Racines

Vivre dans la seconde moitié du XIX Siècle

Mes grands-parents tourangeaux, mes grands-parents lorrains, il est temps d'en faire la connaissance. Comme je l'ai déjà annoncé, ce ne seront que de très brèves histoires, parce qu'il s'agit de gens modestes et simples, et les gens modestes et simples, n'ont justement pas d'histoire...

Seulement celle, toujours recommencée de génération en génération, d'assurer leur subsistance par un travail acharné pour leur survie et le prolongement de leur lignée en transmettant la vie à leur tour.

Ils ont souvent été attachés à la même terre, au même sillon, à l'ombre du même clocher. Ils ont été des jouets impuissants entre les mains des dominants du moment. Victimes des grands événements, "chair à canon" comme en 1914 - 1918... Ils sont restés anonymes, désignés par la fatalité de leurs humbles origines à tout subir, à tout souffrir, et souvent à mourir « glorieusement », parfaitement inconnus, et très vite oubliés !

Ces ancêtres, je vais pourtant tenter de les faire revivre avec le peu de faits et d'anecdotes que me restitue ma mémoire, puisque, déjà depuis de nombreuses années j'ai eu le chagrin de perdre mon père et ma mère, ainsi que les parents et grands parents de mon épouse, dépositaires de leur histoire familiale.


Mes grands parents tourangeaux étaient nés peu après le milieu du 19ième siècle, aux environ de 1860.

Quel était le paysage de la France de ce moment ?

1860, c'est l'apogée du règne de l'Empereur Napoléon III. Le pays est prospère, la condition paysanne s'améliore au point que les campagnes sont le plus fi­dèles soutien du régime. Les paysans conservent dans leur bas de laine des pièces d'or frappées à l'effigie du César de l'époque : Les napoléons !

La France s'engage résolument dans la voie de l'industrialisation. Les premiers essais du convertisseur Bessemer ont lieu : Celui-ci permet d'obtenir un acier d'excellente qualité, indispensable à la fabrication des machines à vapeur, à la construction des chemins de fer, et aussi à la production d'engins de guerre perfectionnés : Pièces d'artillerie, obus explosifs et blindages !

Une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, issue du développement du commerce et de l'industrie, s'enrichit. Elle assoit sa richesse, fabuleuse pour certains. Elle devient puissante, au détriment des nobles, anciens détenteurs du pouvoir et de l'argent. Elle les supplante peu à peu.

Le pays, après le désastre de Waterloo et la sévérité du traité de Viennes, reprend peu à peu sa place dans un monde où la Grande Bretagne domine. Cette France, restaurée dans sa puissance, traite désormais d'égale à égale avec l'Angleterre qu'elle concurrence même en expansion coloniale en Afrique et en Asie, ainsi qu'avec la Prusse, l'Autriche et la Russie. Quand on songe aux sombres jours qui ont suivis la défaite de 1815, c'est un redressement inespéré !

Napoléon III jouit d'une large popularité. Elle atteint son sommet quand l'Empereur échappe à l'attentat de l'anarchiste Orsini, le 14 janvier 1858 : Le conspirateur italien avait tenté de l'abattre au moyen d'une machine infernale, sorte d'arme à fusils multiples.

De plus, la guerre, engagée aux côtés de l'Angleterre contre la Russie, s'est fort heureusement terminée par la prise de la forteresse portuaire de Sébastopol en Crimée en 1855, contraignant le Tzar à capituler.

Pendant cette campagne, l'Empereur, depuis Paris, envoyait ses ordres par télégraphe ! Invention récente, et d'utilisation encore peu courante à l'époque.

La France est également présente en d'autres points du globe. Au sud-est de l'Asie, à deux mois de bateau de l'hexagone, nos troupes occupent Saigon. En Egypte, Ferdinand de Lesseps entreprend les travaux de creusement du Canal de Suez qui réduira de moitié les distances avec l'Extrême Orient. Il sera inauguré en grande pompe par l'Impératrice Eugénie, en novembre 1869. Mais incommodé par ce succès, l'Angleterre complote déjà contre la France, et réussira bientôt à nous évin­cer de cette position stratégique privilégiée.

