Aime-moi Mamour

1958, VACANCES A MAJORQUE...

En dépit d'une conjoncture nationale inquiétante en ce qui concerne notre colonie d’Algérie - dont les développements tragiques mériteront un chapitre de réflexions sur la manière dont je les ai perçus - notre atelier de mode féminine poursuit son expansion.

Nous sommes sur la bonne voie. Au fil des saisons, mon épouse "modéliste - coupeuse - chef d'atelier", se perfectionne. Elle devient une professionnelle reconnue dans toute la région.

Les saisons, hiver 1957 et printemps 58, ont été particulièrement fructueuses grâce à un travail obstiné. Plusieurs fois nous avons été obligés d'augmenter le nombre des ouvrières pour honorer les commandes qui affluent, surchargeant mon « associée » de responsabilités.

Juillet arrive... Je décide de lui offrir cette année, un voyage exotique à peine moins original que ne le fut à son époque, celui de George Sand et Chopin : L'île enchantée de Majorque, au large de la Méditerranée !

Nous avons commencé notre voyage – exceptionnellement accompagné par notre petit garçon Maurice - par un pèlerinage au pays de l'enfance de mon père : La Haye Descartes. Puis par un détour à Ossun dans les Pyrénées, où notre petit Maurice passera un mois de vacances chez sa grand-tante Laurence, la sœur de ma mère.

A Marseille, notre voiture est embarquée, à la grue, sur le bateau "Cuidad de Barcelona"- car les car-ferries n'existent pas encore – en fin de soirée.

Palma de Majorque ! De la passerelle du « Cuida de Barcelona », nous découvrirons la capitale de l’île sous le ciel rose de l'aurore, sa rade et son port aux blondes murailles dominées par une cathédrale gothique qui se mire dans des eaux d’un bleu intense. Vision de rêve, encadrés par les espaces désertiques des montagnes arides du "Punta Mayor". Spectacle unique, inoubliable. Nous avons l'impression d’être déjà en Afrique du Nord !

Gentillesse extrême des habitants, douceur de vivre. Incomparable quiétude propre aux îles méditerranéennes, avant que ne survienne l’invasion massive des touristes.

Avec nos francs français, même dévalués, nous pourrons vivre "comme des Américains" ! Nous offrant même, pour la première fois de notre vie, un séjour dans un authentique palace : l’ « Alcina »... Mon petit mouton est éberlué devant tant de luxe !

A Majorque, après le rythme frénétique de l’atelier, nous découvrons un nouveau style de vie, calme, lent, aimable. La frénésie de la vie moderne a épargné l’île. Il n’y a presque aucune voiture. Les paysans, comme au temps de Cervantès, se déplacent sur des ânes placides, et seuls quelques attelages de mulets fréquentent les rues étroites.

Dans la campagne, nombreux moulins aux ailes de toile blanches, chargés de pomper l'eau d’irrigation.

Est-ce la douceur du climat, le parfum des fleurs, l'enchantement du paysage, le vent d'Afrique qui agite les palmiers, ou l'immensité de la mer bleue que l'on voit depuis notre terrasse de l’ « Alcina » ? Sans doute tout cela à la fois, car notre séjour à Palma sera particulièrement amoureux...

A Majorque, nous allons faire la découverte de paysages à nuls autres semblables, en voyageurs exceptionnels et privilégiés car il n'y a peut-être sur toute l'île, qu'un tout petit millier de touristes ! Des dizaines de kilomètres sans croiser aucune voiture... Des villes et villages déserts, ocres, aux volets verts clos, endormis sous un soleil de plomb que nous sommes les seuls audacieux à oser braver !

Panoramas d'une beauté sauvage qui nous laissent bouche bée. Aussi étonnés que les premiers explorateurs découvrant les chutes du Zambèze !

Valldemosa, où rôdent encore les ombres de George Sand et Chopin. Le chaos désertique de la Calobra. L'impérieux massif du Cap Formentor qui se colore de violet le soir, et son fjord boisé de pinèdes odorante, où se balance – nous apprendra-t-on - le yacht du célèbre acteur de cinéma Erold Flynn.

Des kilomètres de plages blondes ourlant une mer turquoise, chaude et voluptueuse, où nous serons les seuls à nous baigner... Les petites villes nonchalantes et secrètes : Alcudia, Manacor... Tout nous enchante !

Majorque, véritable paradis terrestre !

Vacances idylliques qui feront naître en moi le rêve - irréalisable sans doute, mais ô combien tentant – de posséder un jour un petit pied-à-terre sur cette île enchanteresse ! Un petit coin de cet éden au jardin d'Allah, récompense finale de longues années de travail !

Le retour continental se fera par Lerida, Sarragosse - que Napoléon assiégea - et son étonnante cathédrale, "El Seo", Pampelune, San Sébastien. Puis les Pyrénées françaises pour récupérer mon petit garçon, enfin la route de Lens par les châteaux de Touraine.

Eblouis de soleil et heureux, nous retrouvons, encore une fois notre petite famille au Touquet qui a bénéficié cette année d’un exceptionnel climat ensoleillé.

Miracle de la Côte d'opale, Marie-Christine est superbe, grandie, hâlée, pleine d'entrain : Elle nous entraîne aussitôt vers la mer, dont la fraîcheur nous surprend désagréablement...

Heureux temps pendant lesquels nous avons ignoré l’actualité !

J'apprends alors que les événements concernant notre belle colonie algérienne deviennent préoccupants. Tout le monde pressent que nous approchons de temps dramatiques pour cette contrée devenue française depuis 1830...

Des propos alarmistes circulent. On chuchote même que le gouvernement songerait à un programme – aberrant pour moi - de décolonisation !

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 17:38:04.
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