Aime-moi Mamour

FAMILLE ET PROSPERITE

Les années heureuses ont-elles une histoire ?

Notre existence au 14 rue Bollaert est parcourue, main dans la main, Wanda et moi, avec bonheur et enthousiasme. Années de vie qui apportent, une à une, toutes les satisfactions que je me suis promise.

Certes, toutes nos journées ne sont pas toujours parfumées de roses, ni exemptes d'épines, surtout pour ma dévouée épouse, mais elles sont récompensées par la joie d'avoir atteint les objectifs - au prix d'un labeur obstiné - que je nous ai assigné.

Personnellement, celui-ci ne me coûte jamais : J'aime l'effort dans le travail, avec le même goût que celui qu'exige le sport. Presque avec jubilation, par plaisir de vaincre et d’atteindre les buts que je me suis fixé.

Ce n’est pas toujours exactement le cas de mon épouse… Certes, elle aime son métier avec passion parce que celui-ci la valorise, mais elle le subit parfois avec une certaine révolte :

-« Quand je pense qu'il y a des jeunes femmes qui n'ont rien à faire, qu'à se promener, à s'occuper d'elles et de leurs enfants !

Démonstration éclatante d'un atavisme familial héréditaire, et d'une forme d’éducation conditionnant par tradition les filles de sa race à devenir exclusivement des épouses et des mères de famille chargées des responsabilités du foyer, gardiennes de l’éducation des enfants. Tradition dépassée dont je ne veux pas.

Mais, somme toute, années parfaitement heureuses et fructueuses.


Surtout pour moi depuis mon étrange voyage au pays de l'ombre dont je suis maintenant convaincu de la réalité depuis les propos entendus chez Romain Z. : Je vis avec passion la seconde partie de ma vie ! Pas une journée où, à un moment où à un autre, je n’ai l'envie de monter sur une table pour m’écrier :

-« Merci mon Dieu ! Trois fois merci ! Que ma vie est belle !

Prompt à m'enthousiasmer pour les simples joies de tous les instants : Fleurs de givre aux branches noires des arbres en hiver, flamboiement du crépuscule lorsque des nuages pourpres incendient l'horizon, fines gouttes de rosée à l'aube sur la toile de soie géométrique de l'épeire dorée, courbe gracieuse d'une branche d'aubépine en fleurs, vol vertical de l'alouette et son trille qui annonce la moisson... Tout m'est prétexte à des enchantements soudains, quels que soient les grincements obligatoires de notre vie professionnelle et familiale.

Pourtant, à l'instant où je voudrais conter ces années, l'inspiration semble soudain me manquer... Les bonheurs d’aujourd’hui, ont-ils une histoire, comparé aux orages des vingt cinq années précédentes si faciles à narrer ? D'ailleurs j’ai fais une curieuse constatation me concernant et confirmant ce que je viens d’exprimer...

Je suis passionné de grande peinture... Or, dans les musées, je suis prioritairement captivé par l'univers tourmenté de certains peintres tels que Jérôme Bosch, alors que mon attention - pourtant ravie - glisse sur les représentations sereines des meilleurs peintres tel que Fra Angelico...

De même, en visitant une cathédrale gothique, si je regarde le tympan du grand portail avec son traditionnel jugement dernier, c'est surtout la partie inférieure du bas-relief représentant les tourments réservés aux damnés de celui-ci, qui retient longuement mon attention...

De même que mon goût pour l'art baroque - et sa figuration follement passionnée de sentiments exaltés - est une autre illustration de mon attrait pour ce qui est particulièrement tourmenté.

C’est sans doute cette préférence à ne me souvenir de manière préférentielle que des événements tragiques, qui fera que je n'ai conservé de cette décade d’années heureuses, que le souvenir d’une route fleurie, ponctuée "d'images photos"… Telles des scènes de vacances, de Marie-Christine et Maurice sur la plage du Touquet, des fêtes de Noël en famille, des cérémonies de première communion...

