Aime-moi Mamour

JUSQU'A LA LIE !

J'aurai affaire à un commissaire de police aimable, engageant, qui me semble sympathique...

Il m'apprend que je fais l'objet d'une plainte en détournement de mineure ! Bonhomme, il me rassure tout de suite : Il en reçoit plusieurs dizaines par mois, auxquelles il n’est pas donné suite. Mais il doit faire son métier...

D'un ton paternel et enjoué, il m'invite à m'asseoir, et lui-même s'installe derrière une machine à écrire Japy, qui doit avoir mon âge... Il m'engage à "tout" lui raconter dans le détail... Il a le temps... Il me semble compréhensif.

Je vais donc parler. Un peu parce que cela me soulage, et me permet de faire le point. Il ponctue mon récit de :

-« Oh ! C'est très bon, cela ! Très bon...

Et il fait cliqueter à deux doigts le clavier de sa machine, introduit de nouvelles feuilles et carbones, hochant la tête de façon approbative, presque complice.

Son intérêt sera à son comble quand j'aborderai l’incursion d'Y.V. dans ma chambre, un couteau de cuisine à la main.

-« Ca alors, c'est parfait... Avez vous des preuves, des témoins ?

J'ai l'imprudence de lui parler de la lettre trouvée sur mon bureau. Gourmand, il me tend une main avide vers le document que je viens de sortir de mon portefeuille, et qu'il parcourt goulûment :

-« Tout s’explique... Parfait, c'est parfait... Pièce à conviction...

Quand nous aurons terminé, il me demande -"parce que c'est la règle" - de signer ma déposition.

Alors, posant sa main droite sur la table, il me dit, changeant brusquement de ton et de visage, regard soudain durci :

-« Pour l'instant, je vous laisse en liberté, mais sachez que vous devez rester à la disposition de la Justice !

Je sens un frisson me parcourir le dos... J'ai le sentiment désagréable de m'être fait roulé, endormi par ce personnage que je n'ai pas deviné hostile et perfide par profession. Je suis inquiet. Je me sens menacé.

Par chance, j'ai une amie à Lens - grande jeune fille élégante mais trop maigre à mon goût et exhibant avec affectation de voyants et lourds bijoux d'or – au quelle j'ai recours de temps en temps, quand ma solitude sentimentale est trop pesante, car elle est douce et sait écouter. Son père est un avocat réputé. Elle connaît une partie de ma lamentable histoire. Elle me propose de rencontrer son père.

C'est un homme froid et un peu solennel. Je lui demande qu'elle assiste à notre entretien pour que celui ci soit plus personnalisé. Mais il me répond, glacial :

-« Monsieur, il n'y a aucune raison pour que ma fille entende ce que vous avez à me dire. Vous êtes un client, « comme les autres » !

Me voici prévenu, nul doute qu'il n’éprouve que peu de sympathie à mon égard, et qu'il m'estime peu digne de fréquenter sa fille...Encore une fois, dans un désordre que justifie mon émotion, je lui fais le récit détaillé, d'abord de la genèse de mes rapports avec la famille Y.V., mon association occulte, l'absence de document constatant celle-ci, et enfin la lamentable nuit du 18 août... Je termine par la relation de mon audition au Commissariat de Police.

Lorsque j'arrête mon discours, je guette sa réaction d'homme de loi.Il réfléchit quelque temps, puis déclare :

-« Cher Monsieur, je ne veux pas vous alarmer inutilement. Mais votre franchise, et l'inutile récit de tous les incidents qui ont marqué ces dernières journées, et surtout la remise imprudente, et sans vrai rapport avec la plainte en détournement de mineur dont vous faites l'objet, de la lettre d'aveu de Madame Y., risque de provoquer des rebondissements auxquels vous n'avez pas songés.

-« Trop parler nuit toujours. De plus, je connais l'officier de Police qui vous a si adroitement interrogé : Il est ambitieux et il n'a pas très bonne réputation...

-« Je vais tenter d'avoir connaissance de votre dossier pour pouvoir vous conseiller utilement. Sous quelques jours, je vous écrirai.

