Vivre à 20 ans une guerre perdue

MARIAGES EN PAYS NOIR

Récemment, j'ai été invité à un mariage polonais...

Ripaille et hospitalité incomparables, dignes de la noce normande de Flaubert ! Je suis ébahi par l'abondance des mets, des viandes, des pâtisseries, invraisemblable après trois années d’occupation ! Sans parler de celle des alcools...

Expression de joie populaire telle qu'on la voit sur les tableaux du peintre flamand Bruegel, de gens très simples mais généreux, prêts aux plaisirs et aux gros rires bruyants.

J'observe les femmes. Les plus âgées, en tabliers bleus, s'affairent à la cuisine où règne la chaleur insupportable de la cuisinière de tôle noire, aux aciers luisants, dont la plaque et le four sont surchargés de plats et marmites diverses. Elles veillent à ce que les tables soient toujours bien garnies.

Le père de la mariée, une bouteille à la main, remplit inlassablement tous les verres, aussitôt vidés.

Les mères, endimanchées et chapeautées de neuf, parlent très haut. Elles dominent les débats, indulgentes envers leurs hommes qui s'imbibent consciencieusement d'alcool. D’ailleurs, très peu seront en état de faire deux pas, le soir, quand la musique de l'accordéon appellera tout le monde à danser. Visages épanouis, rouges et hilares, ils regarderont les jeunes gens s'animer.

De solides garçons, gênés dans leurs vestons et gilets du dimanche, entraînent vigoureusement les jeunes filles dans des valses et polkas polonaises échevelées, ponctuées de violents coups de talon qui ébranlent le sol.

Musique polonaise que je découvre. Mélodies naïves, parfaitement rythmées, témoins d'un riche folklore paysan encore tout proche.

Soudain je remarque des sons nouveaux : Deux mandolines relaient les accordéons, avec des langueurs de balalaïkas russes.

D'abord simple spectateur, je ne tarde pas à tomber sous le charme de ces mélodies joyeuses et parfois nostalgiques qui évoquent les plaines immenses de la Vistule, et je me laisse entraîner par l'audace de belles et robustes filles endiablées, naturellement prédisposées au plaisir.

Alors qu'entre deux danses je suis sorti pour prendre l'air, des gamins et des gamines de douze à quatorze ans, intrigués par mon allure parisienne, m'interrogent, me demandent mon nom. Flatté, je leur réponds volontiers, pour avoir ensuite la surprise de les entendre chanter, dès que j'aurai tourné le dos, une ronde improvisée sur ces paroles accompagnées de fou rires :

-“ Nonet, nonette,

Crotte de maguette,

Tin cul y pète,

Comme "eune" trompette...

Dès minuit, les adultes baissent de régime, deviennent somnolents. Par contre, dans chaque coin d'ombre, de jeunes couples s'enlacent, filles têtes renversées en arrière, bouches offertes. Elles me font penser, dans leur hâte d'aimer, aux fleurs qui n'ont que quelques jours de splendeur... En effet, comme leurs mères et leurs grands-mères, la plupart ne chanteront qu'un été : Elles se marieront très, très vite... Et leurs corps, seront bientôt alourdis par des maternités successives...

La fête durera trois jours, sans que nourriture, boisson et musique ne faiblissent. Le tableau final fera penser à un champ de bataille, sans survivant ! Mais avec des promesses de maternité et de mariage !


Quelle différence d'ambiance et de joie offertes, de spontanéité, avec les agapes protocolaires d'ingénieurs auxquelles je serai convié – rarement - par la suite !

Celles-là sont cérémonieuses, hiérarchisées, conventionnelles, strictement de "bon ton", sous la surveillance des dames d’ingénieurs très observatrices et souhaitant paraître suprêmement mondaines dans leurs robes datant de 1939.

Nourritures peu abondantes, alcools limités, que l'on déguste précieusement, l'auriculaire en l'air. Atmosphère guindée, sans spontanéité.

Lorsque vient l'heure de la danse, les mères ajustent leurs lunettes. Les jeunes filles sont raides, appliquées à maintenir leur cavalier à distance respectable. Pourtant, j'en connais une ou deux qui, loin des regards familiaux, sont diablement délurées et peu farouches !

Chez les Ingénieurs, la fête ne dure qu'une soirée dont le point d'orgue consiste, en final, à rendre ses hommages au souverain Maître qui les honore de sa présence, et sans lequel rien ne serait parfaitement réussi : Monsieur le Directeur Général !


Les noces les plus fastueuses, où se dépensent de véritables fortunes, sont celles des gros commerçants... Pour eux, c'est le moment rêvé pour exhiber tout son argent de manière ostentatoire.

C'est l'occasion de fêtes rabelaisiennes, où toutes les audaces sont permises. C'est du "Clochemerle" à l'état pur, sans hypocrisie inutile. Hommes et femmes s'en donnent à cœur et à corps joie.

Occasions d’ouvertures incomparables, pour les jeunes célibataires audacieux !

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:54:53.
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