Aime-moi Mamour

UN « VOYAGE » AUX FRONTIERES DE LA MORT...

Etrangement, je passe un très mauvais début d’hiver 1958… D’abord un rhume de cerveau qui réveille une très ancienne sinusite infiniment douloureuse, et qui n’en finit pas… Je consulte un médecin, qui, outre des antibiotiques, me conseille de prendre de l’éphédrine pour me décongestionner les voies respiratoires.

Sans grands résultats autres que des accès de troubles cardiaques tels, que je suis obligé parfois de m’allonger dans mon fauteuil de bureau ou d’arrêter ma voiture… Peut être l’éphédrine dont j’abuse beaucoup, car sans, j’étouffe littéralement.

Je retourne chez le médecin qui, après un examen attentif de mon cœur, semble soucieux, me questionne sur mon passé… Je me rappelle aussitôt les conseils de prudence du professeur Minet, conseils que j’ai oubliés depuis longtemps… Il me prescrit une visite d’urgence chez un cardiologue.

Quelques jours plus tard, en éternuant violemment, je suis soudain pris d'un violent vertige qui me projette au sol ! Je reste là pendant plusieurs minutes, incapable de me relever tant tourbillonnent les images autour de moi ! Puis, peu à peu, le calme revient, et je retrouve mon équilibre.

A partir de ce jour, je serai fréquemment sujet à de légères syncopes de durée indéterminée et accompagnées de fortes douleurs thoraciques, dont j'émergerai ensuite le corps couvert de sueur, et le cœur battant à tout rompre !

« Symptômes classiques dus à des "Vertiges de Ménière" », diagnostiquera sans affolement mon médecin habituel.

Bien sur, selon mon habituel goût du secret, et par orgueil, je ne parlerai à quiconque de ces problèmes de santé...

Quelques semaines plus tard – juste avant le jour de ma visite au cardiologue - m’étant emporté contre une ouvrière de l'atelier, puis contre mon épouse pour une question se rapportant au travail, je sens revenir les douleurs thoraciques, puis mon cœur défaillir à nouveau, devenir follement arythmique, enfin se calmer... Deux autres crises semblables suivront encore.

A chaque fois, je m’allonge une demi heure…

Peu après, je me risque à prendre ma voiture, car j’ai un rendez-vous très important chez un notaire.

A peine ai-je fait cinq cents mètres, brutalement la crise revient, plus violente encore, atrocement pénible, à la limite de l’évanouissement... Je ne peux que me cramponner au volant.

Quelques minutes plus tard, tout semble se stabiliser. Je reprends la route. Cela ne m'inquiète pas outre mesure, attribuant ces crises au surmenage et à un excès d’émotivité dû à l’animation de ma précédente altercation. Je m’efforce donc de retrouver le calme, persuadé que ces malaises ne sont que passagers.

Eh bien non ! Deux kilomètres plus loin je sens une douleur atroce m’étreindre la poitrine et irradier vers le cou et le dos, surtout à gauche, à la limite du tolérable, tandis que mon cœur, après une folle accélération, se ralentit de plus en plus… Ma vue baisse... Les bruits s'assourdissent...

Cette fois, je comprends que c'est grave...

J'ai l'impression - absolument consciente et certaine - que la vie maintenant se retire de moi… J'ai juste la force de garer ma voiture, d'arrêter le moteur, et de constater que les aiguilles de la pendulette de bord marquent 11 heures 07, avant de sombrer dans un anéantissement total…

Mais, étrangement, si mes sensations corporelles sont anéanties, mon cerveau, lui, est le siège d'une intense activité dont – curieusement - je suis le propre spectateur : Je me "vois", affalé dans ma voiture, inerte, les yeux clos...

Puis, comme si je m'éloignais de la scène progressivement, je visionne le spectacle de ma voiture abandonnée, tandis qu'à quelque distance continue le trafic de la circulation automobile sur la route nationale.

Ensuite s'amorce, à une vitesse semblable à celle de la lumière, le défilé de toute ma vie : Depuis ma naissance jusqu'à cette minute ! Une somme incroyable d'images, dans une luminosité de plus en plus vive, inexprimable, semblable à celle d’un soleil blanc !