Loin de me rassurer, cette conclusion dubitative me fait penser à celle d’un médecin généraliste auquel on a recours pour un mal supposé, et qui au lieu du diagnostic optimiste que l’on souhaiterait entendre, déclare devoir d’abord procéder à des examens de laboratoire et à des radios... Laissant augurer au patient des soupçons indéterminés...

Imprudentes révélations... Des rebondissements possibles...

Tout cela ne me dit rien qui vaille ! Un sentiment de danger potentiel s’impose à moi. Insupportable.

Si insupportable qu'il va - comme chaque fois qu'une telle tension pèse sur moi -, me déterminer à "bouger" car je ne suis pas patient, plutôt enclin à l'action, à l'attaque !

Je décide donc de rencontrer le clan Y. G. sans plus tarder.

Sans frapper, je pousse la porte de leur appartement, et j’entre !

Je les trouve toutes les trois dans une chambre, Man' Tite et Germaine penchées sur un lit, où gît mon ancienne associée...

Mon intrusion ne leur cause aucune vraie surprise... Il règne dans la pièce une atmosphère d'après bataille… D'extrême lassitude...

Je m’adresse avec violence à la grand-mère :

-« Alors, Madame V., vous êtes contente de vous ? Tout ce gâchis, vous l'avez voulu ? Pourquoi avoir, en quelques semaines, détruit tant d'années de bonheur tranquille, d'affection sincère ?

Puis, désignant de la main mon ancienne associée livide et épuisée :

-« Vous voyez le résultat ! Etait-ce vraiment indispensable ?

La vieille dame lève sur moi un regard fatigué, dépourvu d’animosité. J'attends une réponse qui ne vient pas immédiatement. Enfin, dans un haussement d'épaules désabusé, elle profère :

-« Vous autres, les hommes, vous êtes toujours à faire des projets… Vous ne comprendrez jamais rien aux femmes !

Je poursuis :

-« Mais enfin, que voulez-vous ? Que recherchez- vous ?

La réponse fuse aussitôt :

-« On voudrait garder le magasin d'Avion !

Puis, soudain radoucie, toute fureur oubliée :

-« Vous comprenez, monsieur Maurice, si on garde le commerce, on peut s'en sortir... Yvonne exploitera l'atelier avec cinq ou six ouvrières, Germaine s'occupera de la vente. Ainsi on pourra survivre aisément.

Prêt à tous les abandons pour retrouver la paix, je réponds aussitôt que j'y consens sans réserves. Que je suis même prêt à le concrétiser par un acte devant notaire.

Ces concessions faites sans discussion de ma part, raniment les yeux de la vieille dame.

Elle ajoute encore, comme si elle craignait un refus :

-« On voudrait bien aussi disposer d'un peu d'argent, car tous les comptes sont bloqués depuis plusieurs semaines...

Je lui réponds que le partage amiable de notre ancienne société et de la caisse, leur assurera de larges liquidités... Et que, si elles ne conservaient que le magasin d’Avion, elles obtiendraient une soulte d'environ 500.000 francs (de l’époque), que je m'engageais à leur payer sur un an.

J'ajoutais que c'était cela que je voulais leur proposer dès le début, avant qu'elles ne choisissent la guerre. Parce que j’estimais que c'était la meilleure solution pour qu'elles puissent continuer à mener une existence heureuse et confortable, après mon départ.

L'énormité de la somme annoncée, mon évidente bonne foi, mon désir sincère de les voir vivre sans soucis, semblent troubler le chef du clan.

-« Mais alors, vous ne vouliez pas tout garder pour vous ?

-« Qui a pu vous mettre une pareille idée dans la tête? Comment, vous qui me connaissez depuis si longtemps, avez-vous pu penser cela de moi ?

-« C'est l'homme de loi que nous avons consulté qui nous a dit que vous alliez nous "rouler", nous dépouiller de tout... Qu'il fallait qu'on se méfie, qu'on se défende !

Elle n'en peut plus, et éclate en sanglots. Elle me prend les mains en murmurant :

-« C'est bien vrai ce que vous venez de me dire ? Bien vrai, Monsieur Maurice ? Vous me le jurez ?

Et aussitôt elle se lève pour me serrer dans ses bras… Comme par le passé !


