Aime-moi Mamour

REVES DE PYGMALION...

Ayant définitivement choisi mon activité professionnelle, j’ambitionne maintenant de métamorphoser ma douce épouse pour en faire tout ce que je souhaite qu'elle soit, et en me fixant pour cela cinq objectifs essentiels :

-Maternelle le dimanche.

-Chef d’atelier en semaine de six jours de travail.

-Modéliste d'articles style couture.

-Mannequin parisien, mondain et raffiné.

-Amoureuse comme une maîtresse, chaque soir.

N’imaginant pas un seul instant que c’était peut être beaucoup demander à une seule femme, même amoureuse…


Oui, maternelle, mais sans excès !

Car j’ai beaucoup médité sur mes devoirs d’éducateur, et sur les meilleurs moyens pour y parvenir, sans oublier de tirer le meilleur parti possible de mon expérience passée.

C’est à dire, d’une part me souvenir de tous les bienfait de ma propre éducation : religion, morale, amour de la famille, respect des parents, mais aussi éviter les écueils de celle-ci : solitude enfantine, maternage excessif, sévérité paternelle inadaptée.

Pratiquement, ayant déjà évité à Marie-Christine le handicap d'être un enfant unique, j’entends conserver constamment en mémoire de ce qui me semble avoir été les handicaps de mon éducation.

En premier lieu, épargner à mes deux enfants ce qui m'a si durablement pénalisé, hier comme aujourd'hui : Le risque de l'amour, excessif « abusif ?» de leur mère ! Amour stérilisant, qui conduit l'enfant à se sentir responsable du bonheur (et éventuellement de la défense), de celle qui l'a engendré.

Ensuite, je conçois comme finalité de l’éducation, la préparation de ses enfants à vivre une future existence de nouveaux adultes, appelés à « exister » plus tard, sans dépendance aucune envers leur famille, sans devoirs particuliers autres que filiaux envers leurs géniteurs. Destinés par nature à fonder de nouvelles familles indépendantes.

Or l’amour maternel excessif est un risque évident chez mon épouse : J’ai remarqué que dans les familles polonaises, les femmes, en dépit de leurs nombreuses qualités héréditaires et de leurs excellents principes à base de religion catholique, ont une tendance certaine à passer, en quelques années, du stade d'épouses parfaitement amoureuses et soumises, à celui d'exclusives mères de famille dominatrices !

Exagérément préoccupées de maternage. Tendance qui leur vient probablement des temps - peu éloignés - où la relative pauvreté matérielle des familles et l'insécurité de l’avenir en raison de constantes guerres meurtrières où les pères risquaient souvent de rester éloignés très longtemps de leurs foyers, et même malheureusement parfois, de ne pas revenir des combats...

Influence excessive et dominatrice de la mère que je refuse par principe, souhaitant que mes enfants s'épanouissent le plus librement possible et sans sensiblerie excessive, sans la contrainte exagérée d'une dépendance à celle qui les a mis au monde.

Pour ce faire, j’aurai constamment présent à l’esprit tous les inconvénients de ma sujétion personnelle à ma mère, passée et présente.

En ce qui concerne l’exercice de mon autorité sur mes enfants, me rappelant encore une fois la manière dont mon père l’avait exercée sur moi, je voudrais leur éviter le piège de l’autoritarisme sans appel, du sectarisme religieux trop austère. Après mure réflexion, j’opterai pour un certain consensus exercé par un sorte de « grand frère plus âgé et plus expérimenté », plutôt que par un « pater familias » dominateur et traditionnel.

Grand frère devenant de plus en plus libéral, au fur et à mesure que passent les années. Pratiquant ensuite la persuasion plutôt que la stricte discipline.

Pour ce faire, très tôt, je déciderai que mes enfants - afin qu’ils se sentent plus proches de moi - évitent de m’appeler magistralement « papa », mais plus familièrement par mon prénom, Maurice, comme s’il s’agissait d’un grand aîné, compréhensif et parfois complice.

Ce qui sera fait, et subsistera jusqu’à ce jour.

D'autre part, je pressentais que la morale des générations précédentes, où la femme était sous la dépendance économique exclusive d'un homme - le mari -, allait radicalement changer pour les filles des générations à venir. Qu'était révolu le temps où il fallait impérativement élever les garçons dans l'idée d'une triple morale de base.

-La conscience de leur constante responsabilité dans leurs rapports avec les femmes.

-L’obligation de se comporter en homme destiné en priorité à fonder une famille, d’en être le chef unique et seul dispensateur de ressources.

-La cessation d’avoir le devoir d'assumer, par filiation et par tradition, d’assurer l’assistance financière et de bonheur de leurs parents devenus vieux. Seulement celui de les entourer d’affection.

Je réalisais que les temps où les filles étaient par nature destinées à devenir essentiellement des épouses respectueuses, des maîtresses de maison parfaites, et des mères de famille selon la tradition, étaient largement dépassés !

J’étais convaincu que la conjoncture dans laquelle mes enfants seraient appelés à vivre, serait très différente de celle qu’avait connu ma génération.