Je ne ressens aucune douleur, aucune inquiétude. Au contraire, un sentiment croissant de bonheur de plus en plus intense, d'accomplissement final parfaitement bienheureux, d'acceptation de la fin de ma vie dans la sérénité d’une destinée parfaitement accomplie. Si parfaite que je m’entends prononcer :

-« Ma vie aura été courte… Mais riche et bien remplie… Merci Mon Dieu !

Ensuite, j'ai l'impression d'être entraîné à une vitesse de plus en plus grande et finalement vertigineuse vers le haut, à l'intérieur d'un tunnel de plus en plus étroit et sombre, vers un point situé dans l'espace… Pour finalement parvenir et me diluer dans une lumière intense, indescriptible, véritable éblouissement final de bien-être absolument paradisiaque !

Instants magiques, illuminées, radieux…

Plus tard, je referai le même voyage, en sens inverse, lentement d’abord, puis à une allure qui deviendra toute aussi vertigineuse, et dans une étroitesse de couloir de plus en plus contraignant et douloureux…

Dans la souffrance, une à une, je reconnaîtrai chacune des parties de mon corps... Avec la conscience désagréable d'un environnement progressivement hostile, froid, sans soleil, par rapport à celui, paradisiaque que je viens de connaître...

Avec infiniment de regrets, je reprends, très lentement, contact avec la réalité... Que la machine de mon corps qui se remet en route, avec peine, pièce par pièce.

Et de l'heure : 11 heures 35...

Puis, comme si je sortais progressivement d'une amnésie totale, toute ma personnalité, toute ma mémoire, me reviennent par morceaux, comme si je remettais un à un mes vêtements habituels...

Je réaliserai alors, que j'ai été "absent" vingt huit longues minutes !

Aucune trace de transpiration, de palpitations... Tout s’est bien remis en route, et sans cette impression d'angoisse que j’éprouvais habituellement après chacune de mes brèves syncopes...

Au contraire ! Au fur et à mesure que la vie reflue puissamment en moi, j'éprouve un étrange sentiment d'être moi-même, mais aussi un « autre » !

Un « autre » prodigieusement animé celui là d'un enthousiasme intense, et conforté par un avenir perçu comme merveilleusement agréable et prometteur !

Exactement ce que doit ressentir un condamné à mort, apprenant au dernier moment, qu’il vient d'être gracié ! Devant lequel la vie s'offre à nouveau, avec toutes ses potentialités de joies et bonheurs ! Bien décidé alors à en profiter au maximum et sans plus tarder !

J'ai le sentiment très précis de m'être enrichi d'une expérience unique, incomparable !

Mais, mon Dieu ! Que mon voyage retour au travers de ce tunnel a été douloureux ! Autant que peut l’être sans doute, l'enfantement d'une femme accouchant d’une nouvelle vie !

Oui ! C'est exactement cela ! J'ai l'impression de commencer une nouvelle vie ! Que rien ne sera plus jamais exactement comme avant ! Que toutes les joies et tous les bonheurs, m’attendent en abondance !

Adossé au siège de ma voiture, dans le calme de la petite ruelle où je me suis garé, je reprends peu à peu contact avec toutes les réalités de mon entourage. J’entends tous les bruits de la vie coutumière, les voitures qui se croisent sur la route nationale voisine, les gens qui bavardent...

Les préoccupations de ma journée en cours me reviennent à l'esprit, le sentiment de me retrouver dans le concret de ma journée de travail.

Prudemment, je remets le moteur de ma voiture en marche, constatant que je suis proche d'une nouvelle crise de vertige. Je décide donc de retourner par précaution dans mon bureau pour m’allonger, me promettant d'aller sans tarder revoir mon docteur, puis le cardiologue avec lequel j’ai rendez-vous.

A 14 heures précises, je suis chez mon médecin habituel J. Ch., qui est aussi un ami partenaire de tennis. Je lui relate intégralement mes épreuves, surtout la fulgurante douleur d’étreinte ressentie à hauteur de la poitrine et à gauche de mon dos, suivie de ma perte de conscience pendant vingt huit minutes… Mais – par la conscience de son caractère irrationnel et invraisemblable - je n’évoque pas mon étrange « voyage », décidé dès cet instant à garder secret mon aventure !

