Ma mère était active comme une abeille. Elle bourdonnait de plaisir et de travail car elle avait enfin ce grand appartement dont elle avait rêvé. Il comprenait une grande salle à manger et même, à côté, une petite pièce dotée d'un balcon qui deviendra, un peu plus tard, un salon.
Mais, l'appétit venant en mangeant, elle s'apprêtait à livrer un autre grand et prochain combat : Convaincre mon père de faire construire - à crédit et sous le bénéfice de la toute nouvelle "loi Loucheur" qui permettait d'emprunter sur vingt ans et d'échelonner les remboursements – une maison sur un grand jardin pour les légumes. Construire pour ne plus être locataire, et avoir, enfin, une maison à soi.
Mais pour moi – indifférent à ces préoccupation - ces temps furent un vrai chemin de croix, étant de plus en plus convaincu au fil des mois que j'étais anormal, puisque atteint d'un mal de laideur... Incapable de réagir, gêné par la vulgarité de certains propos de mes camarades évoquant des sujets dont j'étais presque le seul à ne pas saisir le sens, ce qui déclenchait de gros rires. Interprétant de façon erronée la raison de ceux-ci, je me croyais ridicule.
Le matin, je m'observais avec désespoir dans la glace au-dessus de l'évier servant de lavabo (c'était l'unique glace de la maison, exception faite de celle qui décorait l'horrible buffet hollandais de la salle à manger). J’y découvrais l’image de celui que je vois sur la photo du groupe scolaire de l'année 1934, personnage au sourire niais, silhouette voûtée, mal coiffé, sans personnalité. De là à me trouver moins beau que les autres, laid, était facile.
J'en étais certain. En conséquence, je perdais de plus en plus confiance, encouragé en cela par mon isolement volontaire du groupe. Ce rejet, c'était moi qui le provoquais en faisant, par chagrin, "bande à part". Mes camarades n'appréciaient pas cette attitude qu'ils interprétaient comme une forme de vaine prétention, car de plus, je prenais par bravade des airs hautains.
Et aussi, je ressentais de leur part l'expression d'un certain racisme anticlérical, propre au milieu laïque et ouvrier de ma classe. J'avais constamment l'impression de ne pas être à ma place. Je le constatais d’ailleurs à la messe du dimanche : Les parents catholiques de Juvisy n'envoyaient pas leurs enfants à l'école communale.
Une autre raison qui justifiait aussi ce décalage, était ma date de naissance qui avait permis la précocité de mon Certificat d'Etudes Primaires. De ce fait, j'étais le plus jeune de ma classe, et une à trois années d'âge me séparaient de mes autres camarades. De surcroît, mon information sur les problèmes sexuels était absolument nulle, en raison des principes strictement religieux de ma famille où tout était mystère et formules du type : "Tu le sauras plus tard". Notamment en ce qui concernait la physiologie du sexe féminin.
J'ignorais tout, Depuis l'usage de certaines parties de mon corps, jusqu'à ce que pouvait être celui d’une jeune fille par rapport à un garçon. Tout cela se conjuguait en un cercle infernal, m'enfermant dans le sophisme fatal de mon anormalité. Finalement, des pensées morbides ne tarderont pas à envahir mon esprit, accentuant encore ma décadence scolaire. Parfois, j'en arriverait à me mépriser !
Et puis, il faut bien l'avouer, je constatais depuis quasiment l'époque de la rentrée précédente, depuis les dernières vacances à Crévic et ma rencontre avec la délurée mais inoubliable Madeleine, que se développait en moi une nouvelle et honteuse maladie : Une volumineuse "enflure" non maîtrisable prolongeait mon ventre d’une manière quasi constante !
Cette nouvelle maladie, difficile à complètement dissimuler, va, au fil des mois, croître et embellir (si l'on peut dire), en dimension et fréquence de manifestations, augmentant ainsi mes tourments et mes angoisses.
Bien sûr, mes camarades auront tôt fait de découvrir ce que je tiens à dissimuler... Ignorant tout de ce qu'ils savaient déjà, j'interpréterai mal leurs plaisanteries que je prendrai pour de la cruauté gratuite. J'en arriverai à les détester, à les haïr !
A bout de force, je m'écroulerai un soir dans les bras de ma mère, lui avouant ma honteuse maladie, la suppliant de m'autoriser à ne plus retourner à l'école de Juvisy...