C’est pourquoi je continuerai à évoquer plutôt de manière préférentielle, des anecdotes alarmantes, des accidents de parcours. Et, prochainement, un drame conjugal aux conséquences dramatiques !

Pour l’heure, rien ne perturbe la voie que je me suis tracée lors de mon mariage au mois d'août 1948 : Fonder une famille, une dynastie, qui, grâce à une stricte politique d'expansion et de capitalisation, devrait permettre à nos enfants, facilités, aisance et promotion sociale à venir !

D’ailleurs j’estime que cela coule de source, tant l’évolution de mes deux enfants au fil des ans me ravit !

Merveilleux film de la croissance de mon petit garçon dont la personnalité originale commence à apparaître, et de ma si gentille et si souriante petite fille, étonnamment blonde, et aux yeux si bleus hérités de son ascendance polonaise.

Hérédité qui va se démontrer à l'occasion d'une certaine scène, qui sera pour moi une date et un signe !


J'avais donc du céder à propos de l'intervention d'une gouvernante préceptrice dans l'éducation de mes enfants... Mais conformément à mon projet, le moment venu, j'avais imposé le moment venu – l’entrée en sixième - ma volonté de confier Marie-Christine à l'exceptionnel internat Notre-Dame de La Bassée. Etablissement réputé de manière flatteuse dans toute la région en raison de sa qualification pédagogique, et de sa fréquentation élitiste.

Tout comme l’est également celui auquel je destine Maurice dans trois ans : l'Institution Saint Jean de Douai.

La transition du maternage affectueux et tendre de ma mère, pour une certaine austérité de pensionnat - si exceptionnel qu'il soit -, sera douloureusement ressentie par ma gentille petite fille… Mais j'estime celle-ci nécessaire, d’autant qu'elle est limitée à cinq jours par semaine, et atténuée par ma visite du jeudi. Et surtout par la gentillesse quasi maternelle des petites Sœurs de ce pensionnat.

Dans l'ensemble, au départ, tout se passe apparemment le mieux du monde, alors que j’avais beaucoup redouté ce changement de vie, me rappelant ma propre expérience au Séminaire de Saint Pé...

Discrètement, le premier mois, j'avais même surveillé par des visites quasi journalières à La Bassée, que tout se déroulait bien pour ma petite fille.

La Supérieure m'ayant rassuré, j'en étais arrivé à des visites bihebdomadaires, une le jeudi, l'autre le samedi pour le retour du week-end. La séparation du dimanche était parfois pénible, mais sans plus.

Pourtant, un beau lundi, alors que jamais jusqu’à ce jour Marie Christine ne nous avait donné l'occasion de constater la moindre rébellion de sa part, ce sera le blocage total ! Le refus absolu, de retourner à La Bassée !

D'un coup, Marie-Christine est au bord de la crise de nerf... Rien n'y fait... Sa grand-mère a beau déployer tous ses talents de tendresse, de raisonnement, de l’ultime menace de mon arrivée prochaine, en vain !

Avec toute la force physique dont elle est capable, elle refuse obstinément d'enfiler son manteau et de quitter sa chambre. Ma mère est aux cents coups !

J'arrive en voiture à l'heure habituelle. C'est le plein drame. Pleurs, hurlements. Ma mère, bouleversée, reconnaît son impuissance. A mon tour je tente de comprendre, de convaincre... En pure perte.

J'hésite entre deux solutions. Attendre une demi-journée pour que, la fatigue aidant, passe la crise... Mais je redoute de créer un précédent. Je décide donc d'user de mon autorité, estimant que c'est la meilleure solution. Pour l'exemple.

Mais je serai sidéré par les réactions de Marie Christine ! J'aurai à affronter un véritable petit démon !

