Aime-moi Mamour

COMMENT AI-JE PU PERMETTRE CELA ?

Parvenu à ce point – infiniment pénible et douloureux - de mon récit, je dois reconnaître que je considère les pages qui vont suivre, comme l'occasion d'une véritable confession…

Confession d’un comportement, presque odieux, que j’ai eu alors envers mon père...

Confession qui éclairera mes lecteurs éventuels, sur l’égoïsme foncier et la vanité de mon personnage !

En effet, combien ai-je été alors coupable, sourd et aveugle ! Ingrat et impitoyable envers un homme seul…

Qui m'aimait profondément mais avec clairvoyance, qui m’avait consacré le temps de sa retraite et accepté pour me rendre service de quitter la riante région parisienne pour le maussade environnement de la triste maison de Chemin Manot... Mais que je n’ai pas su, ni comprendre ni aimé...

Que l’avais rejeté !

Difficile de me souvenir exactement comment cela avait commencé... Bien sûr, en toile de fond, il y avait eu son ancienne opposition permanente avec ma mère, toute entière préoccupée aujourd’hui à se consacrer exclusivement à mes enfants…

Pourtant, lors de l'emménagement de mes parents Chemin Manot, tout allait bien entre eux deux. Mais, peu à peu, leurs anciens griefs étaient réapparus, et mon père, selon son habitude, avait imposé des temps de longues bouderies afin de faire capituler ma mère.

Mais maintenant, celle ci n’était plus seule face à son mari : J’étais là pour la protéger, et elle recevait toute l’affection de ma femme. Donc, il n’était plus question pour elle de céder. D’autant moins que désormais, elle participait dans toute la mesure de ses moyens à la prospérité de mon entreprise, et qu’elle œuvrait pour le retour auprès de nous du petit Maurice.

Tout cela va devenir l'unique objet de toutes ses pensées, ses soins, et de tout son temps... De ses justifications.

Au détriment de mon père, qui souffre moralement de cette mise à l'écart délibérée de la part de son épouse, et de la mienne !

Car dans toutes leurs disputes, systématiquement, je prendrai le parti de ma mère, ne pouvant supporter de la voir pleurer.

Cette situation va s'envenimer, sans que j'y prenne garde, et par ma faute, au fil des mois. Essentiellement parce que je n'ai pas la volonté de prendre en charge moi-même mes enfants, et aussi je dois l’avouer, parce depuis toujours, je donne à ma mère une préférentielle affection.

Omettant ainsi celle que je dois à mon père !

Une série d’incident va encore aggraver la crise...

Mon père est conscient d'être exclu. En effet - par représailles parfois - je ne le fais pas toujours participer à nos sorties de week-end, tandis que ma mère n'en manque aucune... Hypocritement, j'invoque le manque de place dans mon break, le problème des chiens... Osant même l’assurer de la nécessité de sa surveillance des magasins et atelier, lors de nos absences !

Alors, isolé, marginalisé, mon père va reporter toute son affection sur son chien, Uhlan - l’un des fils de ma T'Sultane, splendide berger allemand au gabarit impressionnant - qui lui est tout dévoué.

Or, ma mère - qui n'a jamais beaucoup aimé les animaux parce que ceux-ci sont trop encombrants - va prendre en grippe ce brave animal, lui interdisant même l'accès de la maison, arguant des raisons d'hygiène !

Or mon père et son chien sont devenus inséparables ! Au point que celui ci couche dans sa chambre, ce qui scandalise ma mère !

Alors, elle va argumenter que les enfants ne supportent plus l’odeur de la cuisson de la pâtée de Ulhan, que mon père effectue pourtant en dehors de la cuisine, celle ci lui ayant déjà été interdite pour cette raison.

Finalement, la guerre entre eux va donc s’installer.

Et je vais alors prendre une décision absolument inique et scandaleuse !

Déménager mon père et son chien en dehors de la maison principale, dans la petite dépendance de trois pièces située de l’autre côté de la cour, sous prétexte de lui assurer l’espace d’un bureau et d’un salon pour la télévision, afin de pouvoir regarder l’émission qui lui convient…

En fait, une véritable exclusion de la vie familiale !

