Vivre à 20 ans une guerre perdue

DE SEPTEMBRE 1941 A FEVRIER 1942

Toute la France écoute désormais la radio de Londres, en dépit d’un brouillage permanent. Elle compare ce qu’elle y entend, avec les informations qui sont délivrées par l’officielle « Radio Paris », et constate ainsi des divergences flagrantes ! D’ailleurs à ce sujet, le commentateur de la France libre - Pierre Dac - ironise en chantant au début de chaque émission d’informations :

-“ Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand !

Comme tous les français, chaque semaine je regarde au cinéma les images de la guerre telles que les voient les caméras allemandes.

A l’évidence les soviétiques offrent maintenant une résistance acharnée, et le temps des redditions d’armées entières en quelques jours est révolu. De plus, à en juger par ce que l’on voit, l’absence d’un réseau routier semblable au nôtre dans l’immensité russe, ne convient pas à une armée motorisée.

Quand je prends le train pour Paris, j’achète les deux revues allemandes destinées aux troupes et publiées en français : “ Signal ” et “ Der Adler ”. La qualité du texte et des photos est impressionnante ! Ainsi que la documentation sur les nouveaux engins de guerre allemand.

Quel progrès dans l’art de tuer ! Les nouveaux canons auto propulsés et les récents blindés de plus de trente cinq tonnes armé de tubes de cent millimètres, donnent une impression d’invulnérabilité. Quant aux récents chasseurs et bombardiers, leur armement et leur vitesse sont semble-t-il sans égales.

Dans la capitale, à partir de septembre 1941, je suis frappé par le nombre des étoiles jaunes qui fleurissent sur les vêtements de certaines personnes, particulièrement dans les quartiers République, Réaumur et Sentier. J’apprendrai que ce sont les ressortissants juifs qui sont ainsi étiquetés, comme jadis les lépreux !

Mais le sujet essentiel de toutes les conversations concerne les extraordinaires succès des divisions allemandes sur le front russe.

Hélas oui, les armées de Hitler semblent irrésistibles !

Les espoirs que l'on avait mis sur le nombre énorme des divisions russes, sur l'immensité du pays, commencent à s’estomper au fur et à mesure de l'annonce des victoires allemandes !

Des provinces industrielles et agricoles, vastes comme plusieurs fois la superficie de la France, sont conquises ! Il semble même que bientôt les cartes de la Russie d’Europe ne suffiront plus pour suivre la pénétration allemande, car, à la mi novembre, les années nazies sont déjà parvenues jusqu’en Crimée !

Un noir pessimisme règne, et l’on ne donne pas cher de la résistance possible de la capitale Moscou, abandonnée par le gouvernement, et en proie semble-t-il, à une folle panique...

Moscou ! Moscou qui avait été le calvaire de la Grande Armée de Napoléon ne paraît pas, à l’orée de l’hiver 1941, permettre d'espérer le renouvellement d’un semblable miracle !

Sur le front de l'Atlantique, la marine de guerre de l’amiral Donitz poursuit sa guerre sous marine à outrance avec succès. Elle tente d’empêcher le transfert du matériel de guerre, depuis les U.S.A. vers l’Angleterre et la Russie, en multipliant les raids dévastateurs de ses sous marins. Etranglés, la situation de ces deux pays devient critique.

Le maître du Reich semble proche de la victoire finale.

C’est alors que la main du destin va faire un geste qui passera presque inaperçu tant il était insignifiant - une soixantaine de disparus seulement, tandis que des millions d’hommes trouvaient le même sort sur les champs de bataille...

Un U Boot, l'un des “ loups de mer ” de la Krieger Marine, coule à la torpille, par inadvertance, un destroyer américain à proximité des côtes américaines !

L’annonce de l’agression déclenche la fureur de la presse d’outre Atlantique. Le “ Washington Post ” affirme que ce torpillage doit entraîner l’abrogation de la loi sur la neutralité américaine !

Ce qui adviendra. Le Congrès l’abolira peu après, et consentira un prêt énorme - un milliard de dollars - à l'U.R.S.S !