Qu'est devenue ma si douce et si gentille petite fille blonde aux yeux bleus ? Je ne la reconnais plus dans cette chatte ivre de furie, hurlant, mordant, griffant... Se tordant sous mes mains comme possédée du démon ! Faisant preuve d'une vigueur incroyable, qui ne peut s'expliquer que par la proximité d'une véritable crise de nerfs…

Ma mère - qui se souvient du traitement que mon père m'infligeait lorsque j'étais en proie à de telles colères - me tend un verre d'eau froide. Au comble de l'émotion, puis, pris de colère à mon tour, je lui en envoie le contenu à la figure ! Loin de la calmer, ce traitement redouble les effets de son hystérie.

Alors je perds toute retenue... Je l'empoigne et la retourne sur son lit, relève sa jupe, et lui administre la plus carabinée des fessées qu’elle ait encore jamais reçue, et d’ailleurs la première et la seule de sa jeunesse !

Ma colère aidant, j'ai sans doute la main un peu lourde, car mes doigts en la cinglant, me font mal, et je constate leurs empreintes sur la finesse de sa peau...

La surprise de la violence de la sanction, et sans doute aussi la douleur, suspendent les cris et la résistance de ma petite fille... Je prends alors son petit corps sous mon bras, l'installe dans ma voiture à côté de moi, et nous partons pour La Bassée...

Je suis satisfait de ma démonstration autoritaire, et du résultat de mon traitement, me consolant de mes excès par le dicton : "Qui aime bien, châtie bien !"

Satisfaction de courte durée... A mi-chemin, Marie-Christine, après ces quelques minutes de repos, a rechargé tous ses accus ! La crise reprend de plus belle, mais cette fois, c'est moi qui suis en situation d'infériorité puisque mes mains sont occupées à conduire : La petite diablesse l'a bien compris, et elle en profite !

Elle agrippe mon volant avec fureur, le secoue de toutes ses forces en tous sens, nous faisant décrire sur la route d'inquiétantes sinuosités, au point que je devrai réduire considérablement ma vitesse jusqu'au pensionnat, pour éviter un accident…

Arrivé à destination, je prends Marie-Christine à bras-le-corps, tandis qu'elle se débat comme un serpent que l'on tiendrait par son milieu, et faute de mieux, la dépose au bureau de la Supérieure...

La sérénité des lieux, le calme tranquille de cette femme remarquable beaucoup plus expérimentée que moi en psychologie enfantine, la douceur ferme de sa voix, vont opérer le miracle que l’autorité brutale de ma vigueur physique n'a pas su réaliser...

Un quart d'heure plus tard, Marie Christine, épuisée, défigurée par les pleurs, la fatigue et le chagrin, avait retrouvé un calme relatif, manifestant même maintenant tous les symptômes attendrissants d'une immense détresse... Elle était redevenue, ma douce et tendre petite fille chérie...

Mon retour à Lens sera morose, plein d'interrogations et de remords pour ma brutalité. Comment expliquer le paroxysme d'une telle crise, chez une enfant habituellement si douce et obéissante ? Certes, une justification naturelle m'apparaissait : Le désir de ne pas quitter la tendresse du cocon familial, souhait que j'avais moi-même souvent ressenti, lorsque j’étais pensionnaire à Franchot... Mais de là à cette explosion passionnelle dévastatrice !

Passionnelle ? J'avais trouvé la clé ! En effet, à l'évidence, je ne pouvais manquer de discerner l'identité de comportement dans cette crise, entre ma fille et sa propre mère... Pareillement, mon gentil petit mouton m'avait souvent démontré l'expression de semblables débordements : Refus obstinés, blocages absolus, paroxysmes de crises de nerfs…

Crises contre lesquelles je ne pouvais rien faire, ni par les raisonnements de l'esprit, ni en faisant appel à son cœur. Surtout pas en ayant recours à la colère ou à la violence ! Véritables moments de déraison, où un chagrin immense entretenait une exaltation à la limite de la défaillance nerveuse, dans un déploiement de force physique insoupçonnable !

Ascendance slave? Je ne pourrai m'empêcher de penser alors, à l'héroïne si bien décrite par Tolstoï dans son roman Anna Karénine, Anna dont les flambées imprévisibles de passion ravageuse, contrastaient avec son attitude habituelle de douceur, en si parfait accord avec sa blonde pâleur et ses yeux bleus rêveurs...

