Un fils unique d'après guerre (1920 - 1939)

Le collège Saint Charles.

Un autre réconfort s'affirmait: la loyauté de la camaraderie de mes trois amis de Saint Charles, Nicolas, Roger et Jean, toujours fidèles à nos rendez-vous des jeudis et dimanches.

Les jeudis se déroulaient au patronage du collège, sous la chaleureuse et fraternelle direction du merveilleux abbé Seigné. Il nous parlait avec son cœur, nous acceptait tels que nous étions, et nous aimait fraternellement. Il était heureux en notre compagnie, et cela se voyait. Tout naturellement, nous étions ses enfants, comblés de bonheur d'être avec lui.

L'abbé Seigné, par la spontanéité de son engagement total, différenciait à lui seul l'esprit de l'école laïque, comparé à celui de l'école privée catholique. Selon moi, dans la première, on s'adressait surtout à la tête, à la mémoire, à la raison, méthodiquement. Dans la seconde, on s'adressait tout autant au cœur qu'à l'esprit, et avec un langage qui parlait à l'âme!

Le dimanche, il y avait la grand-messe de dix heures, à laquelle officiait le Chanoine Baudet, personnage exceptionnel, notamment pour la qualité de ses sermons. Auparavant, ceux-ci étaient soporifiques, ennuyeux en raison de leur élévation spirituelle et de leurs thèmes abstraits, souvent puisé dans l'Evangile.

L'abbé Baudet avait osé des homélies incluant des allusions précises à l'actualité locale ou nationale, à peine voilées. Celles-ci étaient guettées avec gourmandise par l'assemblée des fidèles, qui appréciaient cette Eglise dynamique et courageuse, incarnée par ce prêtre vigoureux, à la limite du combattant.

L'impulsion extraordinaire qu'il sut donner à sa paroisse aura un tel impact sur la population de la paroisse, que l’ancienne église du seizième siècle s’étant avérée trop exiguë, qu’il fallu décida d’en construire une nouvelle d’inspiration byzantine, beaucoup plus vaste. Par souscription, dans l’enthousiasme général et avec la participation fébrile de toute la jeunesse de Saint Charles à laquelle bien sur je me joindrai – nous nous étions partagé les quartiers de la ville et visité toutes les maisons, une à une, pour vendre l’équivalent d’un clou, d’une brique, d’une pierre d’un carreau -, les fonds furent réunis. En dix huit mois, l’église Notre Dame de France – en référence à tous les héros de notre histoire – sera inaugurée en grande pompe !

L’abbé Baudet – devenu Chanoine – pour suivra son action « estra muros » : Lors des élections municipales de Juvisy. Il n'hésita pas à se mêler aux réunions politiques, aux défilés où se remarquait sa haute silhouette à soutane noire aux côtés de celle rondouillarde du candidat socialiste, notre Directeur d'école, Monsieur Carème !

De plus, il saura mobiliser dans le sens d'une participation active à la vie civique, la jeunesse catholique de sa paroisse, jeunesse disponible, pleine de zèle et d'ardeur patriotique. Et j’étais fier de faire partie de celle-ci !

Que dire de cette jeunesse déjà engagée, si ce n'est que je m'y sentais bien : Même éducation, même vocabulaire, mêmes idéaux s’exprimaient par un ardent engagement politique, voire un début de passion, mêmes convictions religieuses.

Dans ce milieu, je trouvais mon identité. Mieux encore, je me sentais prêt à un certain prosélytisme, car je m’enflammais pour les idées de Charles Maurras exprimées dans le journal "L'Action Française", et pour la cause "Royaliste" !

Ce qui me donnera l'occasion de la première tentative de controverse que je soutiendrai - sans gloire, ni succès, mais avec entêtement - contre mon père…

Mon père aux convictions, étonnement - compte tenu de sa formation religieuse et de l'époque où il la reçut : celle du Premier Ministre Franc Maçon Emile Combes inspirateur de la loi de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ainsi que de celle de la confiscation des biens de l’église - résolument républicaines. Et qui le restera toute sa vie, en dépit de toutes les crises, échecs, désordres endémiques, qui trouveront leur conclusion dans la défaite de 1940 face à l'Allemagne fasciste...

L’église de Juvisy et Saint Charles seront pour moi l'occasion d'une première imprégnation politique, faite du rejet de l'école socialiste laïque, des violences ouvrières qui sévissaient en France, d'un refus épidermique du collectivisme "bolchevique" et athée qui régnait en U.R.S.S...

Le chef de file idéologique de notre petit groupe d'amis était Roger, issu d'une famille fermement traditionaliste et royaliste. ( Cela ne lui portera pas chance : En effet, quelques années plus tard, au cours de la guerre 1940 - 1945, il poussera à l'extrême ses convictions anticommunistes, en contractant un engagement dans la Légion Française contre le Bolchevisme en 1943 ! Il trouva une mort - sans gloire et sans sépulture - dans la neige glacée du front russe, sous les murs de Leningrad ! )

Donc, en dehors de l’influence de l'école de Juvisy - comme de celle de ma famille - je commence à vivre "à mon compte" pendant les heures privilégiées que je passe à Saint Charles et à l’église de Juvisy chaque semaine. Ainsi que, depuis peu, certaines à caractère purement esthétique...

Car depuis un certain temps, le dimanche et le jeudi, je quitte la maison très tôt le matin, à 7 h 30 pour suivre, à Saint Charles pendant deux heures, des cours de dessin et peinture ! Je me suis découvert en ces domaines, un petit talent que je souhaite développer et perfectionner.

