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UN « MALGRE LUI » POLONAIS...

L'Allemagne avait déclaré la guerre à la Russie le premier août 1914. Deux jours plus tard, elle entrait en conflit avec la France, et par voie de conséquence, avec la Grande Bretagne. L'Empire Germanique et son allié l'Empire Austro-Hongrois, devaient donc faire face à deux adversaires : A l'ouest, la coalition franco anglaise, à l'est, le rouleau compresseur des innombrables armées du Tzar.

Profitant de la facilité de déplacement de ses troupes, en raison de la densité de son réseau ferroviaire d'ouest en est, la stratégie du Haut Etat Major allemand consistera à traiter chaque front séparément.

D'abord elle portera toute la masse de ses armées à l'ouest dans l'espoir d'anéantir par des combats décisifs les armées franco-britanniques en quelques semaines. Ensuite, elle prévoyait de la transférer d'ouest en est, afin d'écraser les troupes russes - grâce à la puissance de son artillerie lourde et à la supériorité tactique de ses généraux - avant le début de l'hiver 1914.

En six mois, la victoire absolue aurait été acquise.


Andrei, mobilisé dans l'armée allemande dès les premiers jours de la guerre à Bochum, est un malheureux otage polonais embrigadé dans une des divisions d'infanterie de la 1ère Armée de Von Kluck, fer de lance de la ruée germanique sur le front français.

Otage parce qu'il est polonais, et cependant impliqué dans une guerre hégémonique allemande qui ne le concerne pas.

C'est un "malgré lui"... Un « malgré lui » qui, avec quatre millions de combattants germaniques, va être le jouet de la stratégie impériale de Guillaume II : D'abord un combattant sur le front français, puis un combattant sur le front Russe.

A l'ouest, il participera à marches forcées à l'invasion de la Belgique, puis à l'offensive vers Paris, jusqu'au jour de la contre-attaque victorieuse des armées françaises sur la Marne.

Il bénéficiera de sa première permission fin octobre. Il retrouve ainsi son épouse Stanislawa, qu'il n'a pas revue depuis deux mois, en son village natal, Pakocze.

Ils vivront alors quelques jours d'un bonheur intense, fou... Et de ces fugaces, mais chaleureuses et tendres retrouvailles, naîtra, neuf mois plus tard, le 28 juin 1915, un beau garçon, Boleslaw !

Puis c'est le retour vers les tranchées.

En avril 1915, l'unité d'Andrei est en position de combat à la limite sud du bassin minier français, près de Lens, très exactement à la fosse 5 de"Calonne", dans la périphérie de Liévin, face aux collines de Lorette et Vimy.

Une patrouille de reconnaissance leur apprend qu'en face, ils ont à faire à un régiment de la 152ème Division, le 125ème R.I. de Poitiers !

La 152ème Division de Poitiers est bien connue de l'Etat Major allemand. C'est celle qui a défait la Garde prussienne dans les marais de Saint Gond, lors des combats de la Marne.

Un féroce combat opposera les deux camps. Le régiment d'Andrei sera violemment accroché par celui du 125ème R.I., et en quelques heures, des centaines de soldats tomberont et ne se relèveront pas.

C'est en ces lieux - coïncidence extraordinaire - que les destins de Fernand et d'Andrei se sont croisés... à la baïonnette! Chacun se battant avec courage, décidé à tuer l'autre pour vaincre, et pour survivre !


Mais d'autres événements prodigieux vont peser sur la destinée d'Andrei.

Le 27 octobre 1914, le Tsar de toutes les Russie Nicolas II, a déclenché une puissante offensive d'hiver en Pologne, contre les armées germaniques.

Jusqu'alors ses troupes avaient été maintenues à distance des frontières de l'Empire et de ses centres vitaux, grâce à l'offensive éclair menée par l'Allemagne peu de temps après la déclaration de guerre, et avant que Nicolas II n'ait eu le temps de réunir toutes ses forces. Cette offensive, rapide comme l'éclair, s'était achevée par la déroute de ses troupes à Tannenberg, (cf annexe Tannenberg), fin août 1914. Grâce à cette victoire, le front oriental avait été reporté à deux cents kilomètres à l'Est, en territoire russo-polonais.

L'Etat Major allemand avait ensuite pu dégarnir cette zone de l'est, et reporter tout le poids de ses armes sur le front belge, dans le but d'anéantir les forces franco-anglaises.

