Vivre à 20 ans une guerre perdue

L'ALLEMAGNE ATTAQUE LA RUSSIE

Le ciel avait subitement changé de couleur ! L'énormité de la nouvelle nous stupéfie, et gonfle unanimement nos cœurs d’une montagne d’espoir !

Aussitôt je retrace dans ma tête la carte de l'Europe occidentale, si petite, comparée à l'immense Russie, qui, avec la Sibérie, couvrait un tiers de l’hémisphère nord ! Et je songeais à Napoléon, Moscou, la Bérézina et la retraite de la grande armée... Mais je n'osais encore croire à la réalité de cette nouvelle. C’était trop beau... J'empêchais mon cœur de s’emballer trop vite, avant qu'une confirmation officielle ne nous parvienne.

Cela ne tardera pas : Tous les journaux et la radio, l'annoncent dès le lendemain : La Wehrmacht, en dépit du pacte de non-agression signé par Molotov avec Ribbentrof en 1939, avait envahi l'Union Soviétique le 22 juin 1940, sans déclaration de guerre !

Nouvelle fracassante! Ce renversement d'alliance allait donner une toute autre dimension au conflit. L'incendie de la guerre allait s'étendre sur tout un nouveau front, démesuré, entraînant un peuple de cent soixante-quinze millions d'habitants dans la tourmente : l'U.R.S.S. !

Je me rappelais le vers célèbre de Victor Hugo à propos de la bataille de Waterloo :

-“ La mêlée, en hurlant, grandit comme une flamme !

Chaque acteur de notre petit groupe se met à imaginer, à sa façon, les conséquences de cette offensive contre l’empire soviétique... Solidairement, nos visages rayonnent de bonheur. Nous sommes redevenus unis et accordés : Nous pensons tous que l'internationalisation de la guerre est en marche.

Pour moi, je songeais qu’au cours de l’histoire des peuples, tous les grands conquérants qui avaient rêvé de soumettre l'univers à leur volonté, s'étaient tous un jour effondrés : Xerxès, Alexandre le Grand, César, Soliman, Napoléon... Et celui là avait justement connu la défaite face à ce nouvel adversaire... Je me rappelais les alexandrins de la retraite de Russie :

-“ Il neigeait, il neigeait toujours... la froide bise

Sifflait sur le verglas...


Désormais, toute la France sera suspendue à l'écoute de la radio de Londres, guettant, espérant les premiers échecs nazis.

Malheureusement, la suite des événements va donner raison aux inconditionnels de la puissance allemande : Les divisions blindées hitlériennes s'enfonçaient comme des épées dans la chair de la terre russe... Les victoires nazies éclaboussaient d’un sanglant bouquet la plaine soviétique.

Les villes russes tombaient les unes après les autres : Bialystok, Minsk, Smolensk... Le Dniepr était franchi. Comme une tenaille, les armées de Guderian et de von Kleist se rejoignaient, encerclant quatre corps de bataille russes…

On parlait de cinq millions de prisonniers !

Puis vint le jour de l’encerclement de Leningrad. Et, le 19 août, la reddition de Kiev, la capitale de l'Ukraine. Odessa, le grand port sur la Mer Noire, subissait le même sort le 16 octobre. Le gouvernement russe quittait Moscou, assiégé dès la mi novembre.

C’est alors que le Général Hiver, le bourreau de Napoléon, commença à étendre son blanc manteau sur les champs de bataille du Centre et du Nord de la Russie…


1941, année triomphale pour Hitler, alors à l’apogée de sa puissance ! Prodigieux succès de ses armées. Prouesses de ses divisions blindées qui ont progressé de cinquante à cent kilomètres par jour ! Suprématie aérienne totale de la toute puissante Luftwaffe !

Et aussi des victoires sur la mer, alors que celle-ci n'est pas son domaine réservé, grâce à la mise en œuvre d'une guerre sous marine à outrance : Les U. Boots de l’amiral Donitz envoient par le fond des flottes entières de bateaux marchands, et humilient même la glorieuse Home-Fleet en torpillant l’un de ses porte-avions géant, l' “ Ark Royal ”...

Année d'angoisses pour la France occupée, dont l'espoir de retour de ses prisonniers s'amenuise de jour en jour. La puissance allemande reste souveraine, implacable. La guerre sera longue. Et le pire est peut être encore à venir !

Profitant de cette situation, ô combien favorable, la propagande allemande accentue sa pression en France par tous les moyens. Elle fait ainsi projeter les deux premiers films en couleur : “ Le Président Kruger ”, à propos de la guerre des Boers, et “ Le Naufrage du Titanic ”. Ces œuvres, farouchement anti- anglaises auront un certain impact, en raison d’un reste d'anglophobie, et d’une qualité cinématographique indéniable.