Je suis résolu d’éviter ces risques, et tenir compte de cette évolution probable des mœurs et de la société. Donc me réserver le choix et de la forme de la philosophie d’éducation de mes enfants, doutant dès cet instant que sur ce plan, mon épouse approuve ce projet novateur. Décidant dès cet instant, d’en assumer plus tard, l’entière et unique responsabilité.

Acceptant implicitement d’avance les reproches et griefs dont on pourrait m'accuser par la suite, en cas d’échec !

Puisse le ciel faire que je ne me sois pas trompé, et que mes enfants, devenus adultes, le comprennent et l’apprécient !

Philosophie, basée sur le principe qu'il fallait d’abord fabriquer des enfants parfaitement sains d'esprit et de corps. Physiquement épanouis par le sport. Sociables et gais. Débarrassés de tous devoirs contraignants envers leurs parents. Loyaux mais modernes.

Notamment pour les garçons : Sans complexes par rapport aux jeunes filles, grâce à la mixité de l'enseignement. Convaincus qu'une égalité de comportement devrait s'établir très prochainement entre les sexes, et ce, pour la première fois depuis l’histoire de notre société chrétienne.

Que la jeune fille ne devait plus être par définition, faible et désarmée, assurée et convaincue qu’un homme devrait un jour la prendre totalement en charge. Qu'elle devait au contraire devenir une véritable partenaire. Q'une nouvelle déontologie des rapports entre garçons et filles, à base d'un partage égalitaire des responsabilités et des droits, s’établirait bientôt.

J’estimais donc qu’il convenait de faire de Marie Christine une individualité à part entière. Forte, indépendante, consciente de ses atouts féminins. Armée pour ne jamais dépendre financièrement de quiconque, grâce à une formation professionnelle aussi évoluée que possible.

Philosophie réaliste concernant mes enfants, qui prend en compte la société telle que je l'imaginais dans les vingt ans à venir.

Ce modernisme me satisfait. Et je ne doute pas un seul instant à ce moment de ma vie, que Marie Christine et Maurice ne me vouent plus tard, de ce fait, reconnaissance et gratitude. A fortiori, il ne me vient pas à l’esprit une seconde, un sentiment de doute sur le bien-fondé de mes théories.

Prétentieuse inconscience qui pourrait bien être cruellement démentie et déçue !

Donc, pratiquement, pour toutes ces bonnes raisons, je suis enchanté que par suite de ses obligations professionnelles, mon épouse soit limitée dans son rôle de mère. Je l'ai ainsi voulu. Quitte à la priver des joies pourtant naturelles du maternage pour lequel je la sais douée par hérédité et nature.

Me réservant encore une fois, la totalité de la responsabilité de ces choix dans l'éducation de mes enfants.

Dans cette logique, j'ai prévu un programme – rationnel selon mon raisonnement - pour les prochaines années, quand je serai définitivement rassuré sur mon état de santé :

Il consiste en l'embauche, à demeure, d'une nurse catholique, anglaise ou allemande, bilingue, possédant des notions de musique, compétente et moderne au niveau pédagogique tel que je l'entends, c'est-à-dire autant sur les plans spirituels que physiques.

Véritable professionnelle, titrée et expérimentée. Je suis prêt pour cela à tous les sacrifices financiers. Bien décidé dès cet instant à donner toutes leurs chances à mes enfants dès leur plus jeune âge, convaincu que les "inscriptions" reçues entre deux et six ans, sont essentielles et définitives.

Ce plan bien établi, je peux ensuite continuer à jouer mon rôle de Pygmalion sur mon épouse, et tenter de la modeler selon mes autres souhaits.


Chef d’atelier dans la semaine…

Au plan professionnel, elle devra parvenir à une production mode "bon chic bon genre", style couture. Dans ce but, je lui soumets – et lui en achète certains pour son usage personnel - des modèles de vêtements "tout faits", sélectionnés chez les meilleurs faiseurs de cette tendance.

J'ai d'ailleurs choisi un modèle parmi ceux-ci : La fabrique de "Vêtements Prêt-à-Porter Robert Weil", de Paris. C’est la marque la plus recherchée par les clientes élégantes des meilleurs magasins de mode.

Dans cette perspective également, je vais commencer à prospecter ceux ci.

Et pour parvenir à ces objectifs, je vais désormais maintenir une exigence et une pression constantes sur l’atelier au niveau de la qualité et du style, pour parvenir à mes fins.

Le succès ne sera acquis que dans la peine, la souffrance, et les pleurs parfois... Mais je ne fléchirai pas.

Trois ans plus tard, mon atelier fabriquera des vêtements, griffés "Maurice Nonet", connus et reconnus dans toute la région, par les distributeurs les plus difficiles. Résultat dont mon épouse méritera toute la gloire, et dont elle aura tout le mérite.


Faire de mon épouse un mannequin style parisien… Là aussi, il y a beaucoup à faire ! Depuis le maintien jusqu'à la façon de marcher. Mais grâce à ses dons naturels et à sa faculté d'imitation, elle va se transformer rapidement.