Notre politique européenne repose sur le principe des nationalités, avec l'arrière-pensée d'affaiblir l'Autriche. En 1859, soutenant les nationalistes italiens, nous remportons contre celle-ci les victoires définitives de Magenta et Solferino.

Mais en attaquant l'Autriche, nous nous trompons d'adversaire ! Nous oublions la Prusse de Guillaume 1er qui ne rêve que de conquêtes en Autriche et en France, pour réaliser l'unité alle­mande à son profit ! Cette tragique erreur d'objectif nous coûtera très cher...

En effet, en 1866, un coup de tonnerre ébranle le ciel de l'Europe. En quelques semaines d'une campagne militaire foudroyante, les troupes prussiennes remportent à Sadowa une victoire décisive sur l'Autriche, et l'acculent à la perte de plu­sieurs provinces ! Erreur fatale : la Napoléon III laisse faire !

Le Second Empire vit alors ses dernières années, assombries par des difficultés multiples : Une malheureuse expédition au Mexique provoquera une détério­ration de nos relations avec la Prusse. En coulisse, on soupçonne l'impératrice Eugénie d'avoir une fâcheuse influence sur l'Empereur... Les incidents diplomatiques se multiplient.

L'armée française est mal préparée pour une guerre moderne qui doit tenir compte des progrès industriels. Pourtant, le Général Leboeuf, Ministre de la Guerre, affirme « qu'il ne manque pas un bouton de guêtre à nos soldats » !

En revanche, à l'est, l'armée prussienne forgée par le Chancelier Bismarck, est dotée d'un armement moderne, tel le fameux canon Krupp à chargement par la culasse. De plus, elle est remarquablement commandée par le Général de Molke, le vainqueur de Sadowa.

Mal informé de nos carences, confronté à des difficultés sociales et politiques, et en proie à la maladie de « la pierre », Napoléon III déclare imprudemment la guerre à la Prusse, dans le but de sauver le régime par de spectaculaires succès militaires sur les champs de bataille !

Comment en est-on arrivé là ?

Bismarck, depuis la station thermale d'Ems, en Rhénanie, a adressé au gouvernement français une insolente dépêche. C'était une réponse à une question de notre Ministre des Affaires Etrangères, inquiet des prétentions territoriales prussiennes en Autriche. Cette dépêche, soigneusement calculée, provoque la colère de l'Empereur.

Le 19 juillet 1870, la guerre est déclarée. L'Empereur est à Lyon. Il regagne Paris d'urgence, par train spécial remorqué par une locomotive à vapeur "Crampton". La distance Paris-Lyon, 460kms, est parcourue en quatre heures et demie, soit une vitesse proche de cent kilomètres à l'heure ! Une performance inouïe pour l'époque ! La presse parlera du "retour foudroyant" de l'Empereur.

Hélas! cette guerre déclenchée inconsidérément, prend rapidement des allures de catastrophe. Les défaites se succèdent : Wissembourg, Froesechviller, Forbach, Metz, et finalement la reddition de Sedan le 2 septembre 1871, scellent la chute de l'Empire.

La France capitule. Le traité de Francfort, le 10 mai 1871, consacre la victoire du Roi de Prusse et fait perdre à la France deux provinces : l'Alsace et la Lorraine. La nation française devra payer en outre une énorme rançon aux vainqueurs: deux milliards de francs or ! Le Roi Guillaume premier sera sacré Empereur d'Allemagne à Versailles. L'unité allemande est réalisée

En France, après la chute de l'Empire et l'abdication de Napoléon lll, ce sont les débuts de la troisième République.