En France, la vie de tous les jours devient de plus en plus pénible. Le rationnement par tickets est nettement insuffisant. Survivre devient la préoccupation essentielle de chacun. Le marché noir, un phénomène institutionnel. Un nouveau style de vie, très pragmatique, s'organise : Chaque famille se recroqueville sur elle-même, redoutant l'hiver qui s'annonce, ses longues soirées parcimonieusement éclairées, glaciales en raison de la rareté du charbon. Mais toujours l’oreille à l'écoute de Radio Londres.

Pour ma part, je me prends souvent à imaginer l'immensité de la plaine enneigée de Russie où sont immobilisés par le froid les blindés allemands, ainsi que les avions Messerschmitt, Heinkel, et les tristement célèbres Stukas... Prodigieuses machines de guerre devenues inertes en raison de la rigueur de l'hiver ! Les Allemands allaient-ils connaître à leur tour une Bérézina aux portes de Moscou ?

Quoi qu'il en soit, quelque chose avait changé depuis l'entrée en guerre des Soviétiques : Le temps des nations foudroyées en quelques semaines était révolu. Et l'embrasement planétaire que j'espérais depuis juin 1940 était en route. Il ne restait plus qu'à attendre, à attendre encore... Subir la botte allemande qui allait sans doute peser encore plus lourd, sur tous les pays occupés.


Que dire des autres événements survenus en Europe et dans le monde ? Il faut revenir quelque peu en arrière...

En janvier 1941, on avait appris que le Japon revendiquait nos territoires d’Indochine ! Que nous avions abandonné à la Thaïlande, le Cambodge et le Laos.

Que le Roi de Roumanie avait abdiqué devant la Garde de Fer d'obédience fasciste. Qu’en Afrique, Rommel menaçait Bengazi. Rien que des mauvaises nouvelles ...

En France, on apprend courant février, que l’amiral Darlan avait refusé une collaboration militaire avec l'Allemagne, mais accepté une fusion économique entre les deux pays... Ambiguïté qui troublera bien des consciences.

Par Londres, on connait le serment fait par un certain Colonel Leclerc des Forces Françaises Libres en action en Libye, à Koufra : Serment de ne déposer les armes qu'après avoir libéré Strasbourg !

Un homme de lettres remarquable, Brasillach, se fourvoie politiquement dans le journal parisien “ Je suis partout”... Tandis que l’ancien député Marcel Déat - égaré par son anti- communisme viscéral - se prononce pour une intervention armée de la France aux côtés de l'Allemagne !

Aux U.S.A., Roosevelt, neutraliste dans un premier temps et partisan de la loi “cash and carry” - payez et transportez vous même -, évolue… Il accepte désormais d'apporter toute son aide, matérielle, économique et militaire, à l’Angleterre, par la Convention “ Prêt et bail ”.

Les armées et les industries britanniques vont donc, désormais, recevoir un apport militaire considérable, et à un moment crucial. Après la Russie, il me paraît que l’Amérique, à son tour, commence comme je l’avais espéré, à s’engager contre Hitler.

Le mois de mai connaîtra un événement sensationnel et rocambolesque : Un avion de chasse allemand atterrit en Ecosse ! Le pilote n'est autre que le bras droit, le favori de Hitler - et même paraît il son dauphin - Rudolf Hess ! Il vient offrir à l'Angleterre, de la part du Führer, une proposition de paix... Réaction immédiate et sans commentaires de Churchill : Il est emprisonné...

On apprend la mort en exil de l'ancien maître de l'Allemagne, l'Empereur Guillaume II...

Vichy aurait cédé aux Japonais la base de Pnom Penh en Indochine.

Les archéologues russes découvrent la tombe de l’empereur Tamerlan.

Pétain instaure la fête des mères.

A Paris, Doriot crée la Légion Française contre le bolchevisme. Elle combattra sous Leningrad.

Cette formation ne recueillera qu’un nombre restreint d’engagés, mais il se trouvera parmi ceux-ci, l’un de mes meilleurs amis de jeunesse auquel j’étais très attaché, Robert Courtois… Sans doute égaré par ses opinions royalistes et surtout par ses convictions anti-communistes, il y trouvera une mort peu glorieuse et sans sépulture, sous les murs de Leningrad !

Cinq mille juifs sont arrêtés à Drancy, et disparaissent mystérieusement.

Les pommes de terre sont vendues à l’unité...

Le port d’une étoile « jaune », est obligatoire pour tous les juifs.

Retour au sommaire <-- --> Chapitre suivant


Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:35:04.
Site réalisé par Sébastien SKWERES
Valid XHTML 1.0 Transitional