Aime-moi Mamour

CHAPITRE III
L’ECLIPSE DE MON ANGE GARDIEN !

TROIS COUPS DE TOCSIN...
UNE ETRANGE RESSEMBLANCE !

Depuis la vitre de l’hélicoptère je vois, deux cents mètres plus bas, l’ombre, en forme de banane suspendue à deux immenses ombrelles, courir à travers les champs et bosquets de la campagne belge… J’éprouve un sentiment de plénitude, de bonheur intense... Celui d'être un homme privilégié, favorisé des Dieux !

Comblé aux cotés de cette si jolie jeune femme assise tendrement à mon côté, et dont je ressens la chaleur.

Captivé aussi par la nouveauté de ce nouveau moyen de transport original. Hélicoptère que nous étrennons presque, puisque ce service n'existe que depuis trois mois.

Ravis par l'incomparable beauté du paysage ensoleillé qui se déroule, doucement à cent vingt kms/h, depuis une hauteur comparable à celle du troisième étage de la Tour Eiffel.

Tant de bonheur à la fois, amour, enfants, réussite professionnelle, argent et santé consolidée pour moi, quels bonheurs ! Vive le temps des vacances !

Et merci mon Dieu, mille fois merci !


Elles sont exceptionnelles, prévues - via Bruxelles - dans le sud de l’Espagne, à Torremolinos, près de Gibraltar !

Voyager si loin en 1958, n'est pas une petite affaire... La quantité de lettres, de demandes, de confirmations, réservations, arrhes, qu'il a fallu assurer, découragerait définitivement le voyageur d'aujourd'hui qui "achète" en un quart d'heure, un circuit complet de quinze jours pour les principales villes de l'Inde...

Mais si le proverbe : "Sans un peu de travail il n’est pas de plaisir", est exact, notre mois de juillet devrait être paradisiaque !

Je l'ai peaufiné en grand secret, me réjouissant à l'avance des exclamations de ravissement que celui-ci ne manquera pas d'arracher à ma méritante petite épouse, dont le travail acharné nous a permis de réussir une saison remarquable sur tous les plans.

Il s'agit, pour la première fois, d'un voyage sans voiture : Bruxelles, Malaga, Gibraltar, Madrid, Paris !

D’abord Bruxelles, où je ne veux pas manquer l'Exposition Internationale qui s’y tient, et dont nous serons l’un des quarante deux millions de visiteurs à la parcourir.

La capitale belge est surpeuplée, et nous devrons coucher chez l'habitant.

L'Exposition est caractérisée par son "Atomium" qui représente la structure d'un atome élémentaire d’hydrogène grossi deux cents milliards de fois : 140 mètres de haut, 9 sphères de 20 mètres de diamètre... Et par les étonnants pavillons français et américain.


L’édifice français est original par sa forme prismatique pointée vers le ciel, prolongée par une poutre équilibrée sur un socle de trente mètres de haut, comme un balancier, qui supporte de l'autre côté toute la structure vitrée de l’édifice qui ne repose pas sur le sol !

Le pavillon américain, cylindrique, de deux cent mètres de diamètre, sans aucun autre support que ceux du périmètre, recèle un bosquet de hêtres centenaires en son centre...

La liaison « Bruxelles – Malaga » se fera en quadrimoteur à hélices Constellation, du même type que ceux qui traversent l’Atlantique.

Découverte des plages immenses de Torremolinos et Marbella, alors minuscules villages de pêcheurs. Logement dans le seul hôtel de l’endroit, constitué par une vingtaine de chalets : « El Nidos », nouvellement construits.

Nous sommes seulement une quarantaine de vacanciers à profiter d'une baie sablonneuse déserte de quarante kilomètres de longueur, là où, trente ans plus tard, s’élèvera une barrière ininterrompue d'hôtels en béton pouvant héberger un million de touristes !

Nous y ferons la connaissance de trois couples d'Anglais exceptionnels.

D'abord Howard et Brenda, jeune couple en voyage de noces. Puis avec Raymond et Maguy, enfin avec Auswald et Eliane.

Howard, d'origine juive, est négociant à Londres. Mais c'est Brenda qui attire tous les regards : Véritable star à la plastique de danseuse sur glace. Raymond est courtier maritime au Caire. Quant à Auswald, c'est un prospecteur en recherche pétrolière.

J’ai d’abord fait la connaissance de Raymond sur la plage, et alors que nous discutons à bâtons rompus, il s'interrompt soudain et me dit :

-"Je vous présente l'épouse d'Auswald, Eliane...

Je me retourne et suis frappé de stupeur ! Je me trouve face à l'image vivante de Marie Madeleine !

Marie Madeleine, cette jeune fille pour laquelle, en 1945, j'avais conçu un amour fou, qui aurait sans aucun doute changé le cours de ma vie sans un drame, peu après la libération de la France, jamais élucidé...