D’autant plus qu’elle y est encouragée par des séjours réguliers de travail à Paris, et récompensée par la fréquentation toute aussi régulière des théâtres et music-halls. Embellie grâce aux meilleurs coiffeurs, au renouvellement régulier de ses vêtements, à la collaboration avec des modélistes parisiens. Assistant régulièrement aux grandes expositions internationales de mode. Seule l'extrême fatigue d'un métier épuisant, expliquera ses rares défaillances.

Enfin, par la vertu des bienfaits sportifs de nos désormais ponctuelles vacances de quatre semaines "mer - soleil", elle acquerra l'aisance incomparable d'un corps presque dénudé. Progrès esthétiques aiguisés aussi, par le souci de concurrencer avec les autres jeunes femmes.

En trois ans, mon épouse sera en mesure de passer avec aisance et brio chacune de nos collections, ainsi que de permettre l’exécution d'excellentes photos publicitaires de qualité presque professionnelles.


Mondaine et raffinée...

Là, le succès risque de ne pas être aussi éclatant... En effet, je ne tarderai pas à constater très vite l'apparition de ses limites sur ce plan, et son peu de goût pour ces spécialités...

Difficultés également au niveau du vocabulaire et de la conversation... Comme tous les bilingues de milieu émigré, elle ne possède pas toutes les subtilités du français. D’autant moins que sa mère lui a aussi transmis, en plus de sa langue polonaise, des rudiments d’allemand acquis aux temps de sa jeunesse lorsque la Silésie était sous la férule germanique !

Cette difficulté à s’exprimer en parfait français, va d’abord m’amuser, puis m’agacer, enfin me devenir pénible... En effet, si elle emploie les mêmes mots, les mêmes phrases que moi, leur "contenu" n'a pas toujours la même signification... Et je ne parle pas de la syntaxe, du vocabulaire, des noms écorchés avec un semblant d’entêtement…

Au début de notre mariage, je trouvais que cela ajoutait à son charme, et je souriais affectueusement à chacune de ses bévues... Mais à force de l'entendre répéter avec obstination les mêmes fautes - qui faisaient fréquemment sourire avec sympathie nos amis – cela ne tardera pas à m'irriter...

Et je ne pourrai que faiblement corriger cette lacune bien gênante dans le rôle de "femme mondaine" que j’entends lui faire jouer. Rôle qu'elle n'appréciait d'ailleurs qu'avec réticence... Au point qu’il lui arrivera même parfois, de se dérober !

Par exemple par des refus soudains et imprévisibles, de collaborer à certaines réceptions ou invitations où elle redoutait, peut-être, de ne pas apparaître avec tous les avantages que je lui aurais souhaités...

Ces blocages seront pour moi l'occasion de l'apparition de fausses notes - les premières dans notre si parfaite harmonie de couple ! Il me semblera alors, que mon ciseau de sculpteur découvrait sous le marbre, le fondement du granit inaltérable de sa personnalité profonde !


Amoureuse comme une maîtresse le soir…

Et à chaque moment où je le souhaiterai !

Sur ce plan, je n'aurai rien à regretter… Au contraire ! Pour cela, ma chère petite épouse est parfaitement dotée de toute la générosité de tempérament que je prêtais aux filles de sa race... Ce sera même souvent moi qui serai obligé de demander : «Pouce ! », au cours de nos étreintes…

Merveilleuse, sa manière de répondre à mes emballements, quand, trop impatient, je sautais par la fenêtre du rez-de-chaussée de notre maison de Chemin Manot, pour la rejoindre plus rapidement…

Ensorcelante souvent dans sa façon si particulière de m’attendre - après une journée pourtant harassante - à mes retours de voyage à Paris, déjà allongée dans notre lit, nue et désirable...

Toutefois, au cours de nos messes d’amour, même dans nos plus folles étreintes, je n’oublierai jamais que le ventre de mon épouse est d’abord, et par essence, le tabernacle d’enfants possibles... Certes, nous jouirons de toutes les harmonies et plaisirs d’amour jusqu’à épuisement, mais jamais je ne me servirai de mon épouse comme d’une maîtresse.

Pas plus que je ne tenterai de faire d’elle une savante prêtresse de Vénus : Dans ma philosophie amoureuse, son statut privilégié de femme mariée destinée à devenir mère, la distingue par définition d’une amante, prioritairement vouée aux seules jouissances de la chair.


Globalement, à tous ces niveaux, mon œuvre de Pygmalion est en route. Je ne doute pas qu'avec de la patience et de la persévérance, j'atteindrai « presque » tous les objectifs que je me suis fixés.

En effet, je sens mon épouse tellement disponible, tellement désireuse de me faire plaisir et de me plaire, que j'en conçoive un véritable orgueil viril « macho », bien agréable pour mon amour-propre.

Oui ! Sans aucun doute, ces dix premières années de notre mariage, furent de somptueuses années de bonheur, et de promesses !

Vacances d'hiver dans les Vosges.

Retour au sommaire <-- --> Chapitre suivant


Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 18:44:14.
Site réalisé par Sébastien SKWERES
Valid XHTML 1.0 Transitional