Mieux ! Désormais, des bâtiments de guerre U.S. accompagneront les convois maritimes alliés !

Cette nouvelle, aux conséquences incalculables, comblera d'espoirs les Français qui, comme moi, l’ont entendue. C’était, à n’en pas douter, le début d'une première implication de l'Amérique dans le conflit européen. Après l’URSS, la mondialisation du conflit était en route !

Une bonne surprise n’arrivant jamais seule : A partir de décembre, il devient évident que le ton des communiqués allemands en provenance du front russe change... Avec l'arrivée du froid et l’enneigement de la plaine russe, il semble bien que la machine de guerre allemande se grippe, puis se bloque, enfin s’immobilise.

Finie la guerre éclair, le Blitzkrieg foudroyant en quelques semaines ! L'espoir de Hitler d'une victoire totale sur la Russie avant les rigueurs de l’hiver russe et son manteau blanc de la neige, risque de devenir un blanc linceul.

D’ailleurs fin décembre 1941, il est certain que l'assaut sur Moscou a été un échec.

Staline aurait constitué autour de la capitale un réseau défensif de trente kilomètres de profondeur, réquisitionnant tous les civils disponibles, et en rameutant 300.000 réservistes provenant des provinces d’au delà de l’Oural.

Selon la radio de Londres, l’offensive allemande sur la capitale se serait même achevée par un début de débandade générale !

Ainsi, le miracle de l'hiver russe qui avait ruiné l'orgueil de l'Empereur Napoléon, se répétait : Non seulement les Allemands étaient stoppés, mais ils reculaient ! Fascinante lumière d’espoir à l'est ! Et je me prends à penser que la future défaite allemande, sera plus proche que je n'avais osé l'espérer !

En outre, je crois comprendre que le transfert du matériel américain au travers de l’Atlantique vers le port russe de Mourmansk - le seul libre de glaces pendant l’hiver -, est intense. Que ces mois de frimas intenses sont été un répit providentiel pour l'U.R.S.S.. Ce temps qui nous avait tant manqué lors de la campagne de France !

Je pense que l’U.R.S.S., la grande, la très vaste U.R.S.S., a tiré les leçons des premiers mois catastrophiques du début de la guerre : Elle a laissé s'étirer en profondeur le front des combats grâce à l'immensité de son territoire. Elle a transféré à l’ouest, au delà de l’Oural et en Sibérie, ses manufactures et son industrie lourde. D'autre part, il est évident qu’elle dispose encore de ressources humaines considérables en raison de l’importance de sa population : Cent quatre-vingts millions d'habitants!

Après l'échec des troupes allemandes devant Moscou et Leningrad, avec l'hiver et l'évolution de la politique américaine qui ont maintenant choisi d'aider l'Angleterre et l'U.R.S.S., à l’évidence la guerre a changé de dimension.

Il apparaît aussi que l’Angleterre se transforme en une forteresse inexpugnable. Son industrie, puissamment ravitaillée par les Etats-Unis, et son immense empire colonial, forge de nouvelles armes en quantités considérables, celles-là même dont l'absence avait causé notre défaite.

Le temps où l’abondance des forces mécaniques alliées surpassera celle des Allemands, n'est plus éloigné.

Toutefois, le tigre germanique n'est que blessé. Et je redoute qu'au printemps suivant, la Wehrmacht ne s'ébranle de nouveau à l'est, vers de nouveaux succès.


Soudain, le 7 décembre, une nouvelle considérable ébranle une autre partie du monde !

Par un coup d'audace inouï, les bombardiers japonais décollant de leurs porte-avions, ont détruit la quasi totalité de la flotte de guerre des Etats-Unis, à l’ancre dans la baie de Pearl Harbour aux Iles Hawaï, en plein Pacifique !

Malgré eux, les Américains, jusqu'alors neutralistes, vont être contraints à leur tour, d’entrer dans la spirale d'une guerre planétaire !

Aux antipodes, les forces impériales japonaises, alliées à Hitler et à Mussolini par le “ Pacte d’Acier ”, vont connaître une série de succès flamboyants qui stupéfieront le monde.