Je passerai une si mauvaise matinée en pensant à ma malheureuse petite fille, au point que je ne pourrai résister à la tentation de venir prendre de ses nouvelles dès le lendemain...

J'arriverai à La Bassée pour la récréation de dix heures... Aussitôt, la Supérieure me fera signe, et me rassurera par ces mots :

-« Marie-Christine ? C'est fini, oublié... Regardez-la jouer avec ses petites compagnes !

Effectivement, je la vois, gaie comme un pinson, s’amuser avec ses petites amies. Quand elle me rejoindra, le temps de m'embrasser, elle m’apparaîtra fraîche comme une rose, exactement comme si rien ne s'était passé !

Exactement ce qui se passait avec sa maman après une crise de nerfs : Quelques heures après avoir donné l'impression d'avoir épuisé toutes ses ressources dans la furie de son désespoir, le lendemain elle était aussi fraîche qu'une fleur après la rosée !

Toutefois, la Supérieure, alors que je m’apprêtais à prendre congé, me gratifiera d'une condescendante remarque:

-« Mais comme vous avez l'air fatigué Monsieur Nonet !

Ainsi me sera administré, de façon magistrale, la révélation d’une hérédité mère - fille, riche d'enseignements pour l'avenir !

Et aussi ces réflexions quelque peu moroses : N’avais-je pas souhaité un enrichissement de ma race par un croisement avec une souche ethnique différente ? Je venais d’avoir la démonstration des aléas de celui-ci... A quelles autres surprises, dans les dix ou quinze années prochaines à venir, devrai-je m'attendre ? A quels problèmes, à quelles surprises issus de cette hérédité, serai-je confronté dans l’avenir ?

D’ailleurs, quand j'observe mes blonds enfants - qui pour l’instant me ressemblent si peu - je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine mélancolie... Car je n'échappe pas à la règle qui veut qu’un père souhaite se reconnaître dans sa descendance… Surtout chez son garçon ?

Orgueil "machiste" d'avoir transmis son inscription génétique, au détriment de celle de son épouse... Pour moi, devant l’évidence de cette absence de prééminence, j'avoue éprouver une certaine déception : J’aurais tant voulu que ma descendance soit, de préférence, de "mon sang" !

Que l'on dise de mes enfants :

-« C'est exactement le portrait de leur père...

même si cela amenait le commentaire peu élégant:

- "tout craché" !

J'ai l'impression qu'une chaîne s’est rompue. Celle de la ressemblance flagrante qui me lie morphologiquement avec mon père et mon grand-père paternel... Avec mes enfants, celle ci ne se prolongera pas.

Mais ai-je vraiment tant de dons dignes d'être transmis avec bonheur ? Sans avoir fait encore à cette époque des recherches sur mes origines paternelles et maternelles, je sais pourtant dès maintenant que - seul de sa lignée - mon père a été une personnalité d’exception.

Alors, je me convaincs que c'est peut être une chance pour mes blonds enfants d'être marqués par le vent venu de l'est... D'ailleurs c'est dans le sens de l'histoire : Les grandes invasions se sont toujours faites d'est en ouest...

J'entrevois que j'ai peut être été présomptueux en voulant fonder une dynastie qui consiste à donner à son fils premier né le même prénom que le sien… Que peut être celui-ci n’éprouvera pas la nécessité de poursuivre le même geste...

Je commence à pressentir avoir commis un vain péché d'orgueil, en croyant fonder une lignée d’enfants ambitieux, partis à la conquête des promotions sociales !

D'ailleurs, ne m'étais-je pas promis sept enfants ?

A l'évidence, cinq manquent à l'appel, alors que j'approche des quarante ans… Parmi ceux-là, certains, sans doute, peut être, m'auraient ressemblé davantage... Moments de mélancolie fugace, bientôt balayés par le retour de mon enthousiasme habituel !