J'attendais les mots qui m'apaiseraient.
Confrontée avec le problème de ma puberté, elle-même mal préparée à me les expliquer, doutant aussi de la compréhension de mon père trop spirituel sur ce plan, elle choisit, après avoir réfléchi, de me déclarer :
-« Bien, je vais t'emmener chez le Docteur Kervilly.
C’était notre médecin de famille, seulement consulté dans les cas extrême. Donc, pour moi, il n'y avait pas de doute : C'était grave ! Car à la maison il fallait vraiment qu'il n'y ait pas de remède de bonne femme du type oignons cuits, cataplasme, clou de girofle, tisanes, eau de clous rouillés (le fer c'est la force), pour que l'on aille chez le médecin.
Le docteur Kervilly était un vieux monsieur sévère, tout de noir habillé, barbiche et lorgnon. Ma mère lui parla, par bribes, le visage rosi...
Mon trouble était si grand que je n'entendis presque rien, sauf lorsque la voix de basse du Docteur Kervilly m'ordonna:
-"Déculotte-toi mon garçon!
Ma maladie jaillit au grand jour, exubérante d'éclatante gravité !
Du bout de son index il en évalua la rigidité et le volume, puis laissa tomber ces mots absolument stupéfiants :
-"Mais c'est très bien mon garçon, très très bien... Bien armé pour la vie... Tu peux te reculotter.
S’ensuivit ensuite un aparté avec ma mère, un monologue à mi-voix, que celle-ci enregistrait à petits coups de tête approbateurs.
Il n'y eut pas d'ordonnance, et ma mère en guise d'explication me déclara :
--"Rassure toi, je vais m’occuper de toi dès demain !
Ce soir-là, dans mon lit, repensant et revivant les événements de la journée, ma main - bien ou mal inspirée - parcourut longuement, exploratrice, la zone malade, pour évaluer toute l’intensité de la surface enflammée, et ce, avec une louable persévérance.
Brusquement, cela provoqua une stupéfiante série de réflexes anéantissants, accompagnés d’une abondante émission de ce qui ne pouvait être que du pus, autre séquelle sans doute à tous les furoncles et abcès qui avaient si souvent altérés ma santé dans le passé ! Pourtant, je remarquais que chaque spasme était accompagné d’un éblouissement bienheureux!
Un peu plus tard, émergeant de ma stupéfaction devant l’ampleur d’un tel phénomène, pour me convaincre que celui-ci était bien une des conséquences de ma nouvelle maladie que le Docteur Kervilly avait inexplicablement trouvée "très très bien", je refis les mêmes gestes. Le mécanisme fonctionna parfaitement à nouveau avec la même intensité, suivi de la même sensation de soulagement libératoire anéantissant.
Je compris que, sans l'avoir véritablement cherché, j'avais trouvé un palliatif, un remède miracle qui abaissait mécaniquement l'état de fièvre obsessionnelle qui, si souvent, troublait mon corps et mon esprit. Bien sur il était hors de question que j'en parle à qui que ce soit ! L'important étant d'avoir trouvé une solution secrète, et qu’elle soit agréable à pratiquer.
En conséquence, j'y recourrais désormais aussi souvent que nécessaire. D'autant plus volontiers d'ailleurs, que je ne tardais pas à y prendre un plaisir grandissant, qu'altérait, en partie, un sentiment de culpabilité honteuse inexplicable.
Le lendemain, qui était un jeudi, ma mère disparut tôt le matin pour Paris. Elle revint avec mon père par le train de midi douze. J'espérais, qu'à table, il serait question de moi, de ce qui adviendrait de ma fréquentation scolaire. Rien, ma mère était soucieuse et mon père imperturbable. Quand celui-ci fut reparti pour son bureau, elle me dit :
-"Tu deviens grand, et, avec ton père nous avons décidé que tu étais en âge de savoir certaines choses. Nous t'avons acheté un livre que tu vas lire soigneusement. Grâce à cette lecture, tu vas comprendre que tu es tout à fait normal, et que tes camarades ne sont pas méchants. Ensuite, tout se passera bien à l'école. D’ailleurs, je t'y accompagnerai demain, et verrai ton directeur. Alors, tiens...