Mais trois mois plus tard, le Tsar et ses généraux ont eu le temps de réunir sur le front la masse énorme de leurs armées.

Elles attaquent puissamment.

Quatre millions de Russes contre un million d'adversaires ! Jamais aucune bataille n'avait encore opposé autant de soldats.

Pour stimuler l'enthousiasme des populations, le Tsar a fait fort habilement la promesse de donner l'indépendance au peuple polonais s'il aidait la Russie.

De son côté, conscient du danger et des conséquences catastrophiques que pourrait comporter cette bataille, l'Empereur Guillaume II envoie son meilleur stratège, le Maréchal Hindenburg, avec les pleins pouvoirs.

Le 11 novembre 1914 les Russes foncent au travers de la plaine polonaise vers la Silésie et Postdam. Le 18 décembre, les Autrichiens sont défaits en Serbie. Le 20, la Prusse orientale est menacée. Les Allemands sont en pleine retraite, submergés par le nombre de leurs ennemis.

Hindenburg, aux abois, exige du renfort. Plusieurs corps d'armée, dont le régiment d'Andrei, sont ainsi transférés en toute hâte de France vers la Pologne. Ce mouvement qui déplace pourtant un million d'hommes avec son matériel, surprend l'Etat-Major russe par sa rapidité.

Les Allemands disposent en effet d'un réseau de voies ferrées dense et rapide qui leur permet le transport de plusieurs armées en quelques jours, d'Ouest en Est.

En revanche, les Russes ne peuvent se mouvoir qu'à pied, car leur infrastructure ferroviaire est presque inexistante (une seule voie de chemin de fer relie Moscou à la Pologne), et les routes sont rares, et pratiquement impraticables pendant l'hiver. Ils ne peuvent donc manoeuvrer qu'à raison de quarante kilomètres par jour au maximum. C'est dix fois moins vite que les Allemands.

Ce déséquilibre de capacités logistiques va peser lourd dans l'issue de la prochaine bataille.

Andrei et son régiment sont jetés dans la fournaise pour s'opposer à l'offensive russe qui déferle, en vagues sans cesse renouvelées, au travers des plaines de la Vistule.

On peut imaginer sans peine les sentiments qui l'animent : Il est polonais, toute sa famille vit en Pologne occupée par les Allemands, et il combat sous l'uniforme allemand !

A-t-il eu connaissance de la promesse faite par le Tsar de libérer la Pologne en échange de son soutien?

Je ne sais, mais je pense que sa conduite lui est dictée par une nécessité évidente : Epargner aux siens, à son village, les horreurs des combats, et donc de maintenir les Russes le plus loin possible de la campagne où vivent sa femme et ses quatre enfants. Si en France, il s'était battu pour ne pas être tué, il va désormais mettre tout son courage pour sauver sa famille du déferlement slave.

Pendant plusieurs semaines de l'hiver 1914-1915, le rouleau compresseur russe écrase irrésistiblement les lignes allemandes et poursuit son avance. Au cours de cette retraite dans la neige et le froid, l'unité d'Andrei est faite prisonnière !

La longue file de soldats feldgrau chemine péniblement, encadrée de cavaliers russes, vers un camp d'internement situé dans le territoire polonais russifié. Les jours passent. Andrei n'a qu'une idée en tête : S'évader. Un bois de bouleaux sur le côté de la route lui en fournit l'occasion. Avec quatre de ses camarades il se plaque au fond du ravin. Le troupeau humain s'éloigne indifférent.

Les évadés refont, jour après jour, le chemin inverse, avec la complicité des paysans polonais. L'angoisse ne les quitte pas. Ils approchent des lignes russes : Comment les franchir ?

Ils trouvent refuge dans une ferme dont la propriétaire ne sera peut-être pas insensible au charme du jeune caporal Andrei... Quoi qu'il en soit, elle connaît parfaitement la contrée et n'hésite pas à braver tous les dangers pour leur indiquer, par une nuit de calme relatif, la route la plus sure pour regagner les avant postes allemands.


Dans l'intervalle, l'offensive russe a continué à progresser. L'Etat Major allemand qui n'a pas encore trouvé la parade, est aux abois. Il rassemble à la hâte toutes les unités disponibles pour colmater les brèches, sans succès. L'Empire germanique est en péril !

