Aime-moi Mamour

LE RITE DU TEMPS DES VACANCES. 1956, LA CIOTAT, ET LA CORSE !

Maintenant que ma mère et mes deux enfants passent régulièrement le temps de leurs deux mois et demi de vacances par an à la mer dans notre l'appartement du Touquet, j’ai, depuis 1954, instauré pour nous un véritable rite de vacances d'été, d'une qualité et d'une durée exceptionnelles pour l'époque : Un grand mois sur la côte méditerranéenne.

C'est ainsi qu'en 1956, à bord de notre nouveau break de chasse "Châtelaine", beaucoup plus luxueux et plus rapide que notre ancienne camionnette, nous repartirons vers le sud.

Nous y passerons d’abord quinze jours en location dans l'arrière-pays de La Ciotat, avant de nous embarquer pour la première fois sur un navire, vers la Corse !

La traversée aller se fera, de nuit, à bord du très vieux bateau "Ville d'Ajaccio" qui avait servi de transport de troupes en 1943-1944, dépourvu de stabilisateurs et réputé pour son manque de confort, mais peu onéreux...

De plus, toujours par économie, je n’ai pas loué une cabine pour cette traversée, mais des "chaises de pont", c'est-à-dire deux transats disposés sur la plage arrière du bateau, et en plein air...

Traversée inoubliable sous la voûte étoilée d'un ciel noir-bleu sombre, constellé de millier d’étoiles, bateau bercé par une légère houle...

Mais soudain le temps change. Le navire, assailli par les vagues d'une mer creusée par le mistral, tangue et roule... Provoquant des glissades de bâbord à tribord, de poupe en proue, de nos sièges non arrimés, qui s’entrechoquent avec ceux de nos voisins saisis de la même agitation ! Folle nuit, au cours de laquelle l’hilarité générale tiendra lieu de repos !

Au petit matin, sur fond de montagnes roses, la rade d'Ajaccio nous accueille dans toute la féerie de ses lumières...

Ile de Beauté... Surnom de la Corse, ô combien justifié, comme le serait celui de « la mal connue » à cette époque !

En effet, en dehors des grandes villes comme Ajaccio, Calvi, Corte, nous sommes presque les seuls touristes à sillonner les petites routes de l’intérieur aux centaines de virages serrés, et peuplées de vachettes qui se prélassent sur le goudron, indifférentes aux appels de mon klaxon…

Corse au littoral enchanteur ! Inoubliables sites des sauvages calanques de Piana aux rouges escarpements rocheux sur lesquels vient se briser avec fracas, la grande houle du large, dans un arc en ciel de blancs embruns !

Sublime douceur de la plage du petit village de pêcheurs de Saint Florent, endormie sous le soleil, et si proche de l’impressionnant ville forteresse génoise de Calvi, plantée sur un promontoire rocheux qui domine un long rivage de plusieurs kilomètres, bordé de superbes pins parasol…

Aux ravissantes échancrures désertes de sable blond, entre rochers vertigineux. Sites exaltants et voluptueux pour les romantiques amoureux, épris de solitude, que nous sommes...

Corse de l'intérieur telle que je me l'imaginais depuis la lecture de "Colomba", de Prosper Mérimée... Paradis de lumière et de couleurs, des odeurs fortes du maquis desséché : Genévriers, myrtes, arbousiers, lentisques, asphodèles, calciflores...

Montagnes et rafraîchissants bois de châtaigniers, villages perchés accessibles seulement par de roides sentiers sillonnés par des ânes bâtés, conduit par de petits bergers à la noire chevelure bouclée...

Immense et exceptionnelle forêt de Vivazzonna, à 1500 mètres d’altitude, où se mêlent les résineux – dont le pin laricio le plus haut d’Europe et dont le fut parfaitement rectiligne atteint 40 mètres de haut - et les hêtres et bouleaux. Si fraîche que nous devrons recourir à la couverture de nos serviettes de bain pour nous réchauffer quelque peu…

La surprenante place forte citadelle de Corte, juchée sur son haut promontoire ! Surprise d’y rencontrer une garnison de la Légion étrangère en tenue kaki, képi et épaulettes rouges. Mon épouse ne résistera pas au désir de se faire photographier auprès d’une sentinelle impassible…

Ces souvenirs seront d'autant plus mémorables qu'ils seront fixés pour la première fois sur les toutes premières diapositives en couleur qui viennent d’être lancées sur le marché !

Au retour, leur projection sur grand écran nous arrachera des cris d'admiration et de plaisir retrouvés.

Au retour, nous recevrons notre premier baptême de l'air à bord d’un quadrimoteur à hélices, D.C.4….

Quelle émotion ! Et quel vacarme insoutenable des quatre moteurs à pistons au décollage ! Puis l’envol vers un étroit couloir entre les montagnes - que l'on pourrait presque toucher de la main - emprunté par notre avion prenant peu à peu de l’altitude… Etroitesse de couloir qui nous impressionnera à la limite de la frayeur, avant que notre avion ne débouche enfin, sur l'horizon sans limite de la mer immense !

Occasion pour mon épouse de se serrer contre moi avec terreur, étreignant mon bras et récitant à mi-voix un fervent : "Je vous salue, Marie…", les yeux fixés sur le hublot où défile tout près de nous, les impressionnantes parois presque verticales des montagnes.


Au retour, en remontant vers le nord, nous ferons un dernier détour qui mous permettra de découvrir la Suisse aux douaniers exceptionnellement sourcilleux : Genève, Lausanne, Neufchâtel, et le Jura.

Eblouis d'images et de lumières nouvelles, le cœur encore étreint d'émotions privilégiées, nous retrouverons avec joie nos enfants au Touquet, épanouis et étonnamment plus bronzés que nous-mêmes !

Quant à ma mère, son expression ravie me semble teintée d’un certain triomphe à mon égard, quelque chose qui voudrait exprimer :

-« Tu vois, pas besoin de gouvernante…

Débordants d'énergie et de projets, nous sommes prêts à aborder les onze mois de travail acharné qui nous attendent.

Avec pour récompense en arrière plan, le bleu intense de la méditerranée de nos prochaines vacances...

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 18:45:00.
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