Un fils unique d'après guerre (1920 - 1939)

CHAPITRE III
LES ANNEES DE L’ECOLE LAIQUE

L'école de Juvisy - Vers le brevet élémentaire.

L'école communale de Juvisy est un très bel édifice, flambant neuf, en belle pierre meulière, vaste, aéré, lumineux et gai. Ces heureuses prémices vont être démenties lors de mes premiers contacts avec les garçons qui vont devenir mes compagnons pour plusieurs années.

En effet, dès les premiers jours de fréquentation de l'Ecole Communale, je constate trois évidences.

La première est physique : Tous mes nouveaux camarades sont plus âgés que moi, parfois de deux à trois ans.

La deuxième, c'est que sur le plan de l'éducation et des mentalités, ils sont très différents de mes anciens camarades de Franchot : Plus "populaires", parfois même d'une vulgarité que je n'ai encore jamais rencontrée.

La troisième, c'est que certaines conversations évoquent des sujets que j'ignore totalement... Mon ignorance les fait rire aux éclats !

D'autre part, le regret de l'ambiance feutrée de l’établissement que je viens de quitter, le constat de ne plus faire partie d’un groupe favorisé, développent en moi le sentiment – prétentieux - d'être déchu ! J’ai le sentiment de ne pas être à ma place. J’ai la sensation d'avoir changé de compartiment de chemin de fer, d'être dans un wagon de troisième classe, alors que je m'étais habitué à voyager en première.

En conséquence, répondant à une tendance inscrite en moi par la volonté de mon père depuis les années qui ont précédé l'école enfantine : "interdiction de fréquenter les autres", spontanément, et même avec une certaine délectation, je vais choisir de m'isoler, d’amorcer un "rejet" des autres.

Cette attitude anormale est parfaitement ressentie par mes nouveaux compagnons, qui, à leur tour et en réaction, me tienndront à l'écart. Ils me suspecteront de sentiments "bourgeois", et de "curé" !.

Ma déception s'explique.

J'ai quitté mes camarades bien élevés avec lesquels je suis en bonne communication d'esprit, auxquels je ressemble. Adieu, ma belle capote et ma casquette dorée. Je me sens dégradé. D'ailleurs, désormais, je porte la blouse grise, démocratique, correspondant à la tenue naturelle de l'école laïque.

Et puis j'ai perdu la petite main de Nicole, ma tendre petite amie chère à mon cœur, pour laquelle j’aurais fait n’importe quoi pour mériter un sourire. Une motivation sentimentale, qui, je l'apprendrai très tôt, me sera toujours indispensable, quasi vitale.

Toutefois, il me faut être juste. Certes, si le milieu laïque et l'impression de déchoir constitueront bien une étape vers un début de névrose, cet état s'accentuera aussi en raison de l'apparition d’un autre facteur essentiel : Les premiers symptômes, mystérieux pour moi, d'une puberté mal expliquée.

En effet, tous mes camarades ont tiré un grand profit de l’environnement et de l'enseignement dit "primaire" dispensé par l'école de Juvisy. Je dois reconnaître que celui-ci est de très bonne qualité, pragmatique et cohérent. Les maîtres et professeurs sont consciencieux et compétents. Les livres scolaires sont gratuits, inspirés de bonne pédagogie. Ils sont excellemment rédigés et abondamment illustrés. Je les apprécie, notamment mon « Isaac et Malet » en Histoire, et les « Gallouedec » de Géographie.

La plus grande partie de mes camarades s'en accommodent. Mieux, ils s'y épanouissent. C'est l'honneur de l'école laïque, qui, au même titre que le service militaire, assure un brassage égalitaire (ce qui est peut-être aussi son inconvénient majeur) indispensable en régime démocratique.

Pourtant, il n'est pas injuste de dire qu'en banlieue rouge, il règne une mentalité majoritairement ouvrière, socialiste, globalement égalitaire par le bas. Les grandes ambitions en sont absentes. Cela est du à son caractère "primaire", dont la fin de cycle naturelle est l’école Normale d'Instituteurs.