Quand Andrei rejoint les lignes allemandes, il espère qu'on lui donnera quelques jours de repos afin de passer par son village pour embrasser sa femme et ses enfants : Il y a si longtemps qu'il ne les a pas vus !

Mais le danger russe est tellement pressant, la situation si grave, qu'on ne lui laisse pas le temps de revoir sa famille : Il est immédiatement réincorporé dans son unité, et renvoyé au combat.


Les forces russes viennent de remporter la grande victoire de « Des Quatre Rivières », à l'est de Varsovie, après s'être emparé de Ploszk, Lodz, Radomet et Kielce. Elles poursuivent leur avance vers Poznan et Cracovie .

Les Allemands résistent désespérément, solidement retranchés dans une forteresse réputée imprenable: Przemysl, qui défend les portes de l'Empire Austro Hongrois. Cette ville deviendra le « Verdun » allemand de l'est. (Annexe : Przemysl)

En plein hiver, dans la neige et par des froids de moins 20°, Andrei se bat avec une telle vaillance qu'il est récompensé par la prestigieuse Croix de Fer allemande, symbole de toutes les bravoures.

Mais une attaque russe de nuit surprend son régiment. A nouveau, il est fait prisonnier !


Recommence la longue marche vers les camps de détention. Mais cette fois, les cavaliers russes sont nombreux et vigilants. Il lui est impossible cette fois de s'évader.

Les captifs sont ensuite embarqués comme du bétail dans des trains de wagons de marchandises qui s'enfoncent vers les profondeurs de l'immense Russie. Andrei sait que s'il tarde à s'échapper, il sera bientôt en territoire slave, et là, il ne pourra plus compter sur la solidarité de ses compatriotes, et sera trahi par la langue, car il ne parle pas le russe !

Il décide donc de risquer le tout pour le tout, en sautant du train, dès que l'occasion s'en présentera. Deux compagnons s'associent à la tentative. A la nuit tombante ils guettent un ralentissement et se jettent dans la neige. Ils se souhaitent bonne chance, et partent chacun de leur côté.

Pour Andréi, il lui faut d'abord se débarrasser de son uniforme allemand. Il a sur lui un peu d'argent. A la première bourgade qu'il trouve sur sa route, il frappe, de nuit, à la porte d'un fripier juif.

A cette époque, en Pologne, la plus grande partie des commerces était entres les mains d'émigrés d'origine israélite arrivés depuis plusieurs générations. Ils détenaient en particulier de très nombreux établissements financiers, et beaucoup d'entre eux étaient les argentiers et les banquiers des princes et comtes polonais. Cette position leur valait une réputation peu flatteuse : «Le Juif est le pou du Polonais» entendait-on maugréer ici et là...

Compréhensif, le fripier lui vend à bon prix des vêtements civils, et lui indique la gare la plus proche : Perdu dans la foule des paysans polonais, il pourra prendre un train sans se faire remarquer.

Epuisé de fatigue, il s'endort dans la gare...

Quand il se réveille, il est encadré par deux gardes-frontières russes ! Faute de pouvoir présenter des papiers en règle, il est arrêté et définitivement transporté vers l'est, loin dans l'intérieur du territoire sous contrôle du Tzar.

On le place alors comme ouvrier agricole dans une ferme d'une région rattachée à l'Empire russe.

La fermière, qui manque de bras depuis que son mari a été mobilisé, apprécie vivement ce bon ouvrier, courageux, compétent et tellement charmeur... Il y restera plusieurs mois.


Le siège du « Verdun de l'est » s'achève : La ville forteresse tombe le 23 mars 1915. 120 000 Allemands sont faits prisonniers. 500.000 combattants y ont perdu la vie !

Dès lors, les murs de Vienne semblent à portée des canons du Tsar...

Mais ce sera la dernière victoire russe !

Car pendant le répit des semaines du siège de la ville forteresse de Przemysl, et grâce à la qualité de leurs moyens communication, les Allemands ont réussis à transférer en Pologne un million cinq cent mille hommes.

D'autre part, Guillaume II a remplacé le Maréchal Hindenburg par le Général Mackensen, partisan de l'utilisation à outrance de l'artillerie lourde avant le déclenchement de toute attaque d'infanterie.