A Noël, on apprend la chute de Hong-Kong, symbole de la puissance coloniale et économique anglaise. La domination japonaise s'étend ensuite d'île en île, sur cette partie du monde, notamment à Java, Sumatra, et Bornéo, ces îles riches et surpeuplées qui dépendaient à cette époque de l'empire colonial hollandais.

Cette mondialisation du conflit sera confirmée le 11 décembre 1941, par un autre prodigieux coup de tonnerre : L'Allemagne et l'Italie déclarent la guerre aux Etats-Unis !

Ainsi, par cette provocation aberrante des pays totalitaires, contraints et forcés, les Etats Unis d’Amérique vont être dans l’obligation intervenir physiquement sur le continent européen !

Désormais, j’en étais sûr, la défaite des Allemands à terme, était scellée !

D’autant plus qu’on apprend par Londres, que Staline a déclenché en plein hiver le 4 janvier, une offensive générale sur l’ensemble du front de Moscou !

La Russie n'était donc pas à genoux comme on avait pu le redouter ! Elle avait su mettre sur pied de nouvelles divisions sibériennes, revêtues de tenues de camouflage blanches, et armées de canons et de tanks américains...

Devant ce péril mortel, Hitler, pour galvaniser le courage de son peuple - après avoir limogé ses généraux Guderian et Von Brauchitsch - va prendre personnellement le commandement de toutes les armée allemandes !

Ce qui n'empêchera pas une véritable panique de ses troupes devant Moscou, qui reculent de deux cent cinquante kilomètres…


Sur le front du Pacifique la flotte américaine ne peut guère s’opposer pour le moment à l'expansion japonaise, tant la supériorité de la marine de guerre nippone, surtout en porte avions, est flagrante.

Après Hong-Kong, la toute puissante forteresse maritime anglaise de Singapour, assaillie de manière imprévue depuis la jungle Malaise, tombe à son tour.

Ensuite, les forces U.S. du Général Mac Arthur seront contraintes d'évacuer les Philippines. En réembarquant, celui-ci déclarera solennellement :

-“ Je reviendrai !


Début 1942, d’autres mauvaises nouvelles : Sur le front de Libye, Rommel s'est emparé de Benghazi.

En février, notre splendide paquebot “ Normandie”, converti en transport de troupes, brûle intégralement dans le port de New York. Attentat ?

Toutefois, à la veille du printemps de mes prochains vingt deux ans, ma conviction, en dépit de ces revers et de ceux encore inévitables à venir, est résolument établie : La coalition anglo-américaine du fait de sa surpuissance industrielle et technique, associée au rouleau compresseur des armées d’U.R.S.S., mettra un jour prochain définitivement à genoux, nos anciens vainqueurs nazis !

Malheureusement, je suis tout aussi assuré que la France n’aura pas beaucoup de poids dans cette gigantesque offensive générale alliée. Et que notre sol en serait obligatoirement le théâtre, un jour ou l’autre.

A quel prix, compte tenu de la présence des divisions allemandes sur notre sol ?

Qu’il convenait en conséquence, ainsi que j’en avais déjà fait le serment après mon échec d’embarquement sur le Massilia, de rester plus que jamais circonspect, et de veiller à n’importe quel prix, à sauvegarder mon entière liberté.

Dans l’intervalle, il me reste à tenter de survivre, au mieux, et au jour le jour, en chantonnant parfois les soirs d’embellie avec Maurice Chevalier:
Ca sent si bon la France...
Ma ritournelle, c’est la plus belle... avec Tino Rossi...

Et aussi, en pensant aux malheureux prisonniers retenus dans les stalags et les oflags, la belle chanson écrite à leur intention :
Attends moi mon amour...

Forteresses volantes alliées larguant leurs bombes au-dessus de l’Allemagne.

Super canon allemand sur voie ferrée, bombardant la côte anglaise depuis la région du port de Boulogne.

Conquêtes allemandes en Europe et en Afrique du Nord de 1939 à 1942.

Front russe, en février 1941.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 14:00:47.
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