Aime-moi Mamour

DEUX SYNDICALISTES ENGAGES...

Monsieur LESUR.

Le premier, c'est "Monsieur Lesur.

Soixante ans, retraité après quarante cinq ans au"fond", trapu, large visage rougi – mais ce n'est pas le soleil qui a coloré son teint - crinière blanche, mains énormes, calleuses, striées de cicatrices bleues.

Il me racontera, d'une voix lente et rocailleuse habituée aux meetings dans les corons, les grandes étapes de sa "lutte syndicale"... Les grandes grèves, dont il parle avec passion, foi et détermination, ainsi que mon père me narrait ses batailles de la guerre de 1914 1918.

J'entendrai notamment le récit - dans un français patoisant et imagé - digne de Zola dans Germinal, de la grande grève insurrectionnelle de l'année 1934…

-« J'va vo raconter eun grève... C'éto en 34. Vot' femme est de famille polonaise je crois ? Eh ben cel'ato envenimé justement à cause des émigrés d’Silésie. Au départ, le syndicat des mineurs avo déclenché l'arrêt du travail parce que les ingénieurs et les porions ato trop durs avec l'ouvrier. C'éto le temps de la grande crise économique. Y avo beaucoup de chômage. Alors les patrons eto très exigeants : In ne gagnait pas sa vie.

In s'levo à 4 h 1/2 et in reveno après 14 heures... Le porion ordonno :

-« Tu feras 10 mètres de longueur sur 1,50 m de chaque côté. Vingt deux mètres cubes, ou bien tu seras "déclassé". Déclassé, c’éto le déshonneur !

Les préposés au retournement des berlines aux croisements des galeries qui feso 1,20 m sur 1,20 m, la dimension de la berline, devaient le faire 1 200 à 1 500 fois par jour, d'un coup de rein. Chaque berline peso deux tonnes !

Les rouleurs de berlines, si elles n’étaient pas bien pleines, recevo un coup de pied dans le c., et devo retourner la remplir. Tout ça, pour 24 à 30 francs par jour, alors qu'un paquet de tabac en coûtait 2,50...

In vivait chichement, de soupe de légumes avec des tartines de beurre ou de saindoux La bière, on la fabriquait à la maison avec "l'autobrasseur". Le vin, s'éto seulement les jours de douceur. In s'acheto un costume tous les dix ans...

Alors l'ouvrier, pour rapporter une plus grosse quinzaine, se crève au travail. Il faut dire que certaines femmes de mineurs sont difficiles, ambitieuses… Qu'elles se font concurrence, en meubles, fauteuils, radios... A savoir qui aura la plus belle maison... Alors elles demandent à leurs hommes encore plus d'argent...

Pour gagner davantage, certains demandent à travailler en "bowette", pour creuser des galeries dans le schiste et la silice... Sitôt après l'explosion des cartouches de dynamite, y se précipitent dans la poussière, la respirant à pleins poumons, pour dégager au plus vite les gravois. Se tuant pour quelques dizaines de francs de plus, poitrine transformée en sac de sable... Tuberculeux à mort à trente ou quarante ans...

Combien de jeunes femmes de braves mineurs auront ainsi assassiné leur mari, et deviendront veuves à trente ans ! Car la sécurité, au fond, ça laisso à désirer ...

"Alors, in avo refusé de descendre, et fermé l'grilles de la fosse pour empêcher les "jaunes" de casser la grève ! Au bout de quelques jours, on a vu arriver les gardes mobiles à pied et à cheval...Y en avo partout.

Les patrons nous ont sommé de redescendre. In a tenu bon. Alors, les gardes mobiles ont donné l'assaut ! On n’était pas assez fort. C’ato la débandade ...

J’éto l'responsable syndical, et avec ceux qui éto restés, in a tenté de se barricader dans la lampisterie. Y avo d'braves ouvriers polonais avec nous… In a du se rendre... Les patrons avo gagné ! Et nous, in n'a rien obtenu. S'avo été comme ça dans toutes les fosses.

"Mais c’ato pas fini !

Les gardes mobiles sont venus ensuite pour arrêter tous les Polonais qui avaient fait la grève.

