Aime-moi Mamour

LE POT AUX ROSES...

La vie continue son cours à Avion...

Matériellement satisfaisante : L'affaire de fabrication et les magasins tournent toujours aussi bien, à ce point que depuis deux mois, je me suis octroyé une toute jeune secrétaire dactylo pour valoriser le standing de notre courrier, Lucette.

C’est une robuste et saine jeune fille dont les dix huit ans épanouis sentent leurs origines de la campagne picarde. C’est la fille de notre femme de ménage.

Elle m'est toute dévouée. Au point qu'un jour, alors que je lui demande de garder le silence sur un projet dont je ne voulais pas encore parler à mon associée, elle me fait cette réflexion stupéfiante :

-« Oh ! Alors là, pas de danger ! Je ne l'aime pas ! Vous avez trop confiance en elle... Je ne sais pas si je dois... Maman m'a fait promettre de ne rien raconter...

Vivement intrigué, je l'encourage à tout me révéler :

-« Et bien voilà. Ca s'est passé environ un mois après votre premier voyage à Paris... Vous habitiez encore Liévin. Maman a tout entendu…

Je vérifie qu'il n'y a pas d'aller et venues suspectes dans les environs, car Y. V. n'est jamais très loin, et je l'incite alors à poursuivre son récit.

-« Il y avait eu, en fin d'après-midi, une visite pour vous... C'est ma mère qui avait ouvert la porte... C'était une très belle jeune fille brune, qui boitait... Madame Y. V. est tout de suite arrivée... Elle l'a fait entrer dans la salle à manger et a fermé la porte... Pour vous rendre service, ma mère a écouté... Voici ce qu’elle a entendu :

-« La belle jeune fille s'appelait Martine... C'était, paraît-il, votre petite amie de Paris... Elle était sans nouvelles de vous, car elle avait du quitter son domicile de Pigalle qui était trop près de la Gare du Nord visée par les bombardements... Alors elle était partie avec ses parents pour le Poitou... Quand ils étaient rentrés, leur appartement avait été pillé et occupé... Ils avaient du loger chez des amis...

-« Elle vous avait souvent écrit sans succès, ce qui n’était pas étonnant avec les allemands et les sabotages… Très inquiète de ne pas avoir reçu de réponse, elle s’était décidée à venir à votre dernière adresse de Liévin. Son père, garagiste, avait accepté de la conduire en voiture.

J'étais tendu par l'attention : Le mystère de Martine, de sa disparition qui m’avais tant chagriné et surpris en raison des preuves d'amour qu'elle m'avait si longtemps prodiguées, allait commencer à s'éclaircir !

J'incite donc Lucette à continuer ses révélations, mais elle devient très réticente, comme si le plus grave était à venir… Je renouvelle mes encouragements… Enfin elle poursuit :

-« Alors Madame Y. V. a appelé sa mère et sa fille. Et elle lui a alors déclaré :

-« Mademoiselle, je vous présente maman et ma fille Germaine. Germaine est la fiancée de Monsieur Maurice, qui est depuis dix huit mois mon associé.

Et la grand-mère avait ajouté :

-« Ici, il est comme chez lui, c'est notre garçon !

A la découverte de cette trahison, je sens monter en moi une folle vague de colère et d'indignation ! Mais ma petite secrétaire, ravie de l'intérêt que suscitent ses paroles, poursuit encore :

-« La jeune fille est partie tout de suite après... Maman a vu qu'elle était toute pâle et qu’elle pleurait à chaudes larmes...

Ensuite, Madame Y. V. a appelé ma mère pour lui expliquer :

-« C'était la petite amie parisienne de Monsieur Maurice. Nous lui avons rendu service... Après ce qu'on lui a dit, cela m’étonnerait qu'il en entende encore parler…

La grand-mère avait encore ajouté :

-« Ca n'était pas une fille pour lui. D'ailleurs, c'était une infirme... Cela pourrait être héréditaire !

Maintenant, pour moi, tout était clair : J'avais découvert le pot aux roses !

Pauvre Jeannette tant aimée qui s'était cru trahie dans la confiance qu'elle avait placée en moi !

Sur le point de céder à un mouvement justifié de colère, je décide d'abord, pour retrouver mon calme, de sortir prendre l'air. Il fallait d'ailleurs que je passe à la banque... Je m'éloigne de Lucette, soudain inquiète devant l'expression durcie de mon visage, regrettant d'avoir trop parlé…

Alors elle me retient dans ses bras, puis se cramponne à moi en me disant avec passion :

-«Vous pouvez me croire monsieur ! C’est la vérité ! Méfiez-vous de madame Y.V.… Moi, je ferai n'importe quoi pour vous… Oui monsieur Maurice, n'importe quoi !.

N'importe quoi ?

Le grand air me fait du bien et m'aide à ramener le problème à ses vrais axes. La trahison d'Y. G. est flagrante, certes, mais elle peut-être compréhensible... Moi-même, suis-je tout à fait irréprochable sur ce plan envers elle ?

D'autre part, dans le fond de mon cœur, je ne peux m'empêcher de ressentir un sentiment de contentement orgueilleux : Jeannette ne m'avait donc pas oublié... Elle m'aimait toujours !

Satisfaction d'amour-propre auquel je serai toujours fort sensible en tout égoïsme : Car je trouve naturel d'être aimé exclusivement et totalement tout le temps que durent mes idylles - nullement intrigué par ce qu'a été la vie de mes amoureuses avant moi, ni curieux de leur après... Sans éprouver un devoir de fidélité, seulement un sentiment de propriété sentimentale absolue. Cyniquement, je trouve cela naturel et normal. Conforme à ma philosophie amoureuse. Et il en fut ainsi jusqu'au jour de ma rencontre, avec Marie Madeleine…

Donc, le silence de Jeannette qui m’avait tant étonné, ne me surprenait plus pour le passé. Et pour le présent, il correspondait bien à trait de son caractère, la fierté ! Pour moi, dans l'intervalle, il y avait eu mon incendiaire passion pour mon amie roubaisienne...

En somme, tout était peut-être bien ainsi...

La sagesse, mon intérêt du moment, le manque de temps, semblent me conseiller de ne pas réagir... D'ignorer - pour l'instant - la vilenie d’Y. V….


Une fois encore je fais le bilan malheureux de ces dix-huit derniers mois : Outre la ruine de mes espoirs bruxellois, de ma mise sur la touche à la Bull de Paris, j'ai perdu les trois amours qui avaient illuminé ma vie: Mon aimante Jeannette, ma passionnée Gisèle, ma merveilleuse et tant aimée Marie Madeleine qui aurait pu devenir la compagne de toute ma vie !

Encore aujourd’hui, à près de cinquante années de distance, je revois sans peine leurs jeunes beautés, toutes trois différentes, mais toutes trois également désirables. Que n'ai-je eu le talent de Fragonard, de Raphaël ou de Renoir, afin d’avoir pu comme eux, immortaliser leurs sensuels attraits qui avaient si longtemps régné sur mon cœur et sur mes sens…

Pour l’heure, dans le contexte actuel et le triste environnement minier d’Avion, j’ai l'impression d'être un naufragé rejeté sur un brumeux rivage sans soleil, sans couleur, et sans horizon, après avoir connu toutes les félicités ensoleillées d'une île corallienne enchantée…

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:34:58.
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