Après m’avoir écouté, et longuement examiné, mon ami toubib diagnostique :

-« Eh bien mon petit vieux, tu l’a échappé belle : Tu as fait un ce que l’on appelle en jargon médical un « angor cardiaque », lequel d’ailleurs aurait du être définitif … Car vingt huit minutes sans réanimation clinique, tu devrais déjà être à la morgue ! Maurice, tu es un vrai miraculé…

Après un nouvel examen au stéthoscope du rythme de mon cœur, et seconde prise de ma tension artérielle, il conclut:

-"En ce moment ton cœur accuse un rythme anormalement lent, entre 45 et 50 pulsations minute, pour une tension 7 /11. Heureusement que tu dois rencontrer demain un cardiologue ! Dans l’intervalle, ménage toi au maximum.

Parvenu dans mon bureau, ayant consulté mon Larousse médical, j’apprendrai que « l’angor » était le nom scientifique de la funeste « angine de poitrine », dûe à un rétrécissement d’une des artères coronaires !

Très inquiet, je me rappelle une nouvelle fois les mises en garde et réserves sur ma longévité du Professeur Minet en 1952, après trois ans de tuberculose et un pneumothorax…

Et maintenant une crise d’angine de poitrine ayant provoqué un arrêt cardiaque de vingt huit minutes !

J’avoue que je panique un peu…


Après passage chez le cardiologue qui confirmera le diagnostique et les conseils de mon ami toubib, dans les jours et semaines qui suivront je ferai le circuit complet de tous les spécialistes possibles…

Explorant tour à tour toutes les parties de mon organisme qui pourraient avoir favorisé mon accident. Encéphalogramme, tests de recherche au niveau oreille interne, radios et manipulations des vertèbres cervicales, étude de ma bonne fonction hépatique...

Conclusion ?

Les symptômes d’angor dont j’avais été victime, avaient sans doute coïncidé avec une défaillance de mon « système vague », due à un état de très grande fatigue et d’accumulation de stress… Défaillance du système vague qui m’avait sans doute évité la mort, par une mise en léthargie de mon système végétatif pendant ces si nombreuses minutes…

Il me sera seulement prescrit – tous les examens de laboratoires ayant été favorables sauf un excès de globules rouges dû à ma réduction de capacité respiratoire - de prendre régulièrement un équilibrant du système vague, le "Librium", sans oublier de procéder à des examens de contrôle trimestriels, puis semestriels. Ce sera le début d'une dépendance médicamenteuse, à vie, mais qui s'avérera finalement très positive.

Mais quelle expérience ! Et quelle aventure !


D’autant plus que ce voyage aux frontières de la mort aura un extraordinaire retentissement sur mon devenir !

D'une part, l'espoir réconfortant que le passage de la vie à la vraie mort, le moment venu, serait peut-être aussi facile et merveilleux que je ne l'avais vécu dans la première phase de mon voyage...

Et d'autre part, la conscience qui s’est installée en moi de la nécessité - que dis-je, de l'urgence ! - de vivre désormais avec le maximum d'intensité ! De rechercher passionnément toutes les joies terrestres imaginables, dans la limite compatible, avec l’exercice de tous mes devoirs essentiels !

Vœux bien égoïstes, et peut-être sulfureux…

Car je pressens dès cet instant que les temps sereins de mon bienveillant ange gardien, celui qui avait veillé sur moi depuis le jour heureux de mon mariage, risquaient de connaître une sérieuse éclipse…

Qu’au contraire recommenceraient ceux de mon diable vert et cornu, celui qui m’avait si souvent inspiré de bien pernicieuse manière, durant les années tourmentées de ma jeunesse « chien fou »…

D’ailleurs, je ne tarderai pas à ressentir les premières inspirations délétères de ce démoniaque compagnon. Lequel m’incitera à une nouvelle manière de vivre, bien éloignée de celle vécue sous les auspices de mon ange gardien…

En somme, et dans une certaine mesure, tout comme Saint-Paul qui un jour avait senti la main de Dieu l'anéantir pour le rappeler à la pureté et à la soumission devant l'Eternel...