Je reçus un petit livre à couverture rose, intitulé : « Ce que tout jeune homme catholique doit savoir ».
En gros, il y avait quatre chapitres illustrés de quelques dessins très schématiques, sans aucune vraie photo :
.-"Description des organes féminins et masculins
-"Fécondation et développement du fœtus.
-"Maladies vénériennes.
-"Perversions.
Je me souviens parfaitement de l'état de perplexité et d'anxiété dans lequel me plongea la lecture de cet enrichissant ouvrage. Perplexité justifiée par le côté sibyllin des explications. Je prendrai comme exemple le fait que je m'étais attardé - bien sûr - sur le schéma représentant "les organes féminins" : Sorte de bizarres tuyaux recourbés qu'accompagnaient des appellations fléchées sur le parcours de celui-ci, et tels que : vulve, vagin, utérus, matrice, ovaire.
Où était le début, la fin, l’entrée ? Perplexité surtout car manquait la réponse à la question qui tourmentait mon esprit :
-"Où est-ce que ça se trouve dans le corps d’une jeune fille? Comment reconnaît-on l’entrée ?
Il y avait beaucoup de texte. Et, sans doute pour un esprit plus subtil que le mien, capable de lire entre les lignes, de comprendre les discrètes allusions, tout y était, mais suggéré. Pour moi, ce sera de l'hébreu.
La lecture des chapitres III et IV: "Maladies vénériennes" et "Perversions", redoublèrent ma perplexité, voir mes remords et mes angoisses.
Ils me terrorisèrent par la description des horribles maladies : Boutons, abcès, suppurations, souffrances, folie, mort, pouvant advenir dans certains cas du fait des contacts organiques sexuels.
D'où des conseils d'abstinence avant le mariage...
Enfin, au niveau des perversions, l'évocation des dangers de la masturbation, qui occasionnait la perte de la mémoire, la diminution de la vue, ainsi qu'un risque de surdité, me remplirent de crainte !
En fin d'ouvrage, il était précisé que celui-ci avait été rédigé par un Abbé (dont le nom n'est pas passé à la postérité), et qu'il était reconnu d'utilité publique pour les familles catholiques. De plus, il avait reçu l'imprimatur de l'Evêché.
Par la suite, après avoir lu et relu le petit livre rose, je tentais quelques questions relatives notamment à l'emplacement exact du "tuyau féminin" auprès de ma mère (avec mon père je n'aurais jamais osé ! Ce dernier n’ayant jamais avec moi le début de l'ombre d'une conversation initiatrice !). La réponse était prévue d'avance, définitive, sans appel:
- "Tu le sauras plus tard, quand le moment sera venu !
Ainsi, aussi étrange que cela puisse vous paraître, mes chers petits enfants pour qui j’écris ces lignes, parfaitement savants sur ce sujet dès l'âge de douze treize ans, voici quel a été mon seul et unique bagage initiatique avec lequel, plus tard, j'aurais à engager le dialogue avec l'autre moitié du monde, celui mythique et mystérieux des jeunes filles !
Bagage d'autant plus mince qu'il était conforté par les carcans rigoureux d'interdits religieux, et d'une morale inflexible, véritables blocages qui auront pour effet de me complexer durablement.
Quoiqu'il en soit, mes parents rassérénés par la remise entre mes mains du petit livre rose "Ce que tout jeune homme doit savoir", estimèrent avoir rempli tout leur devoir à mon égard au seuil de ma puberté, et il ne fut plus jamais question de cette partie de mon instruction.
Mieux, puisque maintenant j'étais "initié", mes parents estimèrent que tous mes problèmes liés à la fréquentation de l'école laïque étaient résolus. Rassurés et en paix, ils estimèrent qu’il n’y avait plus aucune raison pour me faire changer d’établissement scolaire.
Rétrospectivement, je ne peux que m'étonner de la légèreté avec laquelle ils ont traité le problème, si perturbant quand il n'est pas simplement et clairement expliqué, de la différenciation sexuelle. Problèmes si simples lorsqu'ils sont abordés sans mystère, en confiance, le moment venu.
