. Une lourde atmosphère de pessimisme et de doute s'installait.

Survint le 20 juin, par une belle après-midi ensoleillée dont je ne suis pas prêt d'oublier toutes les péripéties...

Subitement, tous les hauts parleurs de l'usine appelèrent l'ensemble du personnel à se rassembler sur l'esplanade d’honneur, pour la lecture d'un communiqué militaire exceptionnel !

Chaque jour, une telle annonce était faite, mais cette fois l'heure semblait plus grave. L'usine s'arrêta. Tous, ouvriers, agents de maîtrise, ingénieurs, administratifs, nous attendions dans un pesant silence, soupçonnant qu'une nouvelle considérable allait nous être transmise. Qu'allait on apprendre ?

Soudain, le son des haut-parleurs se mit à grésiller...

Alors une voix un peu chevrotante, que nous reconnaîtrons tous comme étant celle du Maréchal Pétain, prononça ces mots terribles, bizarrement entrecoupée de passages pratiquement inaudibles :

-“ C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ! ... dans l'honneur ... demander à nos adversaires les conditions d'un armistice ... L'esprit de jouissance ... On a voulu épargner l'effort ... Trop peu d'enfants… Trop peu d'armes...

C'était plus que je ne pouvais en entendre ! Le Maréchal Pétain en personne venait d'avouer la défaite de la France !

Défaite historique, totale. En moins d'un mois, les deux tiers de notre territoire étaient occupés par l'ennemi ! Notre armée, victorieuse vingt ans plus tôt du même adversaire, était écrasée par les fils des vaincus d'hier !

Subitement, je me rappelais l’anecdote prémonitoire de Bad Ems, que mon père m'avait contée lorsque j'étais enfant...

Après l'armistice du 11 novembre qui avait mis victorieusement fin à la Première Guerre de 1914 1918, son régiment avait participé à l'occupation militaire de la Rhénanie. Il avait alors logé chez un instituteur allemand. Parvinrent les clauses du Traité de Versailles qui avaient durement puni l'Allemagne. La nouvelle déclencha chez l'instituteur, très patriote, une folle colère. Il entraîna alors mon père dans son jardin. Avec une hache il mutila au ras du sol un lilas, en déclarant :

“ Ainsi avez-vous fait du mon pays... Mais cet arbre ressuscitera, plus grand et plus fort. Et mes garçons feront la guerre à vos enfants !

Combien prophétique avait été cette parabole !

Aujourd’hui, nous étions vaincus par les fils de ces vaincus d’hier !

L’esprit accablé, je me sentais profondément humilié. Révolté aussi, car je sentais autour de moi une atmosphère veule de soulagement égoïste, de résignation, d'absence de colère. D'acceptation tacite.


Un peu plus tard, j'errais dans Bordeaux et méditais sur l'histoire de mon pays. Je me rappelais la défaite de 1870 face aux Prussiens, les aïeux de nos vainqueurs d'aujourd'hui, et sur l’héroïsme de la résistance de la France à cette époque.

Son patriotisme d'alors m'émerveillait. Son armée toujours ressuscitée depuis la reddition impériale à Sedan... La défense héroïque de Paris... Les sursauts d'un peuple qui n'avait plié les genoux, qu'exsangue !

A cette époque, seul un tiers de notre territoire avait connu l'humiliation de l'occupation. J'en savais quelque chose puisque j'étais originaire de Lorraine, et que mon enfance avait été bercée par les récits des anciens qui racontaient - les yeux pleins de larmes, l'âpreté des combats d’alors, la honte de la défaite... Et, montrant du doigt la “ ligne bleue des Vosges ”, ils avaient rêvé de revanche !

Or, ce 20 juin, je me sentais un fils lâche, indigne de mes ancêtres... De nos péres qui, au prix de la vie de combien d'entre eux, avaient permis de laver la défaite de 1871 au cours de celle de 1914 à 1918, et de rendre à la France les deux provinces perdues, l'Alsace et la Lorraine. Ma Lorraine natale !

Je me torturais l’esprit pour essayer de comprendre comment mon pays avait-il pu en arriver là ?

Très sincèrement, je ne voyais qu’une seule explication : Vingt ans de démagogie politique, qui avait perverti le cœur de la France, son âme, et ruiné sa puissance !

D'autre part, j'estimais que la couardise des accords de Munich en septembre 1938, avait entraîné les événements de juin 1940. Fatale impuissance d'un gouvernement de politiciens essentiellement démagogues, soucieux de leur seule élection… Sourds aux dangers mortels que nous menaçaient, ils avaient été élus grâce à leurs promesses, à leurs belles paroles de réduction du temps de travail, séduisant ainsi des électeurs avides de facilités.

C’était mon jugement d'alors !

Raisonnement peut-être simpliste, mais les faits étaient là : Mon pays, la France, était vaincu.

Quel triste destin nous attendait ?

Pour l'heure, il y avait la douleur.

Et la honte !

Le général ROMMEL

Mai 1940 – Eclaireurs allemands - Témoignages de la déroute française

Mai 1940 – L’offensive des blindés allemands au travers de la plaine de France.

Misserschmitt 109

Retraite de nos soldats

Mai 1940 . L’exode des populations du Nord .

Misserschmitt 110 au-dessus de Paris.

Paul Raynaud, Guy Bonnet, le général de Gaulle, et les membres du gouvernement, après le remaniement ministériel du 6 juin 1940.

SCEANCE DU GOUVERNEMENT DANS LE CADRE DU CASINO DE VICHY

Le maréchal PETAIN

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:54:52.
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