Aime-moi Mamour

LE DRAME !

Donc, ayant pris toutes mes dispositions de retraite vers la triste maison de chemin Manot, j'ai entamé ma dernière nuit à Avion.

Mais, quelle horrible nuit ! La pire de celles que j'ai encore jamais vécue depuis la guerre !


C’était au retour d'un voyage à Paris, un certain lundi 18 août 1947, que je ne risque pas de l'oublier...

Impossible de trouver le sommeil. Tout à mes sombres idées, et angoissé car – après mon échec dans la dentelle - je commençais à percevoir celui de mon insuccès avec la firme Samas Power dont le matériel était décidément par trop désuet. Vers quelle autre activité me diriger, alors que je n’étais titulaire d’aucun diplôme ?

Les heures d’insomnie passent...

Soudain il me semble que j’entends un léger bruit dans le couloir, réalisant que, par habitude, je n'avais pas fermé à clé la porte de ma chambre.

Oui, pas de doute, on marchait dans ma direction...

Mon ancienne complice Y. V., devenue folle et laide, serait-elle prise d'une réminiscence déplacée ? En alerte, tous mes sens tendus, je guette intensément...

Le bruit d’une poignée qui tourne, des gonds qui crient un peu, une légère clarté qui vient de l’extérieur...

Et aussitôt, dans un cri sauvage, une silhouette qui se précipite vers mon lit, un bras dressé en l'air armé d’un couteau, menaçant comme pour attaquer !

D'un coup de rein je me jette hors du lit, tandis que le bras frappe à grands coups le matelas, avec des "hans" de bûcheron !

J’atteins enfin l'interrupteur.

Y. V. m’apparaît ! Mais est-ce bien elle cette malheureuse, débraillée, échevelée, et défigurée par la haine ? Elle frappe encore, la main armée d'un grand couteau de cuisine l’endroit où j’étais censé dormir !

La lumière et le lit vide la surprennent... Je profite de son hésitation pour me précipiter sur elle et tenter de la désarmer. Incroyable la force d'une femme en délire ! Elle lutte, essaye de me mordre les poignets, bavant de rage, poussant des cris suraigus. Puis, soudain, s'affaisse comme une poupée désarticulée, juste au moment où arrivent la grand-mère et Germaine...

La vieille femme, d'un rapide coup d'œil dans la chambre, a tout comprit. Elle prend sur ses genoux le visage décoloré et ravagé de sa fille, lui tapote doucement les joues en murmurant maternellement, comme à une enfant :

-« "Yvonne, ma petite Yvonne, pourquoi as-tu fait cela ? Réponds ! Là, c’est fini... C’est fini… Calme-toi…

Pour la première fois, je verrai cette femme, énergique comme il y en a peu, pleurer silencieusement à grosses larmes !

Le coeur battant à tout rompre, l'esprit soudain vidé, je descends à mon bureau. Une feuille de papier est en évidence sous ma règle de bois noir.

C'est une lettre d’aveu, qu'Y.V. a sans doute déposée là avant de monter vers ma chambre. Elle y déclare que la vie lui est insupportable, qu'elle ne peut pas accepter sa solitude... Qu'elle demande pardon à sa mère et à sa fille... Tout le reste lui est égal...

Je demeure là, de longues minutes, abasourdi, sans réaction, soudain envahi d'une immense fatigue, d'un véritable dégoût.

Comme dans un film déroulé à grande vitesse, je refais à l'envers le chemin de ces quatre dernières années, depuis ma première rencontre avec la famille d’Y.V., à Liévin, par l’entremise de Madame P... Tous nos bonheurs, suivis de notre fructueuse collaboration dans l'atelier de confection...

Fallait-il vraiment en arriver à cela ?

Soudain, avec le petit matin, le froid me fait frissonner. Alors que je glisse dans la poche de la veste de mon pyjama la lettre lamentable d'Y.V., j'éclate soudain d'un rire nerveux et incongru : Je viens de constater que, selon mon habitude de nuit, je n'ai pas de pantalon...


Mais je n'avais pas encore bu toute la lie de cette lamentable fin d'histoire, qui allait ensuite tourner au sordide...

Une semaine plus tard, le 25 août, je trouverai au- dessus de mon courrier, un pli "Urgent", émanant du Commissariat de Police.

C'est une sommation « à comparaître » !

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:34:57.
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