D'autant plus que je me consolerai de leur absence de ressemblance physique avec moi, en décrétant que celle-ci n'est pas essentielle. Que leur morphologie ne constituant que « l'emballage » de leur personnalité ! Que les enfants héritent de leurs parents non seulement charpente et aspect, mais aussi de l'esprit, de l'intelligence et de la volonté.

Peut être alors que sur ces plans, j'aurai l'occasion de me reconnaître en eux, plus tard...


Justement Maurice a déjà souvent attiré mon attention au niveau de certains aspects de sa personnalité qui se révèle déjà... A l’évidence, il a besoin - plus que sa sœur et que les autres enfants en général - d'être aimé ! Ou plutôt de se sentir aimé de manière préférentielle, prioritairement à sa sœur Marie-Christine notamment !

Par exemple, lové dans les bras de sa grand-mère ou de ceux de sa maman, privilégié par cette intimité exclusive, combien son visage rayonne de bonheur, de sérénité heureuse !

Par contre, s'il se sent ou s'estime oublié ou seulement négligé, il s'éteint, devient maussade... Tête inclinée vers le sol, paupières baissées, il joue sans entrain ni enthousiasme. Expression boudeuse et rancunière. Refermé sur un monde qu'il se fabrique sans doute en imagination, pour suppléer à ce qu'il ressent comme un vide affectif.

Mieux, si Marie Christine, pour une raison ou une autre devient la vedette de la famille pour quelques minutes, loin de partager la joie générale, il apparaît évident qu'il en conçoit du chagrin, presque du dépit… Que cela lui porte de l'ombre !

ette disposition du cœur est si éclatante que j'ai fait souvent l'expérience d'inverser la chose en le sortant tendrement de son isolement par un regain d’attention et de chaleur le concernant… Alors, automatiquement, joie et bonheur illuminent ses yeux !

Cela se confirmera au fil du temps par la répétition de ce mécanisme.

Avec d'autant plus d’évidence que cela me rappelle des souvenirs personnels au même âge... Comme lui j'avais éprouvé ce fol besoin de tendresse exclusive de la part de ma mère ! Mon goût pour notre solitude à deux… Et le sentiment de rupture douloureuse lorsque rentrait mon père…

Combien je me sens apte alors, à comprendre ce qui se passe dans la tête et le cœur de mon fils !

Mais je n'ai pas oublié non plus, en contrepartie, le handicap que me causera ma mère en m’encourageant à une tendresse privilégiée envers elle. Tendresse privilégiée qui me conduira à éprouver, plus tard, un sentiment voisin de la haine envers mon père, parce que celui cil faisait souvent pleurer les beaux yeux de ma chère maman !

Ces constatations me confirment dans une filiation spirituelle avec mon fils, qui pourrait dégénérer - j'ai été payé pour le savoir - vers une émotivité et sensibilité excessives.

Je dois m’employer à éviter ces risques.

Et pour commencer, donner à mes deux enfants le goût du sport et de l’effort physique ! Notamment celui de "l'eau", en leur apprenant à nager sans plus tarder !

Bien sur, ce sera d'abord le tour de ma gentille petite fille, parce qu'elle est de trois ans l’aînée. Cela se fera si facilement que je n'en ai conservé aucun souvenir particulier, si ce n'est l'expression de sa joie, de son entrain et de son ardeur. Indiscutablement, elle sera douée pour le sport ! Bientôt, au Touquet, il faudra plutôt la freiner, tant elle passe d'heures dans l'eau, nageant avec aisance crawl et brasse, véritable petit poisson qui déjà plonge comme une sirène !

J'observe son frère sur la plage... Sa sœur tente de l'entraîner vers l'eau, là où l'on a encore pied. Je remarque une réticence, une appréhension de sa part que j'attribue au fait du décalage d'âge. Mais, à l'évidence, il n'y a pas l'enthousiasme spontané de Marie Christine

Donc, c'est décidé, à la prochaine rentrée scolaire au pensionnat de Saint Jean à Douai, piscine obligatoire toutes les semaines, pour mon cher petit garçon !