Restait à dénouer l’affaire pénale en cours.

La lettre de mon avocat, que j'attendais avec impatience, arrivera quelques jours plus tard.

Elle était laconique et impersonnelle. Elle m'avisait qu'il avait transmis mon dossier, ainsi que la copie de la déposition que j'avais faite au Commissariat - obtenue de manière confidentielle - à l’un de ses confrères d'Arras, Maître Gerber. Que celui ci me convoquerait en temps voulu.

Ce désistement de mon avocat lensois, pour un autre confrère, augmentera encore mes inquiétudes...

Je me rends alors chez mon notaire, pour lui demander s'il connaissait cet avocat. Il me répond aussitôt en haussant les sourcils :

-« Bien sur ! C'est le meilleur avocat de Cour d'Assises d'Arras !

De Cour d'Assises ? La Cour d'Assises étant pour moi synonyme d'affaires criminelles !

A quel scandale fallait-il que je m'attende ?


Maître Gerber est un homme à blanche crinière, visage sillonné de rides profondes, expression du regard à la fois dominateur et compréhensif. Mais il va m’en apprendrai de belles, quand je le rencontrais le 12 septembre dans son bureau !

Le dossier d'Y. V. était déjà parvenu sur le bureau du Juge d'Instruction d'Arras !

Celui ci avait retenu la tentative de meurtre, étayée par la lettre d'aveu d'Y. V., et par les résultats de l'enquête au domicile d’Avion, qui avait constaté que le matelas et les draps de ma chambre avaient été troués de sept coups de couteau !

Par contre, la plainte contre moi « en détournement de mineure », n'avait pas été retenue, à la suite d’un examen médical de la plaignante.

Pour la tentative d'homicide, il semblait que le Juge avait l'intention d'étudier les mobiles de l'acte désespéré d'Y. V., afin de comprendre si celui-ci n'avait pas été motivé par l'attitude "indélicate" au point de vue financier, et pervers au niveau des relations affectives, de son ancien associé… C’est à dire moi…

Y. V. avait déjà été entendue par le magistrat, accompagnée de son avocat. Celui ci, par chance, était, paraît-il, un homme sage, et d'excellent conseil.

A la dimension de ces révélations, je restais sans voix. Atterré ! Maître Gerber m'observait… Puis il me tira de mon hébétude par cette question inattendue :

-« Que s'est-il passé depuis ? Où en êtes vous avec la famille Y .V. ?

Je lui racontai ma visite de force à leur domicile, ma conversation avec la grand-mère. Je lui répétai les promesses que j'avais faites, ainsi que mes engagements de versements financiers. Qu'un document était en cours de rédaction chez Maître L., notaire à Lens, document que nous devions signer sous quarante huit heures. Enfin, que sauf crise nouvelle, Y. G. souhaitait désormais un règlement amiable de nos comptes d'associés.

Accessoirement, je lui exposais tous les dégâts provoqués par "l'Homme de Loi", son influence pernicieuse sur l'esprit de ces femmes, somme toute simples et crédules.

Aussitôt il me demande son nom.

-« Un certain Monsieur Crapouse...

-« Oh ! Mais je le connais très bien... C'est un fort vilain monsieur qui a empoisonné plus d'une affaire limpide. Il n'a aucun titre ni qualité, mais il est très habile à tirer le maximum d'argent de ses victimes. Sa responsabilité dans les développements de cette lamentable affaire, sera facile à démontrer.

-« Si vous êtes d'accord pour ne pas vous porter partie civile, je tenterai de convenir avec le défenseur de madame Y.V., pour obtenir la production par un docteur psychiatre agréé, d’un certificat médical constatant l’état dépressif extrême de sa cliente...

-« J’obtiendrai alors, vraisemblablement, le classement sans suite de cette affaire.


Ainsi pris fin cette lamentable de séparation juridico-financière... Ainsi que tous les liens qui m’avaient si affectueusement liés avec une famille généreuse, pendant près de quatre ans...

Mais le nœud coulant, de laine et de soie, de la confection féminine que je m’étais volontairement repassé autour du cou en ces circonstances, n’était pas desserré pour autant !

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:34:48.
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