Aime-moi Mamour

LE RECOURS A MA MERE

Sans soleil vraiment ? Le mot est un peu fort... Il y avait eu parfois quelques rayons de clarté... Ne serait-ce que ceux que je devrais à ma petite dactylo...

Je vais en conter l'anecdote, pour deux raisons : D'abord pour le plaisir de savourer le souvenir de la cueillette d'une fraîche fleurette offrant spontanément son premier parfum. Mais surtout, parce qu'elle va mettre en lumière la volonté de ma mère d'intervenir maintenant directement - pour mon bien - dans mon existence personnelle !

Je commence par le plaisir de me rappeler...

Cette saine jeune fille m'offrira spontanément toute la fraîcheur de sa jeunesse, d'abord par un dévouement total dont le récit de la trahison d’Y.V. avait été un exemple, suivi de l'aveu de ses premiers tendres sentiments exprimés par ces mots :

-« Moi, monsieur Maurice, je ferai n'importe quoi pour vous !

Qui sera suivi quelques jours plus tard par une gentille initiative de sa part qui consistera à déposer quelques fleurs des champs cueillies en cours de route, dans le tiroir central de mon bureau que j’ouvre habituellement dès que je m’y installe. Suivi de l’audace de m’étreindre passionnément dès que je pénètrerai un matin dans la pièce, en m’offrant des lèvres purpurines auxquelles je ne résisterai pas, mes mains reconnaissant ensuite un corps galbé à souhait ainsi que de jeunes seins devinés au travers de la seule étoffe d’une robe légère…

Gentille Lucette, que je n'ai pas vraiment aimée, mais seulement utilisée, je te dois beaucoup de reconnaissance : Tu m'as apporté un souffle de fraîcheur ensoleillée dans la morosité de mon association finissante avec Y. V….

En ce qui concerne ma mère, elle a tout de suite compris que j’avais une nouvelle intrigue en cours, quand un jour où je devais lui rendre visite à Draveil, j'avais emmené avec moi ma gentille Lucette...

Elle m’apostrophera aussitôt avec une véhémence inhabituelle :

-« Ah, non ! Ne recommence pas à me faire jouer ce rôle de complice tolérante ! Tu ne vois pas que cette gamine se jette à ton cou pour se faire épouser ? Avec son appétit, dans cinq ans, elle sera grosse et vulgaire !

Elle s'arrête un moment pour reprendre sa respiration, puis attaque ensuite la litanie des « c’est comme… »…

-« C’est comme pour Germaine, on la met dans ton lit pour te compromettre. Regarde-la bien, ce sera toujours une mollasse ! C'est comme pour Béatrice en 1938 : Le nombre de fois où sa mère est venue demander ce que tu devenais… J’ai du la remettre à sa place ! C'est comme la mère de Clotilde qui s'était souvenue de moi et qui multipliait ses visites pour me demander à chaque fois si tu étais marié...

Méfie-toi, tu es encore très jeune. Je voudrais tant que tu sois heureux... Je te connais si bien... Fais-moi confiance je saurai reconnaître celle qu’il te faut… Tu as encore beaucoup d’illusions… Ecoute-moi… Je t'aime tant ! Je n'ai que toi !

Sa voix se brise, puis elle se met à pleurer doucement, en posant sa tête sur mon épaule...

Je l'avais d’abord écoutée avec lucidité, souriant en pensant à ses craintes en ce qui concernait ma crédulité, et songeant déjà que le jour où je prendrai une épouse que j'aime et qui lui plaise, n'était pas pour demain ! Mais lorsque je vois son beau regard se voiler de larmes, son visage blêmir et son menton trembler, aussitôt, comme au temps de mes quinze ans, je fonds d'émotion et abandonne toute contestation pour la consoler. Prêt à tout promettre pour qu'elle retrouve son sourire !

Oui, c’est vrai et je m’en rends compte, je suis bien retombé sous son charme, sous sa coupe comme aux temps de ma jeunesse...

Dès cet instant, je réalise que mon ancien réflexe de subordination sentimentale à ma mère vient de se renouer. Craignant déjà qu’il ne dure tout le reste de ma vie...


A la suite à cette parenthèse amoureuse avec Lucette, dans les mois qui vont suivre, ma mère pèsera lourdement pour que je rompe également mes troubles relations avec la famille d’Y. V…. Moi-même, depuis la révélation de leur trahison à propos de mes prétendues fiançailles avec Germaine, je l’avais déjà sérieusement envisagé. Maintenant, j’étais presque convaincu de sa nécessité.

Justement - coïncidence ? - je reçois de mon père une lettre de vœux pour 1947 - précédant d’une manière inhabituelle aux miens - et dont le texte va me troubler profondément :

-« … J'ai été très heureux de constater la réussite de tes affaires. Je suis fier de ton succès.

-« Mais j'aurais préféré que tu y parviennes seul.

