Ainsi se poursuira dès lors, le déroulement ensoleillé de ma vie !
Mais celle-ci n’est pas seulement consacrée aux plaisirs de l’amour. Loin s’en faut !
Grâce au cloisonnement rigoureux de mon temps par la vertu des trois tiroirs magiques de ma commode enchantée, ceux de ma famille et du travail sont rigoureusement prioritaires. Le tiroir « plaisirs d’amour », pour important qu’il soit désormais pour moi, n’est que subsidiaire, et strictement conditionné par les deux autres.
D’autre part, ma nouvelle vie me donne aussi l’occasion de rencontres avec des personnages originaux par leur personnalité et leur manière de vivre hors du commun. Ils auront leur part d’influence sur l'évolution de mon devenir.
J'évoquerai en premier lieu celui qui fut l'un des trois individus qui interféreront le plus dans ma vie d’alors, et qui est encore à ce jour, l'un de mes plus fidèles amis. Amitié de près de trente ans, rare et précieuse.
J'ai dit que nous passions presque tous nos fins de semaine en famille au Touquet. C’est le lieu de rendez-vous d’une certaine élite de la région du nord, car les vacances de « week end » sont encore réservées à des privilégiés, en cette fin d’année 1.958.
Les endroits les plus "sélects" de la station sont la piscine (climat oblige), le terrain de golf, et le tennis. Le soir, on se montre au bar du « Flaviau ». La nuit, à celui de « l’Amirauté».
J'apprécie désormais particulièrement le tennis.
Un jour où je n'ai pas de partenaire, je demande à l'hôtesse, mademoiselle Violette, si elle a quelqu’un à me proposer. Elle me présente alors à Monsieur Richard Boisjoli.
Et c'est ainsi que je rencontrerai Richard, grand gaillard très élégant (à cette époque, on "s'habillait", même pour aller passer une heure de sport), lisant calmement le programme du prochain tournoi.
A l'appel de la jeune femme, il se retourne, et c'est la surprise réciproque : Il s'écrie aussitôt dans son langage volontairement mâtiné de patois :
-"Mais, c'est ti... L'homme au capio… Celui que j’ai connu pendant la guerre à Douai, toujours coiffé d’un chapeau à bords roulés… C'est pas possible !
Et si, c'était possible.
Il est devenu un brillant gynécologiste, qui exerce à Arras.
Après notre partie de tennis, il m'invite dans sa villa, belle construction blanche sur tertre de gazon, et me présente à sa femme. Une beauté ! Une autre panthère ! D'une élégance, d'une distinction à vous couper le souffle !
Dès lors, l'amitié va naître entre nous, favorisée par nos fréquents séjours au Touquet et la proximité de nos domiciles réciproques qui facilite d’autres rencontres.
Mais pour moi, toujours sans ma femme... Car lors d’une première entrevue, celle-ci va éprouver un sentiment d’antipathie spontanée pour la belle Jacqueline ! J'avoue que je ne ferai pas beaucoup d'effort pour la contraindre à revenir sur cette décision...
Ce sera donc une amitié particulière, qui s'instaurer entre nos trois personnages.
Richard est un être comblé par la nature ! Grand, beau, intelligent... Tout lui réussit, et cela se voit sur son visage épanoui.
Et il sait, lui, se servir de son argent pour se donner une existence exceptionnelle ! Ce dont je suis incapable, obsédé par le désir d'amasser toujours plus pour mes enfants...
Son élégance est de très bon goût, moderne et coûteuse, alors que je persiste à garder mon style classique, indémodable. Il a l'aisance et la décontraction de l'homme à qui toutes les fées ont souri depuis la naissance, et continuent à lui sourire. Et - je ne tarderai pas à le constater - le nombre des jolies femmes, sensibles au charme de son regard bleu...
J'apprendrai qu'il a comme moi deux enfants, une fille, jolie blondinette prometteuse de dix ans, et un fils, de sept ans, à l'expression boudeuse et renfermée. Et que lui-même rencontre les mêmes problèmes que moi pour leur éducation.
En effet, il est très pris par sa vie professionnelle, et sa femme - désireuse de devenir médecin - poursuit ses études tout en s'occupant de la comptabilité de son cabinet.
Parents absorbés qui ne voient que très rarement leurs enfants, lesquels sont pris en charge par la famille de Richard. Cette situation ne semble pas du tout les émouvoir : Les rares séjours que peuvent faire leurs enfants au Touquet, sont vécus comme une corvée, corvée qui les empêche de vivre leur vie mondaine habituelle...
Quelle différence de comportement avec le nôtre, quand je vois par exemple avec quelle impatience mon épouse attend les week-ends, pour s'occuper exclusivement de nos enfants !
Un jour, je me risque à faire remarquer à Richard, que ses enfants manquent peut-être d'affection parentale… Il me lance aussitôt :
-« Mais mon petit vieux, en 1958, dans notre milieu, parce que les femmes travaillent aussi, huit sur dix des moutards sont confiés à des boniches ou placés dans la famille !