Oui, j'ai osé faire cela !

A partir de ce moment, mon père va s'enfermer dans une semi solitude, retrouvant en cette occasion les voies de la piété religieuse de sa jeunesse ecclésiastique. Un peu plus tard - quand il commencera à souffrir de sa colonne vertébrale - il prendra même l'habitude de se rendre, appuyé sur deux cannes, à la messe chaque matin... A lire et méditer des passages du petit livre d’heures qu'il avait conservé du Grand Séminaire de Tours : "L'imitation de la vie de Jésus".

Il semble se résigner.

Je ne ferai rien pour rendre son isolement moins pénible. Presque consciemment satisfait de cette situation qui permet à ma mère de se consacrer exclusivement à mes enfants. M'enferrant ainsi dans une dépendance à ma mère. Dépendance bien éloignée de mes ambitieux projets d'éducation rationnelle par nurse interposée...

Mais j'ai tant de travail ! Tant de plans et de projets en cours ! Et je suis aussi si monstrueusement égoïste !

Et aveugle ! Car j'aurais du constater, depuis les premiers mois de 1955, que mon père a beaucoup changé physiquement. Il maigrit, tousse souvent, mange peu, marche difficilement. Devient anormalement maussade et renfermé.

Un matin du mois d’août, alors qu’il joue comme à l’accoutumée avec son chien dans le jardin, un faux mouvement lui arrache un cri de douleur, l'oblige à se laisser tomber à terre, et à appeler à l'aide parce qu’il ne peut plus se relever ! Quand j'arriverai, il est déjà alité, le visage ravagé par la souffrance.

Le médecin diagnostique une crise aiguë de rhumatismes, du genre lumbago ou sciatique. En outre, après un examen approprié, il l'informera qu'il est menacé de devenir, comme son père l’avait été, prostatique.

En 1955, nous vivons une époque de triomphalisme scientifique dans tous les domaines. L'explosion des découvertes est considérable. Tout semble sur le point d'être compris, résolu.

C'est également vrai en médecine et en pharmacie : La pénicilline, par exemple, combat presque toutes les infections, la tuberculose en particulier. Et dans leur domaine, les chirurgiens réalisent des prodiges.

Je suis très impressionné par tous ces succès, par toutes ces découvertes... Ce qui m’incitera, précipitamment, à conseiller à mon père une intervention chirurgicale sans autres investigations préalables.

Lui-même, en homme résolu et courageux - se rappelant sans doute la mort dans les pires souffrances par urémie de son père atteint du même mal, et qui avait refusé toute opération - est lui-même décidé à subir celle-ci. D’autant plus facilement que sa crise de rhumatismes s’est apaisée.

Ses crises de douleurs, sa maladie, ont ressoudé la famille. Une bienheureuse atmosphère de tendresse générale règne à nouveau.

C’est ainsi que, dans le plus bel optimisme, j'accompagne mon pére à Lille, au Service Urologique du professeur Lafrance, le chirurgien le plus réputé de la région.

Face à l’épreuve, mon père a retrouvé toute sa verdeur, toute sa gaieté. Et aussi toute sa bravoure devant les deux interventions qui l'attendent, car à cette époque, l'opération de la prostate se fait en deux étapes.

Son moral, et la vigueur de son cœur "de vingt ans", feront de lui un opéré idéal et un convalescent exemplaire, et son retour à la maison aura lieu dans la certitude d'une guérison définitive.

Toutefois, Chemin Manot reste partagée en deux maisons. Et, les inquiétudes sur sa santé ayant disparues, l'antagonisme passé entre mes parents ne tarde pas à renaître. L'atmosphère redevient empoisonnée.

Tout aussi automatiquement, je reprends le parti de ma mère à chacune de leurs querelles, entraînant à chaque fois une nouvelle mise en "quarantaine".

Après trois mois de grâce au niveau santé, mon père recommence à se plaindre de sa colonne vertébrale au niveau des lombaires. Fin novembre, survient une nouvelle crise de rhumatismes suraiguë, selon son médecin traitant...

Mon père décide alors, pour se soigner plus efficacement, de passer quatre semaines de cure à Amélie-les-Bains, station thermale spécialisée dans ce genre d’afflictions, des Pyrénées orientales, située à 1.100 kms. de Lens ! A vingt heures de train, et à la veille de l’hiver !