A ces cours officie Monsieur Lambert, ancien prix de Rome de peinture, à la grande blouse noire, aux longs cheveux blancs bouclés à "l'artiste", et longue barbe. Son enseignement est celui de l'école du XIXème, Bouguereau, Gustave Moreau et Meissonnier, académique, hellénique, reposant sur un dessin impeccable et une excellente composition.

Son enseignement, ses règles, le catéchisme de son art, me pénétreront comme une pluie de printemps sur une terre encore vierge. J'y apprendrai définitivement la grammaire des couleurs, des proportions, l'harmonie et les règles de la mise en scène, l'exploitation des ombres et de la lumière. Je sortais de ces séances exalté et enrichi. Monsieur Lambert sera mon maître, et il formera et arrêtera le code secret de mon goût pour l'art classique.

Et, par réaction, le refus, le rejet de la peinture dite moderne, abstraite, et non figurative, telle celle de Braque - Matisse - Picasso (le Picasso d'après celui de la période rose et bleue). Il me permit en outre, de réaliser - sans que cela me décourage pour autant - que je ne serai jamais un Mozart de la peinture… D'acquérir juste assez de goût pour savoir que je n'avais point de talent !

Tout de suite après, le dimanche, je retrouvais mes trois camarades pour la grand-messe de 10 heures. A l'entrée et surtout à la sortie de celle-ci, nous vendions le journal royaliste de Monsieur Charles Maurras, "l'Action Française", ainsi que des revues catholiques dont, déjà, « le Pèlerin » .

C'était ensuite l'occasion de conversations passionnées, à propos des extraordinaires événements politiques et internationaux en cours. Et parfois aussi, ceux de très vifs accrochages avec des groupes adverses, dont ceux de mon école laïque ! Ces discussions enflammées duraient jusqu'à ce que ma montre de gousset en argent, (cadeau remontant à ma première communion) indique 12 h 25, soit cinq minutes avant l'heure impérative du pot-au-feu familial.

Tous les après-midi du dimanche, comme ceux du jeudi, je les passais jusqu'à dix huit heures au patronage Saint Charles, avec l'abbé Ségné et mes trois amis. Avec les jeudis, s’étaient pour moi des jours bénis, les meilleurs de la semaine, où je me trouvais pleinement heureux.

Cette période de ma jeunesse, entre 1935 et 1939, sera cruciale pour la formation de mes tendances, qui - curieusement - se concrétiserons en dehors de l’influence de ma famille et de mon père, dont je serai souvent tenté de prendre le « contre pied » par esprit de contradiction, et ce de plus en plus hardiment.


Pendant ces soixante mois, chaque jeudi et dimanche, seront commentés les événements prodigieux de l'actualité dont nous commençons à appréhender la gravité. Surtout la montée en puissance du risque d'une nouvelle guerre avec l'Allemagne, fanatisée par son Furher Adolf Hitler ! Ce danger mortel nous affecte et nous concerne tout particulièrement, puisque dans quelques années, nous risquons d’en être de futurs guerriers.

Mais combien souvent sont mélancoliques mes soirées dans le secret de ma chambre ! Combien je suis souvent tourmenté par le souvenir d'un visage entrevu, d'une silhouette, d'un regard de jeune fille... Je ne m'explique pas le trouble puissant qui me saisit alors, cette émotivité folle qui me paralyse. Car, ainsi que Cyrano, je sais que je ne serai jamais aimé, je suis si laid…

Et pourtant je sens déjà que ce besoin d'être aimé et d’aimer, sera pour moi l'un des tourments les plus importantes de ma vie, parce que le plus inaccessible, la plus impensable compte tenu de toutes mes disgrâces ! Aussi inaccessible que la conquête de l'argent qui a tant manqué à ma mère...

Pourtant, quand je m'abandonne aux doux rêves d'amour, je retrouve en imagination les sensations de bonheur charnel ressenties lorsque j'étais enfant, lové contre le corps de ma mère, peau contre peau. Cela me donne la fièvre !


Mais je ne perds pas de vue pour autant, l’objectif immédiat de mes quinze ans passés, l’épreuve redoutable et déterminante du Brevet Elémentaire, alors que nous achevions l'expérience d’instruction collective par le groupe, chère à Monsieur Carème...

Celle-ci connaîtra son apothéose à l'occasion d'un spectacle donné pour nos parents le jour de l'An, placé sous sa haute direction, et en final duquel il nous avait fallu entonner ce chant qui aurait enchanté Monsieur Jules Ferry, le père de l'école laïque :

-« Gloire à toi, chère école laïque,

Doux foyer où nos cœurs apprennent la beauté...

La suite de l'année scolaire, elle, fut absolument sans gloire. Il fallut bien se rendre à l'évidence et constater le désastreux niveau général individuel de ma classe, suite à la tentative socialisante de notre Directeur : L'épreuve du Brevet Elémentaire de 1936 en révélera toute l'étendue : Huit reçus sur cinquante quatre présenté…

Reçus au nombre desquels je ne serai pas !

Ma mère et tante Laurence (1934?)

Ma mère et tante Laurence (1934?)

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Dans la nouvelle église Notre Dame de Juvisy, tableaux de notre professeur de dessin, monsieur C. N. Lambert.

Dans la nouvelle église Notre Dame de Juvisy, tableaux de notre professeur de dessin, monsieur C. N. Lambert.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:28:00.
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