La contre offensive générale allemande est prête. Elle est lancée le 27 avril 1915 en Courlande du Nord (Lettonie). Puis le 2 mai, au Sud, en Galicie, et enfin, au Centre, en direction de la Vistule.

Fin juillet, les forces de Nicolas II sont en pleine débâcle. Elles repassent le Dniestr, et abandonnant à leur sort des centaines de milliers de prisonniers !

C'est le moment choisi par Andrei pour s'évader de la ferme avec la complicité de sa protectrice. Habillé en civil, il saute dans l'un des derniers trains qui se dirige vers l'Ouest. Ensuite, il continue à pied dans la débandade générale des régiments russes. Il est bientôt rejoint par les troupes allemandes en pleine marche en avant. Sa troisième tentative d'évasion a été couronnée de succès !

Ayant réussi à rejoindre son unité, il est félicité, puis décoré par le Colonel de son régiment, qui, en récompense de sa conduite, lui accorde une longue permission de trois semaines.

Aussitôt, direction Packocze ! Prévenue par la gendarmerie allemande de son arrivée, Stanislawa l'attend avec impatience et amour.

En reconnaissance de ses multiples évasions, de son courage et de son loyalisme, Andrei est bienheureusement affecté à l'infirmerie d'un hôpital militaire de la région de Poznan, ce qui lui permettra de revenir très souvent auprès de sa famille.


La défaite subie par les armées russes aura d'énormes conséquences. Le moral des troupes du Tzar sera atteint, et les séditions se multiplieront. La pauvreté des paysans, la misère des ouvriers, les hécatombes de soldats provoquées par l'impéritie de l'Etat Major impérial, constitueront les ingrédients voulus pour l'explosion d'une révolte généralisée.

Cet incendie révolutionnaire s'étendra bientôt à tout le pays et, finalement contraindra le Tsar Nicolas II à abdiquer le 17 mars 1917.

Le mouvement séditieux prendra ensuite le caractère d'une véritable révolution sociale généralisée. Toute la réalité du pouvoir passera entre les mains d'un petit groupe de socialistes marxistes et intransigeants : Les « bolcheviks », alors que les masses populaires n'aspirent qu'au partage des terres et à la paix.

L'arrivée au pouvoir des bolcheviks aura de funestes conséquences : Rupture de l'alliance Franco-Russe, et dislocation de l'Empire. De nombreux territoires tsaristes feront sécession : La Finlande, la Pologne, l'Ukraine et même certains pays du Caucase ! Par contre, les provinces baltiques de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, passeront sous tutelle allemande !

Finalement, les bolcheviks concluent avec l'Allemagne le traité de paix séparé de Brest Litowsk, en mars 1918.

L'Empire de Guillaume II a définitivement gagné la guerre à l'Est. Désormais, il n'a plus qu'un seul adversaire à l'ouest : La coalition Franco-Anglaise renforcée par des contingents américains de plus en plus imposants.

Libérée, les troupes engagées sur le front russe sont transférées en France, afin que, dans un ultime effort, l'ensemble des forces allemandes foncent sur Paris, et remportent enfin la victoire finale !

C'est ainsi qu'Andrei sera à nouveau rappelé dans son unité de combat, pour être envoyé sur le front français.


Mais toutes les offensives germaniques échoueront, et finalement, irréversible, viendront enfin les temps des décisives victoires françaises.

Et le 11 novembre 1918, après plus de cinquante mois de guerre, les armées alliées commandées par le Maréchal Foch (qui sera fait Maréchal polonais !) mettront définitivement à genoux les forces allemandes, qui seront contraintes à demander l'armistice.


Ainsi s'achève pour Andrei une guerre de cinquante mois, au cours de laquelle il a été le jouet d'événements prodigieux.

Opposé tantôt aux Français, tantôt aux Russes. Trois fois prisonnier, trois fois évadé... Son histoire a été exceptionnelle !

Et il a été le témoin d'une coïncidence de combat extraordinaire, en Artois, sous les murs de la fosse 5 de Calonne Liévin...

Coïncidence mémorable !

Mine de Liévin La Fosse Calonne 1915.

André CZERNIACK sous l'uniforme allemand...

Stanislawa, l'épouse d'andreï vers 1918.

Stanislawa , jeune maman de quatre enfants : Trois autres apparaîtront , dont l'avant dernier : Wanda...

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Maurice NONET
Dernière modification le : January 31 2007 19:16:16.
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