Tout le monde applaudit à cette décision, d’autant plus que ce lieu a été chaudement recommandé par ma tante Laurence - elle-même tourmentée de rhumatismes depuis plusieurs années - et qui le fréquent chaque saison dans le même hotel, et qui s’est chargé de lui retenir une chambre.

Je l'accompagne à la gare de Lens, alors que Noël approche..

Ses premières lettres sont laconiques, mais optimistes. Puis, peu à peu, elles traduisent un ennui progressif désabusé. Enfin, le triste constat de l'échec de sa cure, et l’annonce de son retour pour le 13 janvier, par le train de nuit qui devait arriver à Lens vers onze heures le lendemain matin.

C'est un vendredi. Je l'attends sur le quai, à l'emplacement approximatif de son wagon de première classe, en queue de convoi.

Les voyageurs descendent rapidement car il fait très froid. Je regarde, cherche, et ne vois pas mon père... En hâte, je remonte toutes les voitures jusqu'en tête du train. Là, j'aperçois un groupe d'hommes qui descendent une civière…

Un affreux pressentiment me pince le cœur !

Oui, c'est bien lui ! Le visage émacié, douloureux, les traits creusés par la souffrance. Mais l’expression heureuse des yeux d'un homme qui retrouve enfin un être cher, qui va retrouver la chaleur de son foyer après une longue absence...

Ce long regard, rempli d'amour paternel à mon égard, et son état de gisant sur un brancard, me bouleversent. Aussitôt il me tient fermement la main, les yeux clos, avec un air d'apaisement.

Tout a été parfaitement prévu par lui depuis son départ d'Amélie-les-Bains : Une ambulance l'attend.

Quel retour ! Ma mère est livide. La petite Marie-Christine qui ne comprend pas, interroge innocemment :

-"Pourquoi Bon-Papa il est couché ?

Uhlan, sensible à cette atmosphère de drame, lèche le poignet de mon père, en gémissant doucement.

Aujourd’hui, il faut se rendre à l'évidence : L'état de sa colonne vertébrale a considérablement empiré, sans que l'on sache exactement pourquoi. Le moindre de ses mouvements lui arrache des cris de douleur, suivis d'une expression de désespoir et de fatigue intense.

Son médecin ne manifeste pourtant pas une inquiétude alarmante. Selon lui, ce n'est qu'un cas classique d'échec d'une cure thermale, avec une aggravation de la crise due à l'humidité de la station d’Amélie les bains.

Prescription : Repos absolu et allongé. Rien d’autre. Pas de médication, pas de traitement chirurgical, et pour tout traitement antalgique, la prise régulière d’apirine... Je crois entendre le Docteur Fourdinier, au temps de ma pleurésie, me conseillant pour tout remède, la patience !

Pourtant, partiellement rassurés, mais désolés devant tant d’impuissance, nous espérons une amélioration progressive avec le retour des beaux jours.

Ma mère se dépense maintenant sans compter entre les deux maisons. Très vite, malgré ses dénégations et son refus de se faire aider, je constate qu’elle se fatigue. Il va devenir nécessaire de prendre de nouvelles dispositions.

C'est encore mon père, qui, de lui-même, va prendre la décision la plus convenable : Il écrit à sa sœur Léa de Saint Gratien, de venir le rejoindre.

Dans les quarante-huit heures, la toute dévouée tante Léa arrivera Chemin Manot, avec sa petite valise... Et avec son grand cœur !

Dès lors, elle va se dévouer corps et âme à mon père. Retrouvant sa vénération de sœur cadette et son admiration de jeune fille simple et naïve, envers un frère aussi exceptionnel, et qui avait été l'orgueil de sa famille au temps où il avait porté la soutane !

Elle lui murmure souvent :

-"Mon Nan-Nan - diminutif de Fernand, c'était ainsi qu'elle le surnommait affectueusement - tu vas voir comme je vais bien te soigner... Tu vas bientôt guérir...

Dès cette date, toute la vie de la famille s'organisera ainsi autour du lit de mon père.

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:17:42.
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