Après le désastre de 1871, mes grands-parents eurent la chance de con­naître une longue période de paix. Ils vécurent plus de quarante années sans guerre.

Ces quatre décades sont la charnière entre deux mondes : Le monde ancien de la paysannerie où l'évolution sociale à été très lente et où le cheval est resté « la plus noble con­quête de l'homme » ainsi que depuis des millénaires. Et le monde moderne de la machine à vapeur et des techniques industrielles.

En effet, dès le milieu du dix-neuvième siècle, avec l'apparition des premières usines, la société va plus changer en cinquante ans qu'en quarante siècles ! Révolution industrielle qui va entraîner l'Amérique du nord et les pays d'Europe dans une course technologique vertigineuse.

Croissance exponentielle qui ne sera jamais ni maîtrisée, ni gérée. Elle posera, dés son début, de gigantesques problèmes de société. Pour les résoudre, la philosophie politique proposera deux doctrines diamétralement opposées : Le « libéralisme capitaliste », et le « socialisme ». Ces deux tendances s'affronteront tour à tour, souvent, dramatiquement.

La France, qui s'est choisie un régime démocratique, va donner le pouvoir aux représentants du plus grand nombre de citoyens, par le biais d'élections au suffrage universel. Ce principe, louable en soi, va avoir pour effet de diviser la France, et de donner au monde du travail un poids et une importance primordiale, dont il usera - et abusera parfois avec violence - pour obtenir plus de droits, et plus d'avantages.

Cependant, au-delà des divisions politiques, en cette fin du l9ème siècle, une constance rassemble la majorité des Français : L'esprit de revanche après l'humiliante défaite de 1870, la volonté de reconquête des deux provinces perdues: l'Alsace et la Lorraine !

Au cours de ces quarante ans, les chemins de fer vont se multiplier. Les villes de France vont être reliées à Paris par un réseau de voies ferrées de plus en plus dense. En quelques décades, le rail et la locomotive à vapeur vont brasser plus de populations venues des plus lointaines provinces, qu'en vingt siècles d'histoire !

Mes grands parents furent-ils conscients de l'importance de la surprenante accélération de leurs conditions de vie à l'aube de l'ère industrielle ? Je ne sais...

Certes, ils furent les témoins émerveillés de l'apparition dans les campagnes des premiers chemins de fer, de la naissance d'armes et techniques nouvelles dans l'armée lors de leur service militaire. Ils virent aussi les manufactures et les usines se multiplier autour des villes, attirant une main-d'oeuvre de plus en plus nombreuse, début d'une concentration urbaine.

Mais toute cette agitation n'affectait pas encore fondamentalement les populations profondes des campagnes. La vie des paysans, artisans, petits commerçants, qui représentaient les neuf dixièmes de la population, restait encore inchangée, telle qu'elle l'était depuis des siècles.

Comme au temps du Moyen Age, et de Louis XIV , le laboureur est toujours chaussé de sabots, pousse sa brouette, fauche le blé à la main. La force motrice est encore dispensée par le vent et l'eau. Indispensable, universel, le cheval est présent partout.

Telles sont les conditions d'existence et de paysage dans lesquelles vont évoluer les deux familles françaises que je vais bientôt évoquer.


La troisième, polonaise, connaît le même conditionnement social et économique, mais de manière beaucoup plus contraignante, en raison de sa situation de dépendance par rapport à la Prusse. En effet, la Silésie et la province de Katowice en Pologne dont dépend leurs villages, subissent le sort de l'Alsace Lorraine annexée : L'autorité allemande s'y exerce avec méthode et rigueur.

Politiquement, la Pologne a disparu de la carte d'Europe depuis 1815 : La Prusse, l'Autriche et la Russie se sont partagé son territoire.

En conséquence, les deux lignées Czerzniak et Sobecki dont nous allons suivre désormais le parcours, vont souffrir la destinée de l'Empire Germanique.

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Maurice NONET
Dernière modification le : January 31 2007 19:16:28.
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