Vivre à 20 ans une guerre perdue

PREFACE

Il y a trois histoires des guerres :

Celle de ceux qui en sortent victorieux, inscrite dans la mémoire de l’humanité.

Celle des vaincus, promise à l’oubli.

Enfin celle des légions d’anonymes qui ont subi le poids des défaites, ignorée...

Entre 1939 et 1945, je serai l’un de ces anonymes qui subiront les conséquences de la défaite de nos armées, et condamné à vivre sans gloire sous le joug de nos vainqueurs...


Pourtant j’ai ardemment vécu ces années extraordinaires ! Passionnément ! A ce point que je souhaite transmettre cette partie du roman de ma vie, à ma descendance.

Obscure histoire de l’un de ces millions de français, vaincus, sous la botte nazie au long de cinquante mois interminables...

Mon histoire, à l’âge de mes vingt ans !


Non ! Je n’ai pas été un héros !

Seulement l’une de ces multitudes de victimes de la fureur hégémonique d’un homme machiavélique qui se croyait capable de défier le destin, et d’imposer par le glaive et par le feu, la domination de l’Allemagne sur toute l’Europe, pour mille ans !

Victime d’événements prodigieux, et pourtant en proie avec tous les puissants instincts de ma fureur de vivre !

Opportuniste au sens littéral du mot, par nécessité et par raison.

Broyé comme tous les jeunes de ma génération, mais acharné à survivre. Marqué à vie dans ma chair et dans mon esprit, par les pesanteurs exceptionnelles d’une défaite atroce.

Mais aussi épargné d’avoir eu à faire certains choix cruciaux...


Quelle aurait été, par exemple, ma destinée, si, selon le plus ardent de mes vœux au lendemain de la défaite de juin 1940, et pour la refuser, j’avais réussi à embarquer vers le Maroc sur l’un des derniers bateaux qui réussiront à quitter le port de Bordeaux, en l’occurrence le Massilia ?

Sans aucun doute, par tradition patriotique, lors du débarquement allié de 1943, j’aurais repris les armes d’enthousiasme !

Tout peut alors être supposé... Même ma disparition, comme ce fut le cas de bien des jeunes de ma promotion tombés au cours des combats de Sicile, et surtout au Mont Cassino...

Fatalité !


D’autre part, pendant ces longs mois de l’occupation, combien de fois ai-je tourné et retourné dans ma tête ce qu’aurait dû être ma conduite, si certaines éventualités s’étaient présentées...

Par exemple lorsque passaient dans le ciel de la nuit au dessus de ma tête les escadres de super forteresses porteuses de mort, subissant les assauts de la chasse et de la redoutable D.C.A. allemande... Parfois, apparaissaient dans le pinceau blême des projecteurs, les minuscules corolles blanches des parachutes de l’équipage d’un avion allié abattu...

Qu’aurais-je fait si l’un de ces pilotes était tombé à proximité ?

Un réflexe d’assistance aurait immédiatement joué pour m’inciter à dissimuler cet anglais ou cet américain ! Implication obligatoire vers un cycle d’engagements hasardeux : Filières de résistance, de passeurs… Avec risques d’arrestation, interrogatoires, tortures, par la Gestapo...

Ou encore si, lors d’une sommation de comparaître à la Kommandantur à la suite d’un attentat contre l’un des membres de l’armée allemande, j’avais été menacé dans ma liberté ? Sans aucun doute j’aurais décidé de fuir ! Donc de nouer avec l’engrenage des réseaux clandestins vers une aventure aux prolongements imprévisibles...

Celui-ci par exemple : Ayant réussi à gagner la zone libre, j’aurais vraisemblablement été interpellé par la police d’alors, et contraint aux Chantiers de Jeunesse ! Or ceux-ci à la libération furent automatiquement versés dans les unités combattantes de la France Libre, et certaines se retrouveront sous les ordres du général Leclerc dans sa célèbre deuxième division blindée, celle qui libérera Paris et Strasbourg !


Le hasard, la chance - ou la malchance - m’épargneront ces cas extrêmes... En conséquence, mon nom ne sera pas inscrit sur les registres glorieux de la France combattante...


Non ! Je serai, modestement, l’un de cette cohorte de jeunes qui devront se contenter de subir, « au mieux », et avec toute leur ardeur de vivre propre à leur âge, l’enfer de l’occupation.

Ce sera ma destinée.

Et justement, parce que ce fut la mienne, unique et précieuse, je me risque à ce privilège hors du commun cinquante ans plus tard, de conter pour ceux qui voudront bien me lire, mon aventure au cours de cette guerre perdue.

Retour au sommaire <-- --> Chapitre suivant


Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:59:08.
Site réalisé par Sébastien SKWERES
Valid XHTML 1.0 Transitional