-« Et cela ne suffit pas à me tranquilliser : Je me rends compte que je vieillis, et, puis-je te l'avouer ? Mon plus cher désir aujourd’hui, serait de te voir fonder une famille avec une jeune fille de notre milieu, et qui me donne de beaux petits-enfants...

-« Il serait peut-être temps que tu commences à y songer sérieusement.

-« Ton père qui t'aime.

Le ton "bon-papa" n'est pas son style. Ce souhait, cette inquiétude pour l'avenir, me font craindre une aggravation de son état pulmonaire hérité de la guerre... J'appelle aussitôt ma mère au téléphone. Elle me rassure totalement :

-« Ton père est en pleine forme depuis votre dernier voyage à Paris avec Y. V. et Germaine.

-« Quoique il me semble maintenant soucieux : Auriez vous eu de discussion ?

Je la rassure.

Alors, pourquoi ce souhait subit de mariage pour moi de mon père, alors que je viens de lui donner la preuve de tout le confort de mon organisation actuelle ? En apparence, cela ne l'avait pas choqué. Aurait-il jugé, ensuite, lui aussi, qu'il était souhaitable que j'y mette un terme ?

Cette lettre m'arrive en plein hiver, le temps où les soirées sont longues, où l'on est tenté de s'analyser… Alors que je suis déjà enclin à une certaine mélancolie… Où ma solitude sentimentale me pèse particulièrement, et où je repense si souvent au rêve que j’avais entrevu avec ma merveilleuse Marie Madeleine !

Cette missive va me convaincre définitivement que je dois changer de style de vie. M’interroger sur le bien fondé de ma recherche forcenée de l'argent, du confort sur tous les plans, et à domicile.

Et de plus, je m’interroge : Et si toutes ces dernières années je m'étais trompé d'objectif ?

Si consacrer tout mon temps à des conquêtes pécuniaires, si sacrifier mes aspirations et mes ambitions sentimentales aux satisfactions d'une table excellente et à des simulacres d'amours commodes mais sans passion, n’avaient été que des leurres me cachant l’essentiel : Fonder une belle famille catholique, donner à mes chers parents de beaux petits enfants ?

Si mon intrusion accidentelle dans la confection féminine n'était pas, à terme, une erreur de parcours en raison de mon ignorance de la profession et de ma dépendance totale envers une personne spécialisée dans ce métier ?

Soudain je réalise que j’ai fait fausse route depuis quatre ans ! Qu'il est grand temps d'envisager de changer de cap, de profession malgré toutes les difficultés que cela va impliquer.

Mais je redoute la solidité de la corde que je me suis volontairement passée au cou, de laine et de soie peut être, mais robuste et difficile à desserrer.

Oui, tel était bien le but du message que mon père avait voulu me transmettre, afin de provoquer cette présente prise de conscience. Tout me semblait désormais clair, évident.

Urgent !

Mais comment m'y prendre ?

Car le piège doré dans lequel je me suis englué ne va pas me libérer de si tôt, tant au niveau affectif qu'au niveau professionnel et financier : Mes rapports intimes avec le clan Y.V. sont profonds, et notre association commerciale déjà ancienne. Et que dire des difficultés d'une nouvelle orientation professionnelle à recherche, si je voulais éviter ma dépendance annoncée à la Bull ?

Car les emplois découlant du système « cartes perforées » sont en pleine évolution, le principe "machine à statistiques", étant parvenu à son rendement optimal de performances.

Il est désormais contesté au niveau de son absolue fiabilité. En outre, il s'adapte difficilement aux cas de plus en plus complexes qu'imposent une légalité et une fiscalité de plus en plus contraignantes. On pressent - du fait de l'explosion du volume des traitements comptables et statistiques - la nécessité de l'apparition d'un procédé révolutionnaire à venir : "L'Informatique".

Pourtant, c’est vers cette filière que je vais me tourner faute de mieux, résolu à tout tenter et à y consacrer toute mon énergie.

Mais ma visite à la Bull sera un échec : Surpopulation d'ingénieurs nouveaux, légitimement ambitieux. Mes anciens collègues et protecteurs ont presque tous disparu. Pratiquement, on ne se souvient plus de moi...

Bien sur, il y a aussi les américains qui sont revevenus en force sur ce marché. Mais la nouvelle société I. B. M. (ancienne Hollrith), n’engage que des ingénieurs authentiques, et pour le moins bilingues. De plus, elle ne recrute plus sur le principe de l'ancien matériel "Machines à Statistiques", celui qui a fait mon succès, mais sur celui, nouveau, de l'Informatique.

En désespoir de cause, je me rabats sur la Société anglaise "Samas-Power", qui continue à exploiter l'ancien procédé "Statistiques" des cartes perforées par un système "mécanique" archaïque, mais parfaitement fiable : On m'offre un contrat de « Direction Régionale Nord », lucratif, mais seulement au niveau des commissions. Faute de mieux, je le signe !

Rassuré par cette décision qui m'affranchit de la confection, je rentre à Avion en me demandant comment je vais apprendre la nouvelle à mes hôtesses...

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:34:58.
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