Un fils unique d'après guerre (1920 - 1939)

Maurice, Louis, Fernand...

Ma venue au monde fut remarquable, paraît-il, par la puissance de mes premiers vagissements ! Ils étaient si sonores et si aigus que mon grand-père, salua ma naissance par un sonore :

-"Enlevez-moi ce gueulard, il m'empêche de dormir ! »

C’est la raison pour laquelle je passerai les premières heures de mon existence dans une "charpagne" -sorte de corbeille à linge en osier - posée à même le sol de la cuisine, au pied de la grande horloge lorraine qui égrenait des battements de son balancier, les premières secondes de mon arrivée sur terre. Pour le meilleur (hum ?), et pour le pire (baste!).

Le meilleur ? Le pire? Qu'en prévoient les astres ?

Je suis natif du premier décan du Sagittaire, signe zodiacale moitié homme, moitié bête : "Homme cheval", dont l'arc bandé symboliserait à la fois, l'élan vers l'infini, et la retenue terrestre...

Introversion, subjectivité, intelligence, mobilité, caractérisent, paraît-il, les natifs de ce signe... Les astres ont aussi d'un coup de baguette magique dit-on, déposé dans mon berceau, l'audace et le goût des vastes projets, le refus d'une existence médiocre, la recherche de la perfection, mais aussi le doute et un penchant à l'anxiété.

Pourtant les « Sagittaire » aiment les plaisirs de la vie et les font partager à autrui dans une sorte de communion dionysiaque. S'y ajoutent l'attrait de l'inconnu et le goût des voyages, ainsi que celui du grand air et du sport, qui lui assurent un bon équilibre. Théoriquement, il jouit d'une santé de "cheval", et il est promis à une longue existence, sauf accident...

Toujours selon les astres, à la moitié de son temps, vers la quarantaine, ce "mordu de la vie" deviendra philosophe, se résolvera à accepter le monde tel qu'il est, et il se décidera à ne pas faire de concessions à son appétit de saines jouissances, et ce, jusqu'à un âge avancé !

Je dois ces révélations à la lecture d'un ouvrage spécialisé en astrologie, et me suis contenté de le recopier.

Ma personnalité et mon devenir ont-ils été vraiment influencés par les astres ?

Sans être un inconditionnel de l’astrologie, j’ai souvent constaté que certains traits essentiels du caractère étaient communs aux natifs du même signe. Je n’en ai pas tiré une loi, mais j’y vois la source d’une utile possibilité d’investigation.

Telles étaient donc mes dispositions zodiacales en ce 28 novembre 1920...


Et que se passait-il dans le vaste monde, au moment où j’y fis mon entrée ?


Sur le plan international, entre la fin de l’année 1919 et août 1920, cinq traités, censés assurer la paix en Europe pour longtemps, ont été signés par les puissances belligérantes.

L’Allemagne a payé particulièrement cher sa défaite: Elle a été obligée de restituer l’Alsace-Lorraine à la France, et, à l’Est, les provinces polonaises attribuées à la Prusse au 18ème siècle : La Haute Silésie, le Nord Schleswig, en tout, 75 000 km².

Son économie est également sévèrement brimée : Elle doit livrer 75% de sa production de zinc, et 30 % de son charbon. Financièrement, l’Allemagne est contrainte de verser d’importantes réparations de dommages de guerre, essentiellement à la France, ce qui n’arrangera par le contentieux futur entre les deux nations. De plus, elle doit se soumettre à une démilitarisation générale et à subir l’occupation des pays rhénans par les forces françaises.

Les Allemands, dans leur ensemble, s’insurgent contre cet « insupportable diktat », ainsi que l’illustrera de manière magistrale l’instituteur de Bad Ems qui hébergeait mon père...

En effet le traité de Versailles contient, « dans l’œuf », les prémices d’un autre affrontement avec l’Allemagne, le troisième en moins d’un siècle.

Pourtant, quel enthousiasme, quels espoirs ont fait naître en France la victoire et la reddition allemande deux ans plus tôt ! On était passé si près de la catastrophe, lors de la dernière offensive de Ludendorff sur Paris !


En fait, le sort de cette terrible guerre avait basculé, début octobre 1918, lors de la contre-offensive générale des troupes alliées de Verdun à Tournai en Belgique, ordonnée par le Maréchal Foch. Son succès sonna le glas de l’orgueil impérial.

Avec la défaite, un début de révolution a éclaté en Allemagne, et l’Empereur Guillaume II a dû abdiquer le 9 novembre 1918.

Ainsi se sont achevés quatre années et demi de guerre. La plus grande tuerie qu’ait connue jusqu’alors l’Europe : Trois millions de morts pour les Austro-Allemands, un million quatre cent mille pour la France, un million pour les Anglais. En tout, huit millions de morts et vingt millions de blessés ! Folie meurtrière des hommes qui avait impliqué la moitié de la planète !

Mais sévira aussi, à la même époque, une catastrophe naturelle deux fois et demie plus meurtrière, et dont l’histoire a peu parlé : La grippe espagnole ! Silencieusement, insidieusement, cette maladie a causé la mort de vingt millions d’hommes, femmes et enfants, en Europe !


Outre l’Allemagne, deux autres pays ont été très sévèrement punis de leur défaite, et ont perdu pratiquement de ce fait, leur statut de grande puissance.

L’empire Austro-Hongrois, par le traité de Saint Germain du 10 septembre 1919, a été démantelé et morcelé en cinq pays : l’Autriche proprement dite, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie. De plus, il a abandonné à l’Italie, Trieste et Venise.

Le traité de Montreux, le 8 octobre 1919, a fait, disparaître de la carte de l’Europe l’Empire Ottoman. Son découpage a donné naissance à quatre nouveaux pays : Irak, Perse (Iran), Syrie, Palestine, soit les trois quarts de son ancien empire. De plus, il a perdu le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles, internationalisés.

L’année 1920 voit l’apparition, sur la scène politique, d’un personnage jusqu’alors inconnu, Adolf Hitler, qui, le 2 février, créera son propre parti.

La Ruhr est toujours occupée par la France, car les Allemands ne payent pas leurs dettes de guerre.

Cette même année, la Société des Nations, autorité supra nationale imaginée par le Président des Etats Unis Monsieur Wilson - qui devrait théoriquement résoudre tous les conflits à venir entre les Etats - tient sa première assemblée.

Ainsi va le monde, que l’on pourrait croire apaisé et las de tant de violences... D’ailleurs les années qui vont suivre la guerre seront marquées par une frénésie de plaisirs et de jouissances, et ce n’est pas sans raison qu’on les appellera les «années folles» !

La France retrouve sa légèreté, son goût de vivre.

Georges Carpentier devient champion du monde de boxe toutes catégories.

Colette publie «Chéri», roman féministe aux scènes intimistes audacieuses ! La mode «garçonne» - cheveux courts, robes près du corps et au-dessus du genou -, fait fureur et enthousiasme les Françaises... et les Français! On s’agite. On applaudit. On danse. On rit.

Parfois, l’actualité fait une pirouette : Un petit matin de 1920, une garde-barrière de la région de Montargis est réveillé par un homme en pyjama qui lui déclara :

-«Je suis le Président de la République...

-«Et moi, le pape!» rétorque le modeste employé.

C’est pourtant bel et bien le Président de la République, Monsieur Deschanel, tombé accidentellement et sans dommages, de son train présidentiel !

Tel est le monde le jour de ma naissance, qui n’a pas été signalée à l’attention des hommes par une quelconque étoile !

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:28:15.
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