Mais malheureusement pour moi, la main qui m’a éprouvée n’a pas été celle de Dieu, mais celle de mon diable personnel redevenu tout puissant, acharné à me faire découvrir toutes les séductions ensorcelantes d’une autre vie…

En effet, mon étonnant « voyage » aux frontières de la mort - totalement ignoré de tout mon entourage - sera pour moi le point "zéro" d'une philosophie tout à fait nouvelle...

D'un épicurisme esthétique sur tous les plans. Exaltés par la masse des projets de toute nature que je formerai alors, stimulée par la certitude presque panique, que le temps de vivre qui m'était imparti, était dangereusement limité !

Je constaterai aussi que je suis maintenant nanti d'un appétit de vie extraordinaire, bien supérieur à celui "d'avant" ! D’une capacité et d’un désir passionné à jouir de tous les plaisirs !

Oui ! J'aspire à tout, avec impatience et avidité.

Je suis un homme nouveau ! Pressé de vivre, assoiffé de goûter à tous les bonheurs de l’existence !

A partir de ce temps, il ne se passera pas une seule journée sans que je n’éprouve le besoin de m'exclamer, paradoxalement avec ce que m’inspirait mon diable vert :

-"Merci, mon Dieu, mille fois merci ! Merci pour toutes les félicités que vous me donnez !

Quelle révolution !

Je surprends mon entourage, interloqué par la nouveauté inhabituelle de mes élans d'enthousiasme, par mon audace, ma gaîté, ma spontanéité ! Je retrouve les comportements dynamiques de mes meilleures années de jeunesse, celles des promesses entrevues lors de mes amours avec Marie Madeleine…

Mon diable personnel triomphe !

Je succombe à ses philtres...

Sans remords, je me surprends à m’organiser déjà pour vivre une sorte de double vie… D’autant plus aisément que je suis déjà habitué depuis longtemps, à garder pour moi mes pensées, mes projets, mes sentiments. A jouer un double personnage comme aux temps de la maisonnée d'Y.V… Je suis rompu à ce genre d'exercice : Je fonctionne comme une commode magique à trois tiroirs : L'ouverture de l'un impliquant le verrouillage automatique des deux autres !

Je n'ignore pas l’amoralité de cette décision, en complète contradiction avec tous mes principes d’éducation, de religion, de loyauté avec mon épouse...

Mais, dehors, le soleil est si beau, le ciel si bleu, les femmes si belles !

Et je me donne bonne conscience en estimant que j’ai droit à certaines compensations en raison des lacunes nouvelles de mon épouse… Que je tenterai, par tous les moyens en mon pouvoir, de ne jamais faire souffrir ! Et surtout en me promettant de ne jamais faillir, à aucuns de mes devoirs essentiels !

Mais je ne peux m’empêcher aussi de penser à la manière dont pourrait réagir mon épouse, en cas de découverte de mon nouveau personnage ?

J'espère d’abord, compte tenu de l’organisation que je prévois de mettre en place avec rigueur, que cette hypothèse ne se présentera pas…

Et si celle-ci survenait, je suis convaincu que ma femme saurait en priorité et par grandeur d’âme, tenir à l'écart de nos querelles éventuelles nos enfants ! De ne pas les prendre à témoin ainsi que l’avait fait avec moi ma mère dans son conflit avec mon père, ce qui m’avait tant traumatisé !

Car, de tout mon être, je me sens viscéralement attaché à ma famille. Pas un seul instant je n'envisage d'échapper à mes devoirs.

Au contraire !

Tous mes projets fondamentaux concourront vers un but essentiel : Réussir l'éducation de nos enfants. Leur préparer par notre travail un avenir doré.

Dès cet instant, je me fais le serment de ne jamais dévier d'un degré de ce cap !

Quoiqu'il arrive.

Et arrivera...

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Maurice NONET
Dernière modification le : February 27 2007 18:52:43.
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