Aime-moi Mamour

LA GRANDE GREVE D’OCTOBRE 1948

Je vais interrompre pendant quelques pages mon désir de chanter les louanges et les joies que m’apporte, au fil des semaines et des mois, ma si tendre et jeune épousée…

D’autant plus que, progressivement, elle va se révéler une maîtresse exceptionnelle sans qu'elle en soit vraiment consciente, par don naturel inscrit dans son patrimoine héréditaire, bien heureux accord charnel, si important pour moi !

Temps bénis !


On ne peut en dire autant de l’environnement social qui règne en France en 1948…

En effet, à peine trois mois après notre mariage, le climat politique de la France s'envenime dangereusement, surtout dans notre région du nord.

Alors que le pays est encore ruiné, dévasté par cinq ans de guerre, qu’il n'est libéré que depuis trois ans, que les besoins en charbon sont énormes, une grève, longue et dure, va s'inscrire dans l'histoire de la Mine.

Elle débutera le 4 octobre 1948, pour des revendications raisonnables au départ : Augmentation de salaire, sécurité mieux assurée, maintien de certains avantages acquis.

C’est ainsi par exemple que l’habitude voulait que chaque mineur à l’abattage puisse rapporter du fond à chaque remontée, une "gaillette" de cinq à dix kilos de beau charbon pour son usage personnel, en plus de son allocation mensuelle de six quintaux par mois...

C'est alors que le député communiste ( !), Marcel Paul, l’actuel Ministre du travail, décidera d’interdire cette coutume ! Il a décidé cette mesure impopulaire, ayant évalué que le tonnage de la totalité de ces "gaillettes" ainsi prélevées, représentait chaque jour un demi train de charbon !

Contradiction électorale, cette mesure économique sera rapidement politisée… par la centrale syndicale C.G.T. - elle même communiste ! - Celle-ci va adroitement exploiter la colère des mineurs, convaincus de leur force compte tenu des immenses besoin en combustible du pays.

En effet, à cette époque, la France était encore dans un état de pauvreté extrême, notamment au niveau de la production de l’énergie. Pour y palier, le gouvernement avait même lancé une campagne publicitaire : "La guerre du charbon". Pour augmenter la production, il accordera aux bons ouvriers mineurs des primes en nature : Vêtements, vélo, demi cochon... C’est ainsi que les mineurs comprendront très vite que leur travail est indispensable au redressement industriel national, et que, par conséquent, ils pouvaient revendiquer de plus en plus d’argent et d’avantages...

Donc, ce sera la grève !

Sur 250.000 ouvriers, 218.618 se prononcèrent « pour ». Avec le dépôt d'un cahier de revendications où se mêlait le souhaitable (reconnaissance de la "silicose" du mineur comme un accident du travail), et l'abus d’un minimum salarial exagéré par rapport à celui des autres catégories ouvrières.

Le Gouvernement refusera, arguant du risque d’une augmentation généralisée des salaires sur le plan national, et par voie de conséquence, une nouvelle vague d'inflation.

Personne ne veut céder. Le temps passe... Chaque jour, la France perd 100.000 tonnes de charbon. Les C.R.S. (qui ont remplacé les gardes mobiles d'avant 1939), interviennent sans résultat. Attisée par le parti communiste et ses ténors politiques de l’époque, Lecoeur et Thorez, la grève devient rapidement insurrectionnelle.

Pour tout le borinage - d'Auchel et Béthune à l’ouest, jusqu'à Denain et la frontière belge à l’est soit sur cent kilomètres – qui est sous le contrôle de l'extrême gauche et de la C.G.T., c’est l’affrontement. Les commerçants doivent faire crédit, certains seront même réquisitionnés. Les mairies communistes émettent du papier monnaie... La situation s’éternise.

Alors le nouveau Ministre du travail, Jules Moch (pourtant socialiste), décide de faire intervenir des unités de l'armée du Rhin stationnées en zone française d'occupation en Allemagne !

En quelques jours, le pays noir est quadrillé militairement, avec un appui d’importants contingents d'engins blindés. Devant un tel déploiement de forces, une certaine partie des mineurs décide de reprendre le travail, mais ce n’est pas suffisant pour entraîner un mouvement de reprise générale.