Les Polonais, y z'éto arrivés de Silésie en 1920-1922. Y en avo beaucoup, presque un mineur sur deux. Au début, in les avo mal reçus. In les appelo "Polaks" ou "sale boche". Il avait fallu partager les corons en deux. L'coron français, et l'coron polonais.

Y avo de belles bagarres, surtout l'dimanche dans les bals. D'ailleurs y avo deux bals, un pour nous, un pour eux. Malheur à celui qui s'y aventurait pour les beaux yeux d'une fille polonaise. Sacré nom de nom, qu'elles éto bellottes ! Même les moutards y s'batto !

Eux, ils nous appelaient "Catagnoches" parce qu'el mineur portait pour travailler une longue blouse, une catagne.. Mais c’éto d'rudes compagnons ! Costauds, infatigables.

Après bien des années, in s'entendait bien. A cause du travail, ça crée des liens.

-"Alors, quand les gardes mobiles et les gendarmes ont voulu arrêter les grévistes polonais, on l'a pas accepté. C'éto la solidarité.

Et puis on a appris quel’Laval – celui de Vichy -, avait fait voter une loi, et que, par sanction, ils allaient être expulsés sous quarante huit heures, avec en tout et pour tout vingt kilos de bagages !

-« Un train est venu en gare de Lens. Ils ont du tout vendre, tous leurs meubles, en deux jours. Pour rien, parce que personne n'avait d'argent. Alors qu'une chambre à coucher ça coûtait six mois de salaire, ils ne recevaient que cinquante francs !

Les femmes pleuro de désespoir... Ils ont tous été embarqués d'force par les gardes mobiles, avec leurs petits paquets qui éto pesés. Alors, partout, in avo décrété une grève de solidarité ! Ca n'a servi de rien… Y sont tous partis pour in ne sait où... Nous, après, in nous a dit :

-"Ou vous reprenez le travail, ou vous avez vos "4 feuilles" de licenciement et vous serez expulsés de vot'maison ! Les femmes ont eu peur pour leurs gosses... Et y avo partout des soldats... Alors in a cédé, et in a repris l'travail... In éto bien tristes...

Et malgré son âge et l'apparente insensibilité du masque buriné de son visage, j’avais vu deux grosses larmes couler au coin de ses yeux !

Monsieur MIERLOT.

Le second, lui, est un syndicaliste communiste, ancien chef de cellule. C’est monsieur Mierlot.

Lui aussi compte une soixantaine d'années, dont quarante-cinq au fond de la mine. Retraité, mais c’est encore une véritable force de la nature : Un corps de lutteur de foire, sur lequel des dizaines d’hectolitres d'alcool, n'ont encore laissé aucune trace.

Sa voix forte est capable de charme comme de violence. Bien remonté, endoctriné, il a été de tous les coups de force. ll fut sans doute dans l'exercice de ses convictions politiques simplistes, un redoutable adversaire, toujours prêt à descendre dans la rue pour la bagarre.

Il considère monsieur Lesur comme un ennemi personnel, en raison de ses opinions politiques concurrentes. Car de tout temps, en pays Minier, communistes et socialistes se sont disputés les faveurs des ouvriers.

Etrange antagonisme entre les tenants de deux partis se revendiquant de la même philosophie de Karl Marx...

Mais les communistes, plus extrémistes, sont convaincus de détenir seuls la vérité, estimant que les socialistes sont des traîtres qui trompent la classe ouvrière. Ils sont déterminés, disciplinés, hiérarchisées et fortement embrigadés, et n’obéissent qu’aux ordres de Moscou.

Pour le syndicaliste et chef de cellule communiste Mierlot, toutes les grandes grèves, dures et longues, surtout celles qui les avaient opposés aux forces de l'ordre ou à l'armée, avaient été des espoirs de "lutte finale". De généralisation du mouvement communiste à l'ensemble du pays, pour permettre la réalisation de leur rêve idéologique : « L’internationale ouvrière ».

