Aime-moi Mamour

MAITRE W., NOTAIRE

C'est le responsable légal des nuits de Frédia, son épouse, grande jeune femme brune d’allure langoureuse. Légal, certes, mais peut-être pas coutumier... Car il n'est pas permis d'être aussi dissemblables et s'être choisis pour mari et femme ! L'eau et le feu.

Maître W. a notre âge, mais il est rond de partout où il ne faudrait pas : Joues, menton, ventre. Ses mains sont belles, petites et grasses, aux doigts fuselés de jeune fille qui n'aurait jamais fait autre chose que jouer du piano. L'expression du visage, au premier abord, est bienveillante, heureuse, presque béate. Mais le regard lourd, attentif, ainsi que deux rides (les seules), verticales entre les sourcils, démentent la bonhomie affectée.

A « l’Amirauté », il ne bouge jamais de son fauteuil. Apparemment heureux de voir sa femme évoluer voluptueusement de bras en bras, au hasard des danses. En somme, l'image parfaite du mari complaisant, et content de l'être !

L’observant, parfois je m'interroge : Que se passe-t-il derrière ce front trop visiblement serein ?

Il a une excellente réputation professionnelle, mais dans le privé, l'amour physique ne l'intéresse manifestement pas... Il n'hésite d'ailleurs pas à avouer avec un petit rire de castrat :

-"Moi, je n'ai pas de muscle !

tandis que ses doigts de damoiseau tâtent ses biceps atrophiés sous sa manche !

Pas étonnant alors que Frédia, superbe pouliche piaffante de santé, se trémousse aussi ardemment sur la piste entre les bras de ses soupirants... Ce qui n'empêche pas son notaire de mari de lui adresser des œillades de tendresse, tandis qu'elle tanguote d'une manière particulièrement langoureuse. Curieux couple !

Chaque fin de matinée, vers treize heures, il rejoint, dans sa stricte tenue de notaire, notre bande chahuteuse et familière s'ébattant dans l'eau de la piscine, corps parfois mêlés ou offerts aux bienfaisants rayons du soleil.

Il demande alors une table en bord d’eau, et grignote un repas froid de charcuterie. Il nous fait de gentils signes amicaux de ses menottes, et adresse du bout de ses petits doigts des baisers coquins à son épouse. Laquelle, nullement gênée par l'ambiguïté de la situation, continue, sous ses yeux, son jeu provocant de jolie femme qui se laisse séduire.

Mais, dans son bureau, il est un tout autre personnage !

Il a le goût de la puissance, mais pas pour se propulser aux avant-scènes : C'est le style parfait de l'éminence grise. Sous Louis XIII, il aurait été cardinal !

Sa capacité de concentration et d'observation, sa faculté d'appréhender les problèmes les plus ardus, sont prodigieuses. Le silence, est l’une de ses armes favorites. Souvent, sa conversation devient un murmure entrecoupé de plages muettes...

Très vite je me rendrai compte que cet homme a de nombreuses relations, très haut placées, et qui semblent parfois être ses obligées... A l'occasion, il doit pouvoir être dangereux. Quel jeu joue-t-il vraiment ? Le notariat ne semble pas être son unique activité.

Etonnamment vont se nouer entre nous, pourtant si dissemblables, les liens d'une amitié réelle. C'est lui qui fera le premier pas. J'avoue que cette distinction me flattera, et je n'hésiterai pas à lui accorder toute ma confiance.

Ils ont deux enfants du même âge que les nôtres, mais dont l’un ne serait - parait-il - pas de lui ! Le couple habite une splendide demeure notariale, dans le luxe et l'aisance. Une gouvernante, d'une soixantaine d'années, dévouée à vie à son patron qu’elle connaît depuis toujours, s'occupe des enfants pendant les absences fréquentes de leur mère.

Nous prendrons l'habitude de nous rencontrer presque toutes les semaines, le soir, car il rentre souvent tard. Il est d’ailleurs souvent en retard, alors c’est Frédia me fait patienter de son mieux.

Quand il arrive enfin, avec sa grosse serviette bourrée de documents à la main, il nous regarde avec un large sourire, heureux de constater que je n'ai pas l'air de m'être trop ennuyé.

Nous aurons souvent des discussions confidentielles à propos de tout, politique, finances... Il essaiera de m'apprendre ainsi, non à lire ce que disent les journaux, mais à deviner le dessous des cartes.

Notamment au sujet du Général de Gaulle : Le côté un peu théâtral de son personnage, et la brutalité de certaines de ses décisions. Sa susceptibilité ombrageuse. Son début de paranoïa justifiée par une élévation d'âme et d'esprit hors du commun. Confirmant ainsi les doutes que j'avais ressentis à son sujet, notamment au moment du dénouement de la guerre d'Algérie. Travers communs à tous les géants de l'histoire…

Nos conversations sont fréquemment interrompues par des appels téléphoniques annoncés, non par une sonnerie - il a horreur du bruit - mais par une discrète lumière clignotante. Discussions fort longues avec un correspondant que je ne peux identifier. Caractérisées par le mutisme de mon hôte qui écoute, les yeux mi-clos, la main droite transcrivant quelques notes d'une écriture calligraphiée. Chaque fois, cela se termine par la formule :

-"Je vous promets d'y réfléchir. Je vous remercie de votre appel... Je vous présente mes respects, Monsieur le Député (ou Monsieur le Conseiller, ou Monsieur le Maire).

Après avoir raccroché, il reste quelques instants aussi immobile qu'une statue de cire. Puis soulève ses lourdes paupières pour plonger son regard dans le mien, et il reprend alors notre conversation, exactement là où elle avait été interrompue.

Nous nous séparons chaleureusement sur un whisky apporté par la discrète mais omniprésente gouvernante, ou parfois, par Frédia elle-même, qui a trouvé le moyen de changer de robe.

Ce couple connaîtra un drame particulièrement tragique que rien ne laissait prévoir ! Pourtant, peu de temps auparavant, j’avais été témoin d’une scène peut être prémonitoire...

Un soir, alors que Frédia, drapée dans une robe ultra moulante venait de nous offrir notre boisson favorite, la cloche de la porte d'entrée tinta. D'un bond inaccoutumé, le notaire se leva en déclarant avec empressement :

-"C'est pour moi !

et il s'éloigna en trottinant vivement, sous l'œil intrigué de son épouse.

Il reviendra quelques minutes plus tard en compagnie d'une remarquable grande jeune femme au regard ravageur, vêtue d'un sensationnel manteau de vison blanc !

-"Je vous présente Mademoiselle F., qui habite Monaco. Nous sommes en relations d'affaires depuis trois ans. Frédia ma chérie, veux-tu lui faire préparer la chambre bleue, Mademoiselle F. va séjourner chez nous quelques jours. Excuse-moi, j'avais oublié de t’en informer !

Les deux jeunes femmes se mesurent du regard. De la beauté monégasque émane quelque chose comme un défi. Je comprends que le metteur en scène de ce magistral coup de théâtre est le maître de céans, qui semble subitement avoir grandi de plusieurs centimètres.

Je conterai la suite de cette épisode ultérieurement, car j’en serai l’un des protagonistes involontaire…

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:38:03.
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