Car, parvenu à ce point d’agitation quasi révolutionnaire, les communistes ont entrevus la possibilité de faire basculer la France vers un régime de Démocratie Populaire du type de ceux imposés par Moscou en Europe Centrale. Ils attisent donc l'insurrection, soufflant sur le feu.

L’allure de la grève change alors du jour au lendemain : Sabotages systématiques de l'outil de travail, ce qui ne s'était encore jamais vu dans l'histoire pourtant tourmentée de la Mine !

Les plus enragés des grévistes culbutent des berlines dans les puits d’extraction des fosses - dont certains descendaient à mille cinq mètres - afin de rendre impossible le travail des ascenseurs, culbutent des wagons du haut des ponts pour entraver la circulation routière !

La situation devint dramatique, notamment pour les milliers de chevaux vivants au fond de la mine, et les déplacements des particuliers qui devront demander des autorisations aux comités de grève, comme aux pires temps de l’occupation allemande...

L’armée reçoit alors l’ordre d’investir les carreaux de fosses dont les grilles ont été cadenassées, enchaînées, et même parfois soudées... Les tanks enfoncent les murs. La troupe s'assure les piquets de grève. Les C.R.S. procèdent à de nombreuses arrestations.

Des équipes de sécurité sont réquisitionnées, et, sous la protection de soldats, remettent en service un à un les puits d'extraction saccagés. La liberté du travail est assurée par une surveillance militaire des corons, afin de protéger les familles des ouvriers ayant repris le chemin de la fosse, de la vindicte des plus extrémistes des militants syndicaux.

A la fin de la septième semaine de grève, le travail reprend progressivement...

Elle a eu l’originalité d'avoir été mâtée par un ministre de gauche, et socialiste de surcroît ! Ce qui illustrait parfaitement la différence de conception marxiste à la française de ce parti, avec celle de l’internationalisme communiste inféodé à Moscou de son allié politique du moment, pour des raisons électorales...


Curieusement, cette grève insurrectionnelle sera exclusivement circonscrite aux régions minières ! Je pourrai m’en rendre compte, au cours d'une tentative de voyage à Paris par le train, peu de jours après l’arrivée des contingents de l’armée du Rhin.

Alors que l'armée commence à quadriller la région, notamment en région lensoise, je constate qu’à partir d’Arras, tout était absolument normal. Paris travaille comme si de rien n'était. On ressent même dans la capitale une certaine colère du monde ouvrier lui-même, contre les mineurs ! Car - et c’était parfaitement connu - leur situation financière était plus qu’enviable par rapport aux autres catégories sociales !

Contraste, lorsque je rentrerai le soir par le dernier train, je ne pourrai pas sortir de la gare de Lens ! Elle est bloquée par les grévistes en colère… contre les cheminots qui ont refusé de faire une grève de solidarité !

En longeant à pied les voies de chemin de fer, je remonterai vers le grand pont ferroviaire qui enjambe le canal et la route de Liévin, jusqu'à ce que je trouve le poste de garde militaire de l'ouvrage. Là, un jeune lieutenant Saint-cyrien acceptera de me reconduire Chemin Manot à bord d'un half-track blindé, qui nuira quelque peu ma réputation...

Mais qui me permettra de retrouver sans plus d'encombre, les bras chaleureux de mon petit mouton, très inquiet de mon retard.


Cette grève insurrectionnelle se terminera enfin le 27 novembre, laissant la population minière appauvrie par la perte de deux mois de salaire.

Conséquence indirecte de celle-ci, elle mettra en péril mon plan de redressement financier, et me fera à nouveau connaître de gros problèmes de gestion.

Toutefois, j'aurai eu l'orgueil remarquable d'avoir assuré la continuité du travail de l'atelier en dépit des menaces appuyées du comité local de la C.G.T. contre ma personne !

Qu’importe, mes ouvrières n'ont pas perdu une seule journée, et leur paye a été régulièrement assurée, en dépit de toutes ces difficultés.

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:32:15.
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