Oui, une véritable « autre » Marie Madeleine en chair et en os est là, souriante, son corps sculptural doré par un intense bronzage...

Je suis foudroyé, paniqué, car elle est exactement ce qu'elle aurait pu être quinze ans plus tard, dans la plénitude de ses trente ans, avec le même regard chaleureux et tendre, la même bouche aux lèvres gourmandes, la même expression hardie et gaie de son visage sous un casque d’épais cheveux noirs... Je suis submergé d'émotion… Se pourrait-il que ce soit vraiment elle, subitement ressuscitée et replacée sur mon chemin ?

J'entends alors Raymond poursuivre :

-"Eliane est d'origine italienne. Elle est présentatrice à la télévision du Caire.

Ce n'est donc pas ma Marie Madeleine à moi...

Mais une telle ressemblance, cela ne devrait pas être permis !

Tant bien que mal, je refais surface… Mais je comprends que mon trouble n'a pas échappé aux beaux yeux sombres de la splendide Eliane, tandis que nos regards se croisent longuement, avec une étrange intensité.

Alors que je croyais les souvenirs de Marie Madeleine enfouis sous les sédiments de dix ans de vie conjugale bienheureuse, voici que ceux-ci me remontent brusquement au cœur, aussi chauds et aussi ardents qu'en 1945 !

Comment vais-je résister à l’attirance qu'Eliane exerce déjà sur moi, dans le contexte des jours à venir et de la familiarité qui va obligatoirement s'établir entre nos quatre couples ? Je pressens dès cet instant que je vais endurer des journées sulfureuses et des nuits de fièvre !

Bientôt, malgré moi, et pour la première fois depuis dix ans, je prends conscience qu’il se pourrait que je ne tarde pas à succomber à l'irrésistible attrait qu'exerce sur moi la pulpeuse épouse d’Auswald…

En effet, par substitution amoureuse, je retrouve toutes les pulsions de désir que j’éprouvais pour celle que j'avais tant aimé ! Merveilleuses, mais ô combien dangereuses retrouvailles avec les tourments anciens de ma passion charnelle ! Redoutable retour de mes anciens démons ! En quelques jours, la pulpeuse Eliane va réveiller en moi le goût impérieux de toutes les brûlantes voluptés !

Quels feux ! Pourtant, hier encore, j’étais convaincu d'être désormais capable de me parfaitement maîtriser… Mais cette rencontre troublante avec le « double » de celle qui avait embrasé mon cœur, balaye une à une toutes mes défenses...

En pensées, malgré moi, je jette un pont entre 1945 et aujourd'hui... Je me souviens alors combien j'aimais Marie Madeleine ! Je calcule l'âge de l'enfant annoncé... J'ai du mal à interdire à mon imagination d'envisager ce qu’aurait pu être mon existence si… Je ne peux m'empêcher de faire des comparaisons... De risquer de devenir injuste… Et surtout ingrat !

Tard, un certain soir, incapable de trouver le sommeil tandis que mon épouse dort comme une bienheureuse à mon côté, je décide, pour m’apaiser, d’aller prendre un ultime bain de minuit...

La fatalité voudra qu’Eliane ait eu au même moment, la même idée !

Alors, toutes les tentations de l’amour, jointes aux séductions de celle qui ressemble tant à Marie Madeleine, m’enivreront de désirs irrésistibles incontrôlables…

Et partagés !

Heures d’ivresses amoureuses incomparables, dans la tiédeur complice de la nuit andalouse...

Les jours suivants, effrayé par la dimension de la tourmente qui bouleverse mes sentiments, pour tenter de me reprendre, je décide de faire avec mon épouse un voyage à Grenade, accompagné du couple Brenda et Howard. Espérant ainsi retrouver raison et sérénité.

En vain ! Les images confondues de Marie-Madeleine et Eliane me poursuivront en dépit de ma volonté. Le désir charnel m’obsèdera et me tourmentera jour et nuit !

A mon retour à Torrémolinos, dès la première nuit, sous un ciel de rêve constellé d’étoiles, mes torrides étreintes avec la brûlante Eliane reprendront aussitôt, à la limite des plus folles imprudences ! Elles verseront dans mon sang les mêmes feux que savaient si magistralement me dispenser ma Marie Madeleine de mes vingt cinq ans, amante si exceptionnellement douée pour les jeux de l’amour !


Malheureusement, le temps des vacances s’achève, et avec lui apparaît le moment cruel de la séparation…

Mais, sans que nous ne l’ayons vraiment voulu, car notre couple est d'ordinaire plutôt réservé, des liens exceptionnels se sont noués entre nos ménages, sans doute favorisés par l'ambiance des lieux, notre relatif isolement, et peut être aussi en raison d’une consommation quasi exclusive de champagne espagnol à un tarif dérisoire !