L'école communale est destinée, essentiellement, à former de bons ouvriers, des artisans, des petits commerçants, des fonctionnaires. Au mieux, elles forment des instituteurs. Cette filière élimine tous ceux dont les familles ambitionnent davantage.

Elles ont d’ailleurs placé leurs enfants en "cycle secondaire". Ils y préparent le fameux baccalauréat qui ouvre toutes les portes : Licences, agrégations, grandes écoles d'ingénieurs, facultés de lettres, médecine, droit. Cette ségrégation est fondamentale, quasi définitive.

Je ressens d'autant plus cette ségrégation que je suis catholique. Dans ma classe, je suis à peu près le seul. Et au niveau de spiritualité et de pratique voulus par mon père, je me sens complètement isolé.

En fait, en 1932, la périphérie de Paris, et notamment sa proche banlieue, est "rouge", c’est à dire majoritairement socialo-communiste et résolument athée. Juvisy fait partie de cette banlieue rouge, et cela détermine le niveau politico-social de la population de son école.

Cette segmentation entre le cycle primaire que je fréquente, et celui du secondaire, m'apparaît de façon éclatante tous les dimanches à la messe de l’église de Juvisy. Même en faisant un effort de mémoire, aidé par une photo de groupe de ma classe, je ne me souviens pas d'avoir rencontré un seul de mes camarades de classe à l'office dominical ! Par contre, tous les anciens élèves de Franchot fréquentent maintenant le Collège Saint Charles sous le même uniforme bleu marine.

Mais à l'opposé de la gratuité de l'école laïque, l’enseignement secondaire est coûteux, très coûteux. Or, ma mère a cessé de travailler. Depuis, à la maison, je sens qu'il y a à nouveau un problème d'argent. Je m'en rend compte à la façon dont ma mère, quand mon père lui remet son salaire du mois, fait et refait ses comptes. Elle étale devant elle les enveloppes « loyer », « vêtements », « santé », nourriture ». A l'évidence, elle a du mal à joindre les deux bouts. Il était donc impossible de continuer cette filière privilégiée, maistrop dispendieuse.

De plus, mon père a pris le temps de m'observer soir après soir... Il se convainc très vite que son canard de fils ne volera jamais très haut : Tout au plus un bon fonctionnaire des Postes ou des Chemins de Fer, postes pour lesquels il n’est nul besoin d'études secondaires. Il se persuade qu’il a fait le bon choix.

Dans ma classe, il y a plus de cinquante élèves: cinquante-quatre exactement,qui s'échelonnent de douze ans (que je n'ai pas encore ...) à 16 ans.

Les plus âgés se demandent ce qu'ils font encore là... Et ils sont nombreux. Ils passent le temps, préoccupés d'activités extrascolaires mystérieuses dont ils tirent une grande vanité, et dont sont exclus les "petits". Cela provoque des clivages définitifs à plusieurs niveaux (âge, éducation, affinités), qui s'établissent dès les premiers jours de la rentrée. Chacun choisit son clan ou est choisi par lui. Moi, je ne trouve pas le mien.

Pourquoi ? Regret de l’ambiance heureuse et privilégiée de Franchot ? Peut-être une vanité excessive ? Une fragilité psychique ?

Quoiqu’il en soit, que puis-je faire d’autre que subir subir?

Au fur et à mesure que passent les mois, il devient évident pour moi que cette école ne me réussit pas. D’autant plus que va se produire, très vite, un accident - je devrais dire un incident en raison de sa minceur - aux conséquences redoutables pour mon devenir.

1931-1932, groupe de classe. Etes-vous certain de m’identifier ?

1931-1932, groupe de classe. Etes-vous certain de m’identifier ?

Louis BOUJU, le futur écrivain Louis PAUWELS.

Louis BOUJU, le futur écrivain Louis PAUWELS.

1932-1933

1932-1933

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:28:26.
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