Aime-moi Mamour

10 AOUT 1948 : MAIN DANS LA MAIN

Dès lors tout se passera très vite : Aveux d’amour partagé… Fiançailles… Et le 10 août 1948, sous un ciel superbement ensoleillé, les cloches de l'église de Liévin vont carillonner à toute volée pour célébrer notre mariage !

Pour le meilleur et pour le pire.


Alors que les orgues de la tribune jouent la marche nuptiale de Mendelssohn en notre honneur,
La marche nuptiale de Mendelsohn
je ne peux m'empêcher, en imagination, de visionner la scène dont je suis l’acteur principal, car je possède parfois ce don particulier de dédoublement : Etre à la fois au balcon, et passant dans la rue...

Est-ce bien moi ce long jeune homme amaigri, le visage osseux, en costume croisé bleu marine, qui descend, un peu raide, l'allée centrale d’une l'église presque vide - seule une cinquantaine de personnes assistent à notre mariage, moitié parents de Wanda, moitié amis, fournisseurs et clients - avec au bras cette jolie jeune femme que sa belle robe blanche amincit encore ?

Est-ce bien moi celui qui vient de s'engager solennellement, devant Dieu et les hommes, par le mariage, et pour tout le reste de sa vie, de partager avec celle qu’il a choisie, toutes les joies et toutes les peines, dans la plus parfaite fidélité, et ce, jusqu’à la mort ?

Oui, c'est bien moi ! Et j'ai alors la certitude absolue que, grâce à celle qui est à mes côtés, ma vie va prendre un splendide départ aujourd'hui !

Tous deux, nous allons, main dans la main, nous atteler dans la joie et l'amour, pour réussir pleinement notre vie de couple ! Et, plus tard, au travers de nos sept enfants à venir, réaliser tout ce que je m’étais souhaité à moi-même d’exceptionnel !

Mais avant de parvenir à ces plages de soleil, que de chemin à parcourir ! Que de difficultés à vaincre, que de travail à accomplir ! Tout est à construire, à créer, à gagner...

Mais à l’issue de cette cérémonie, j'ai d'un coup recouvré tout mon courage, tout mon enthousiasme !

A moi, ma volonté et mon imagination !

Et avec toi, ma tendre épouse !

A nous deux, mari et femme, mains tendues vers l'avenir, le cœur heureux, épaule contre épaule, d'un même pas, nous sommes partis pour réussir notre vie ! Pour fonder une grande et belle famille, catholique.

Je suis parfaitement conscient que j’ai envers mon épouse des devoirs à vie, de fidélité, tendresse et protection.

Je me sens rempli de certitudes, de vaillance et de projets.

En avant !


Après un très modeste repas nuptial pris au restaurant, nous nous sommes discrètement éclipsés au milieu de l’après midi.

Départ pour la région parisienne : Nous avons convenu avec mes parents de nous rendre - en guise de voyage de noces car nous manquons d'argent – pendant quinze jours dans leur maison de Draveil. En échange, ils occuperont pendant la durée de nos de vacances - qui correspondent à la durée du congé annuel des ouvrières de mon atelier - la maison de chemin Manot, et y surveilleront les ventes au détail.

Draveil ! Le premier fleuron de mes succès passés.

Alors que nous roulons vers Paris dans ma petite camionnette Simca nouvellement achetée, je réalise subitement que je connais à peine celle qui, depuis seulement quelques heures, est ma femme... Je songe aussi à toutes les difficultés, tous les aléas de la longue vie qui nous attend...

Mais nous nous aimons, alors rien n’est impossible !

Au fur et à mesure que nous approchons de notre destination, un trouble étrange m’envahit, songeant que ce jeune corps serré contre mon épaule, m’est promis...

Après un léger dîner en bordure de forêt à Senlis, nous voici dans la riante maison de Draveil. Notre chambre est prête. Par la fenêtre grande ouverte sur la nuit, tous les parfums nocturnes de l'été pénètrent.

Face à celle qui va devenir ma femme, une étrange impression m'envahit, inhabituelle. Au lieu du grand coup de flamme de désir qui d'ordinaire m'embrase et me jette comme un loup affamé sur la femme désirée, une soudaine fatigue me paralyse, et me rend faible comme un enfant...

Je me souviens, soudain, qu'à l'autel devant le prêtre, j'ai déjà du m'y reprendre à deux fois pour lui passer à son doigt pourtant docile, l'anneau nuptial...

Il en sera de même en cette romanesque nuit... Et ce ne sera que le lendemain, à l'aube du 11 août 1948, que la virginale Wanda sera définitivement mienne !

C'est sous les auspices de ces deux défaillances, peut-être symboliques, que commencera notre vie, de couple...

En sourdine, la radio fait entendre la belle chanson :



« Quand il me prend dans ses bras,

Je vois la vie en rose…

que chante Edith Piaf…


Ces quinze jours de repos passés en Ile-de-France - faute d'un voyage sur la Côte d'Azur sans doute plus idyllique - vont me permettre, par leur totale intimité, de découvrir vraiment celle à laquelle je me suis engagé pour un si long et si périlleux voyage...

Elle n'est aucune des femmes que j'ai connues dans le passé... Différente, neuve, à créer. Merveilleuse découverte d'un être qui, non seulement m'a donné son corps et son cœur, mais aussi son être tout entier pour que j'en fasse ce que je désire ! Jamais je n'ai encore rencontré une telle preuve d'amour, un don aussi total !

Ces offrandes m'enthousiasment et m'attendrissent. M'émeuvent bien plus que n'importe quel charme corporel ou aveu passionné. J'envisage dès cet instant toutes les joies que pourra m'apporter la possibilité de la faire femme deux fois, physiquement, et intellectuellement.

Ainsi, grâce à mes soins attentifs, elle pourra devenir la femme idéale dont je rêve, sous tous les plans.

Aussi parfaite que mes mains et mon esprit, seront capables de la faire devenir.

Jamais encore aucune maîtresse ne m'a inspiré un tel espoir ! Une telle certitude de réussite.

Comment, dans ces conditions, ne pas aimer celle qui deviendra mon propre reflet narcissique? Passionnant chef-d’œuvre d'un sculpteur d'un nouveau genre. Modeste émule de Pygmalion, qui s'était épris de la statue qu'il avait créée à son image : Galatée !

Tu ne sauras jamais, mon petit mouton chéri - c'est ainsi, te souviens-tu, que j'avais pris l'habitude de t'appeler tendrement en raison de certains de tes entêtements soudains ? - combien alors je t'ai aimée pour toutes les promesses que tu m'avais laissé entrevoir !

Le cœur rempli d'un amour nouveau, je suis un autre homme, transcendé, qui va attaquer avec une ardeur retrouvée, avec la volonté inflexible de réussir, et avec toute sa créativité, la carrière où la fatalité l’a placé.

En osmose et harmonie parfaite avec celle que je me suis choisi.

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 16:24:10.
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