De plus, au cours de ces semaines, j'ai eu de fréquentes conversations avec Raymond et Auswald : Ils projettent de créer une « Société Géo-Physique de Recherches » dans le sud de l'Algérie, là où le pétrole avait jailli pour la première fois à Hassi Messaoud le 26 juin 1955. Ils me proposeront finalement de me joindre à eux. Je me prends à rêver... Une originale occasion de nouvelles aventures se présente miraculeusement, à nouveau devant moi !

Tout naturellement donc, nous décidons de nous rencontrer à Londres, dès la fin septembre, pour mettre noir sur blanc les objectifs précis et les moyens financiers de cette entreprise qui m'enthousiasme déjà.

Au moment de nous séparer, nous savons que notre relation est solidement établie. Nous échangeons des promesses sincères de nous revoir. J'étreins une dernière fois Eliane en pensant à Marie Madeleine, certain maintenant de la retrouver bientôt...


Et nous poursuivons notre voyage comme prévu, par Gibraltar, célèbre par son grandiose rocher que nous ne manquons pas de visiter.

Parvenu pédestrement au sommet de ce celui-ci, particulièrement désert, Wanda aura une très sérieuse altercation avec une bande de singes qui lui disputeront son sac à provisions… Alors que je suis accroupi pour tenter de fixer sur la pellicule - et pour la postérité - cette scène hilarante, un mâle me tombe sur les épaules et tente de me voler mon appareil photo, puis d’épouiller mes cheveux… Au tour de mon épouse d'être secouée par le fou rire !

Suivent les visites de Ronda et Malaga, par le train. Ensuite, Madrid, par un avion D.C.3. Dakota datant de la dernière guerre, et qui se pose encore sur sa roulette de queue ! Enfin, Madrid, visitée sous un soleil de plomb, ultime étape avant Bruxelles, par un moderne et tout nouveau Boeing D.C.4..

Après un rapide crochet à Lens, direction Le Touquet ! Là nous retrouvons Marie-Christine en tenue de tennis, Maurice en baskets de gymnastique. Jus de pomme et cahiers de devoirs de vacances bien en évidence sur la table...

La réinsertion accidentelle et secrète du souvenir lancinant de Marie Madeleine, et les comparaisons que je serai désormais tenté de faire dans les mauvais moments que je connaîtrai avec mon épouse, auront parfois tendance à me perturber profondément...


Un soir, Wanda me brandit joyeusement une lettre : C'est Raymond, toujours aussi chaleureux, qui nous invite à Londres avec Auswald et Eliane, pour nous faire découvrir Londres et « Albion sans perfidie » !

Pour moi, c'est le bonheur ! Aussitôt mon imagination brode autour de nos projets algériens. Et mes sens brûlent à nouveau au souvenir de la voluptueuse Eliane…

Les préparatifs de voyage ont lieu dans l'allégresse. Billets pour la traversée de la Manche, toilettes du soir et tailleurs mode pour Wanda achetés, congé accordé à l'atelier.

Le matin du départ arrive. Nous sommes dans la salle de bains. Mon épouse sort de la douche luisante comme une sirène. Soudain, pour un mot, un motif dont je suis incapable de me souvenir, c'est l’incident !

Subitement, elle s'excite, tombe dans une vraie crise de nerfs avant que j'aie eu le temps de comprendre et de réagir... Survient alors la triste scène du blocage absolu : Mon épouse refuse obstinément de continuer sa toilette, puis de partir pour Londres !

Rien n'y fera, ni les raisonnements, ni l'évocation de la plus élémentaire courtoisie... Gronde en moi la rancœur... Puis le fol emportement d'une colère dévastatrice qui m'amènera à un regrettable geste de violence !

Il ne me reste plus qu'à téléphoner à Raymond pour annuler le voyage, prétextant une maladie malencontreuse...

Ce voyage tant espéré, raté par la faute de mon épouse, je ne le lui pardonnerai pas ! J'en attendais tant de promesses d’entreprise. Et aussi, tant de joies !

Car je n’avais pas oublié les brûlures de ma brève liaison avec « Eliane – Marie Madeleine »… Ce voyage, et les projets que j’avais envisagés, m’auraient permis de renouer avec mon incendiaire amante de Torrémolinos ! Par la faute de ma femme, tout s’écroulait !

Dès lors, je regarderai ma femme avec moins d'indulgence, considérant qu'elle m'a humilié, trahi. Qu'elle a rompu volontairement des liens d'amitié exceptionnels ! Que dans son fors intérieur, elle a délibérément choisi de faire échouer ce voyage. Griefs, amplifiés par ma déception amoureuse, qui empoisonneront dès lors parfois, mon raisonnement...

Une fêlure sérieuse est apparue dans notre couple, alors que commence l'automne 1958 !

Vacances sulfureuses à Torrémolinos…Auswald, Raymond, Maguy, et surtout, la sensuelle Eliane allongée sur le sable, et en deux pièces blancs...

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 18:52:20.
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