La première séance aura lieu, un samedi.

Tout va bien jusqu'au moment où nous nous approchons du rebord de la piscine, emplie de toutes les clameurs propres à ce genre d'établissement. J'avais prévu pour lui donner confiance et avant de le confier à un maître nageur - de le familiariser avec moi dans l'eau du petit bassin.

Mais quand je tente ensuite de l'entraîner dans le grand, soudain, d'un coup, c'est la panique la plus totale...

En parfait comédien Maurice se met à trembler comme s'il était pris d'un violent accès de fièvre. Son visage exprime la terreur, tandis qu'il se met à hurler de peur de toutes ses forces, tentant d'échapper à mes mains, gesticulant de la plus cocasse et éloquente façon pour essayer de s'enfuir vers les vestiaires.

Autour de nous, tout le monde s'esclaffe, ravi du spectacle. Je le prends alors dans mes bras pour le rassurer.

Alors il me joue la pantomime d'une soudaine douleur de la gorge, avec une mimique parfaitement expressive et une voix devenue rauque et tragique...

Quand je commence à descendre avec mon fardeau les degrés de l'échelle pour atteindre l’eau, Maurice va m'étreindre de ses bras et de ses jambes aussi étroitement qu'une pieuvre, et en poussant des cris suraigus !

Si désespérés et puissants, qu'un certain silence s'établit dans la piscine, et que tous les regards sont tournés vers nous, convaincus d’assister à une tentative de noyade par la force !

Cinq minutes plus tard, tout est rentré dans l'ordre... Et en quelques semaines Maurice décrochera son diplôme de vingt cinq mètres, et commencera à défier sa sœur...

Mais quel souvenir, et quelle démonstration de talent pour jouer la comédie ! A retenir pour l’avenir.


Les saisons passent… Somme toute, côté enfants, leur séjour en pensionnat ne présente aucune difficulté particulière, et chaque semaine, nous constaterons leur bonne acclimatation et leur progrès. Je me réjouis de ma décision d'intervenir ainsi dans leur éducation, grâce à l'abnégation de mon obéissante épouse, et la résignation de leur grand-mère.

Aucun problème au niveau de leur santé. Décidément, le croisement des hérédités m'apporte, sur ce plan, toutes les satisfactions que j'en attendais.

Ne serait-ce qu'au point de vue de leur dentition, lorsque je me souviens de tous mes tourments à leur âge !

D’autre part, chaque retour de nos vacances - lointaines pour l'époque – du mois de juillet, nous permet de constater l'influence bénéfique de l'air iodé de la station du Touquet sur leur croissance ! Se devine déjà, dès 1962, la future transformation de fillette en jeune fille de ma blonde petite Marie-Christine !

Merveilleux mystère, si troublant pour un père...


D’autres années passent, heureuses, prometteuses.

Tout me sourit depuis mes bonnes (?) résolutions de la fin de l'année 1958, si riche en émotions de toutes sortes.

Mes affaires sont prospères. Ma "marque" « Maurice Nonet » de vêtements est reconnue.

J'ai une femme, jolie et élégante, que la quarantaine épanouit superbement, amoureuse et totalement dévouée.

Ma mère, qui a surmonté les chagrins et les regrets du deuil de mon père, entame une nouvelle existence selon ses goûts : Se consacrer à mes enfants pour me rendre service. De plus, elle continue d’exploiter sans défaillances, en locations saisonnières d'été, les sept appartements du grand immeuble du Touquet situé à proximité de la mer.

Mes enfants sont beaux et grandissent sans problèmes. Je m'épanouis d'autant mieux que je retrouve au fil des ans, aisance physique et endurance.

Mon Dieu merci, trois fois merci pour la belle vie que vous m’accordez !


Dans l’intervalle, les événements nationaux et internationaux ont suivi leur cours. Tout à ma nouvelle allégresse de vie, je n'en retiendrai que l'essentiel.

Essentiellement ce qui pour moi deviendra une tragédie : La perte de notre Algérie française !

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:29:36.
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