Un jour, il me racontera son plus beau souvenir :

-« Ca avo commencé vers 1932. Les patrons avo combiné avec les délégués socialistes la création d'un autre syndicat... Avant, y avo un seul Syndicat des mineurs, avec une majorité de membres d'not parti communiste. A partir de ce moment, ça a été la discorde. Quand la C.G.T., l'vrai syndicat d's'ouvriers communistes décido la grève, les socialos i metto aussitôt des bâtons dans les roues ! C'éto à savoir qui ferait la loi.

Alors, 1936 est arrivé... Les socialistes ont compris que c'est nous qui avions raison. C'a été le bon temps de l'alliance des communistes et des socialistes. L'bon temps du Front Populaire avec Léon Blum et Maurice Thorez...

Mais avant 1936 et l'union de la gauche, quelles bagarres ! Chaque coron avo sa cellule et son chef de cellule... J’éto celui de la fosse 11. Tous, in devait obéir comme à l'armée. Si on nous diso en pleine nuit :

-« Y faut donner un coup de main à ceux de la fosse 3 qui a sa machine d'extraction arrêtée par un piquet de grève, in y allo aussitôt ... In a même été dans le Nord où ça tournait au vinaigre, à Leforest...

Et pis in allo de fosse en fosse pour faire des meetings. In devait expliquer que les ouvriers ne devaient plus travailler pour engraisser des actionnaires. Que la mine appartenait aux travailleurs, pas aux capitalistes des deux cents familles ! Qu'in ne voulait plus être commandés par les gens du patronat.

Que ça devait être comme au paradis des ouvriers, sans exploiteurs, du pays des Soviets... Que demain, dans tous les états, ce serait la paix, le bien-être, grâce à l'Internationale des Travailleurs. Là-dessus, in gueulait l'Internationale à pleins poumons, en défilant dans les rues pour effrayer l'bourgeois !

-« In feso aussi de la propagande pour débaucher les camarades de la S.N.C.F., les cheminots du dépôt de Lens, les bureaucrates des P.T.T.. In n'éto pas toujours bien reçus surtout par les "gratte-papiers" en chemises blanches, qui craignaient de recevoir des coups qui auraient abîmé leur belle gueule de filles. Y préféro les faux-frères de socialistes ! C’est vrai qu'in nous craignait parce qu'in éto de tous les coups durs... In nous appelo "Les Boyaux Rouges" !

-« En 1936, avant que le Front Populaire ai gagné, y en a eu une grève générale du groupe de Lens. Y avo trois défilés de prévus. Un socialiste, un communiste et un "Croix de feu", vous savez, ceux de l'organisation fasciste du Hitler français, le Colonel de la Rocques ? Au moins 100.000 manifestants.

Paris a envoyé les gardes mobiles à cheval. Ca a mal tourné. Y avo tellement de soldats que les socialos se sont débinés. Resto que nous. On a commencé à se bagarrer à coup de manches de pic avec les fascistes Croix de feu.

Alors les gardes mobiles nous ont attaqués. Nous seulement. Alors in est devenus fous furieux : In a éventré leurs chevaux, coupé leurs pattes avec nos herminettes (haches). In est restés maîtres du quartier de Sallaumines.

Tous les commerçants, les affameurs du peuple, avaient fermé leurs boutiques. In les a forcés à les ouvrir. On s'est servi, et in a vidé les caves des estaminets.

Le soir, in a dansé avec les femmes dans les rues, et in a chanté l'Internationale toute la nuit... Chapeaux rouges sur la tête, in a passé à tabac les dirigeants syndicaux socialistes qui nous avaient lâchés. Ensuite, in a cassé toutes les fenêtres des "jaunes" qui n’avaient pas fait grève, pour leur apprendre qu'y n'y avo qu'un syndicat d'mineurs, le not, la C.G.T. communiste ! Jusqu'aux élections, on a été maîtres du terrain !

-« Après, avec le Front Populaire, in a gagné sur tout, in a été augmentés, in a moins travaillé, in n'a plus été traités comme des bêtes, et in a eu quinze jours de congés payés !

J’ai vu la mer à Dunkerque pour la première fois de ma vie !

Je suis fier de ce que j'ai fait pour la cause, pour le parti !

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 18:50:47.
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