A la limite, du fait de l'éducation ecclésiastique de mon père et de son mysticisme, de son mépris des turpitudes humaines, je m'explique en partie sa réserve et sans doute sa décision de laisser à ma mère le soin de mon initiation. Mais elle, fille de la campagne, habituée dès l'enfance à la banalisation des phénomènes de la vie, comment a-t-elle pu se débarrasser aussi facilement - par l'achat d'un bouquin recommandé par l’église -, d'un devoir aussi important ?
Ce sera une leçon que je n'oublierai pas, pour plus tard, quand je serai moi mêmeconfronté avec ces mêmes problèmes, lors de l'éducation de mes enfants.
Pratiquement, désormais soi-disant dûment éclairé, je reprendrai ma vie morose et sans joie, à l'école de Juvisy. Le soir, en cachette, je m'adonnerai aux soins de mon traitement, acceptant d'encourir tous les risques annoncés par le livre rose : perte de la vue et de la mémoire, surdité.
Pour le reste, mon père me dispense toutes sortes de sentences pédagogiques:
"Dans la vie, il y avait les forts dont il fallait être, tandis que les faibles étaient méprisables".
"Qu'il me donnerait toutes mes chances, a moi de savoir en profiter".
Il me mettait souvent en garde :
-"Attention Maurice, c'est pour toi, sinon tu le regretteras plus tard !
Ou proférait cette menace redoutable, l'index pointé:
-"Sinon, tu t'en mordras les doigts, jusqu'au sang !
Tout cela, c'était valable pour l'aiglon qu'il avait espéré, mais pas pour le canard fragile qu'il avait enfanté.
Dorénavant, je subirai les journées de classes, comme un condamné subit sa relégation, mélancolique, refermé dans ma solitude volontaire. Sans véritables activités physiques tels que gymnastique, sport, jeux collectifs. Vivant exclusivement de rêves et fantasmes.
Toutefois le traitement original de ma maladie, en imagination je recherche passionnément une solution pour l'avenir à toutes mes handicaps, refusant désormais la fatalité de ma condition.
Car, depuis quelque temps, je me raccroche à un raisonnement qui m'apporte, au fur et à mesure que j'en développe les débouchés, un début d'espoir : Le rêve d'un départ vers notre Empire d'Outre-Mer. Rêve nouveau et salvateur, suscité par la visite de la prestigieuse Exposition Coloniale de Paris ! L'enchantement qu'elle suscita en moi aura un incroyable retentissement sur mon imaginaire.
Cette exposition avait eu lieu au cours de l'année 1931, sous la Présidence de la République de Gaston Doumergue.
Le prestigieux Maréchal Lyautey, que j'admirais tant, l'avait conçue. Elle fut ouverte en mai. Tous les journaux - dont l'Excelsior - en avaient publié les photos lors de l(inauguration. Celles-ci m'avaient enflammé l’esprit, et j'en rêvais la nuit. J'avais supplié mes parents de m'y conduire au plus tôt.
Ce fut un émerveillement des yeux et du cœur ! Un voyage en raccourci dans les cinq parties du monde, "de visu" et en couleurs, car à cette époque les reportages par l'image étaient rares et, comme le cinéma, toujours en noir et blanc. Appréhension de mondes que je ne connaissais que par le nom et les petites illustrations de mon livre de géographie.
Pour moi, le choc fut extraordinaire ! L'impact sur mon esprit sans précédent. Du jour au lendemain, l'univers m'apparaîssait dans son immensité et son inimaginable diversité de paysages, habitats, monuments, traditions et mœurs. Une porte magique s'était ouverte pour moi sur des espaces inconnus la veille.
Spontanément je me rappelle toutes les émotions, toutes les images, bruits, odeurs, de cette journée, pour moi, historique !
Sans effort, je revois la grande tour en pisé ocre rouge du pavillon de la A.O.F (Afrique Occidentale Française), le pavillon de la Tunisie aux mosaïques bleues, la blancheur monumentale de celui de l'Algérie, ses tapis berbères, ses étranges lustres en cuivre ajouré. La décoration de colonnes et d'arcs outrepassé, les fontaines, de l'édifice marocain. L'envoûtement mystérieux des pagodes et sanctuaires aux toits retroussés évoquant les empires du Siam, Cambodge, Annam, Tonkin, pays enchanteurs de notre lointaine Indochine...