-« Si on veut faire du fric, il faut bosser douze heures par jour... Alors, les "mouflets", ils feront comme nous : Moi, on m'a fourré en pension dès l’âge dix ans, et je ne m'en suis pas plus mal porté ! Au contraire, ça m'a appris à me défendre !
En moi-même, je m'interroge... N'aurait-il pas en partie raison ? Non ! Je reste convaincu que pour le moment, la tendresse de ma femme et l'affection de ma mère, sont plus profitables à mes enfants que l’internat.
Mise à part cette différence de conception à propos d’éducation, notre façon d'envisager l'existence est identique : Même souci de promotion sociale, même appréhension politique des événements, mêmes projets d'avenir vers une contrée plus ensoleillée et riante que notre plat pays nuageux. Et aussi, il faut l'admettre, même affinité amoureuse pour la femme !
Avec une nuance toutefois, et d’importance : Richard est un chasseur – au sens propre et figuré - né ! Toutes les femmes « consommables » qui passent par son cabinet, jeunes et moins jeunes, maigres ou enveloppées, lionnes ou petites bonniches, jolies ou seulement de bonne santé, lui conviennent du moment qu'elles ont du "chien". Il les prend d’abord "à la hussarde" dans son salon, puis les rejoints ensuite dans des hôtels accueillants...
Ce que cet homme a pu connaître de femmes de tous poils (c'est le cas de le dire !), est effarant ! Il ironise lourdement sur mes préférences sélectives, mon besoin d’aimer et d'être aimé :
- "Tu sais pas ce que tu perds mon petit vieux ! Des nanas terribles, des bêtes d'amour, folles de leur corps ! Qui hurlent leur plaisir ! Et qui savent drôlement y faire...
En effet, à côté de lui, mes conquêtes sont bien peu nombreuses, bien discrètes et ultra sélectionnées ! Pourtant, en dépit de tout son talent de conteur de détails croustillants, il ne me convaincra jamais. L'enfant de chœur en robe rouge et le bref séminariste que je fus, est marqué à vie du sceau de la discrétion, de la sélectivité, et de l'exceptionnel.
De même que je ne pourrai jamais les suivre, lui et Jacqueline, dans leur style de vie... Ils ont un art consommé pour "claquer" leur argent dans les magasins de mode ou ailleurs...
Alors que moi, je suis toujours en train de compter, de faire un rapport entre le prix des choses, et le salaire hebdomadaire de mes employées. Constamment hanté par le désir d'économiser pour procéder à un placement avantageux destiné à mes enfants.
Ce que Robert discerne d’ailleurs parfaitement bien ! Alors il me fustige avec son franc-parler de carabin :
-"Si tu savais comme tu te goures ! Tes mômes, plus tard, ils se fouteront pas mal de toi quand ils boulotteront tes sous... Ils rigoleront... T'es con ! Profite donc de la vie !
Il a peut-être raison, mais je ne peux pas me changer, et je me souviens trop bien de mes débuts difficiles... Je ne peux m'empêcher de penser que si mes parents avaient pu un peu m'aider financièrement, je me serais évité bien des jours pénibles, bien des erreurs.
Mais je les admire ! Quelle allure a ce couple en tenue de soirée ! Quelle classe dans leurs vêtements dernier cri !
Quand nous sortons ensemble le soir à « l’Amirauté » - mon épouse, épuisée par six journées de douze heures de travail, est incapable de m'accompagner - j'ai vraiment auprès d'eux, des airs d'archiprêtre dans mon costume croisé bleu marine trop strict, tout à fait incongru dans ces lieux de tentation...
Jacqueline danse et ondule parfois dans mes bras - et dans d'autres - comme une sirène de cinéma. Regard et corps incendiaires, voix voluptueuse... Mais Richard est mon ami, et j'ai le sens de l'amitié. Lui aussi, mais de préférence avec toutes les belles amies de son épouse…
Parfois, à sa façon de m’étreindre quand nous dansons, je comprends que Jacqueline n'apprécie pas toujours toutes les initiatives de son trop chaleureux époux… Elle serait parfaitement capable de se venger cruellement !
Incroyable la consommation de champagne dont ils sont capables, alors que moi j’ai tendance à somnoler dès la troisième coupe ! Emerveillant ce que le pétillant breuvage peut allumer le regard de Jacqueline… Et, certains soirs, je redoute de ne plus avoir encore longtemps le stoïcisme de Saint-Antoine…
Alors, quand cette panthère aura suscité en moi trop d'ardeurs, il m’arrivera d’apaiser celles-ci en la compagnie de belles et riches Anglaises qui transitent par Le Touquet avant de se rendre sur la Côte d'Azur…
On dit d'elles que dans leur île, ce sont des citadelles imprenables ! Ici, ce sont elles qui assiègent le "Frenchy", pour l’entraîner ensuite dans leurs voitures de rêve - Rolls, Bentley - vers leurs villas fastueuses, nichées dans la forêt