Mais surtout, avec une précision que le temps n'a pas altéré, la prodigieuse - le mot n'est pas trop fort -, reproduction grandeur nature de l’incomparable et original temple d'Angkor ! Vision et réalisation inouïes, qui subjugueront mon cœur d'admiration.
Quel éblouissement devant toutes ces merveilles, véritable kaléidoscope de toutes les races et civilisations de la terre!
Et, quelle merveilleuse sensation d'orgueil en voyant toutes ces populations qui les animent : Arabes en chéchias, Touaregs enturbannés, Sénégalais, Congolais à la peau d'ébène, orientaux aux yeux bridés et vêtus de robes de soie blanche, Tahitiens ornés de colliers de fleurs. Car, comble de l’émerveillement, toutes ces populations font partie de nos possessions coloniales françaises !
Quelles fantastiques raisons de fierté ! Quel privilège incomparable d'être Français ! De ressentir que cet héritage fabuleux est dû à la hardiesse et au courage d’hommes qui nous ont précédé de deux ou trois générations. Que ceux-ci nous ont légué cette fortune avec la mission de préserver et conserver leurs conquêtes ! Comme mon pays, la France, était alors puissant et respecté !
Combien j'aurais voulu vivre dans ces contrées lointaines, être un de ces prestigieux "coloniaux" dispensant à des peuples heureux et fiers d'avoir la chance d'être administrés par la France, les bienfaits de notre culture !
Bien sûr, je ne pouvais m'imaginer vivre partout à la fois... Alors j'avais fait un choix, inspiré par la stature de son colonisateur entrevu en haut des marches de l’église de Crévic, le Maréchal Lyautey : Le Maroc!
Inscription primordiale et définitive.
Donc, au plus fort de ma désespérance, je songe de plus en plus souvent aux mirages coloniaux entrevus en 1931.
A notre empire d'outre-mer, à ces peuples, tellement différents de ceux de la métropole, et où, par conséquent, je pourrai vivre normalement puisque je suis moi-même différent des autres, laid et malade. Là-bas, j’aurais peut être une chance de m'exprimer, de travailler, de réussir ma vie en dépit de ma laideur et de mes petits moyens intellectuels.
A ce sujet, j'ai feuilleté, consulté, tous les documents à ma portée, pour imaginer la vie dans ces terres lointaines. Le hasard veut que justement je lise, passionnément, d'une part le roman de Pierre Benoît: "l'Atlantide",et d'autre part : "La croisière du Haschisch", de Henri de Monfreid.
Le premier m'enthousiasme par son intrigue romanesque, dont les personnages sont la si belle et mystérieuse Antinéa, et un lieutenant français amoureux auquel je m’identifie, dans les décors mystérieux et infinis du désert... Le second, les possibilités d'aventures extraordinaires d'un homme confronté, seul et sans ressource, avec des peuples arabes vivants sur les rivages de la Mer Rouge.
Et j’ose imaginer que peut-être, dans l’un de ces mondes lointains, je rencontrerai une autre Antinéa qui acceptera de m'aimer tel que je suis, et en dépit de mes disgrâces...
Le mirage colonial sera désormais le moteur qui va focaliser mes fantasmes ! A partir de ce moment, progressivement, le désir de partir vers l'au-delà des mers, va en se précisant, devenir mon suprême espoir et la solution à tous mes maux. Je vais vivre le présent monotone, en m'aidant de ce rêve, refuge de toutes mes pensées.
Tout va concourir à le concrétiser. Les désordres politiques, dont je ne comprends pas toujours toutes les motivations, mais en constate les désastreuses conséquences : L'affaiblissement de l'autorité de l’état, la décadence de notre puissance militaire face à l'Allemagne. Et aussi la division de la société dans laquelle je vis, que je schématise arbitrairement entre une gauche ouvrière athée triomphante et aveugle, et une droite catholique lucide mais impuissante.
Maintenant, l'avenir a pour moi un sens : Partir ! Partir vers un pays de soleil et d'espaces infinis, aux crépuscules violets, vers des populations accueillantes qui ne me rejetteraient pas, et où je pourrais, grâce à l'exercice de ma volonté et de mon imagination, tenter ma chance, devenir quelqu'un.
En attendant, la France et le monde continuent de tourner... Je vais désormais vivre en prise directe, avec enthousiasme ou inquiétude, toutes les péripéties de l’actualité.