Vivre à 20 ans une guerre perdue

ENFIN, LE MODE D'EMPLOI

Alors que des événements prodigieux dont dépend le sort du monde ont lieu maintenant en divers points du monde, ma petite vie personnelle poursuit son cours particulier, de manière remarquablement égoïste...

Surtout depuis les jours où je décidé d’essayer de comprendre pourquoi je suis si souvent lâché par mes amoureuses expérimentées !

D'autant plus facilement que j'habite désormais un studio en centre ville qui me permet de sortir facilement le soir, en dépit du couvre-feu, par les jardins et les venelles peu surveillées, et que je suis assuré d'une certaine aisance financière.

Cela va me changer !

Car depuis mon arrivée à Douai en décembre dernier, pas la moindre petite aventure amoureuse en vue...

Pendant ces six derniers mois, j’ai travaillé de douze à seize heures, sept jours sur sept, sans avoir, et pour cause, le moindre temps de nouer une quelconque intrigue sentimentale ! Combien de fois il m'était arrivé de regretter alors, tous les bonheurs connus dans la chambrette de ma douce Anna... Combien de nuits fiévreuses, maintenant que « j’étais un homme » !

Mes échecs amoureux précédents m'avaient ils vraiment traumatisé ? En fait pas tellement. Innocemment je les avais considérés comme obligatoires : On ne peut toujours réussir ! D'ailleurs, quand aujourd'hui je pense à l'amour, je constate que depuis mes rêves d'adolescent, j'ai beaucoup évolué.

Au début, j'avais souhaité rencontrer l'amour absolu pour une jeune fille idéalisée, et pour cela elle devait correspondre à quatre critères élémentaires :

1- Etre aussi belle que possible de visage et de corps.

2- Etre douée de toutes les qualités de coeur.

3- Etre distinguée, surtout de très bonne éducation, si possible intelligente et cultivée.

4- Etre “ sexy ”.

Soit : Beauté - Cœur - Distinction - Erotisme. Sigles B, C, D, E, auxquelles je me référerais souvent. Bien sûr, je réaliserai très vite qu’être à la fois B C D E, c'était beaucoup demander à une seule et même personne !

Aussi, j'avais très vite adopté le principe de partager mon cœur entre la brune et la blonde, et même, si l'occasion s'en présentait, courir plusieurs lièvres à la fois, me contentant de n'exiger pour chaque intrigue qu'un minimum de deux des quatre qualités requises.

Jamais « Erotisme » tout seul, parce que face à ce type de femmes j'éprouvais un sentiment de gêne et même de panique, devant l'expression trop évidente de leur sensualité.

Les cocktails les plus exceptionnels sont évidemment les rencontres “ B, C, D ” ou “ C, D, E ”. L'idéal des idéaux : “ B, C, D, E ” n'existant pratiquement pas, ou était tellement rare que sa recherche risquait d'être longue et épuisante.

De même, dès le départ de ma jeune carrière sentimentale, j'ai parfaitement compris qu'il y avait deux sortes d'amour :

L'amour pour l'amour, le plus enivrant, essentiellement sensuel. Mais sans aucun engagement ni obligation, totalement libre, sans contrainte ni condition. C'était celui que, pour l'heure, je souhaitais rencontrer.

Mais je savais que plus tard, beaucoup plus tard, vers mes trente ans, j'envisagerais un amour d'une autre qualité : Essentiellement sentimental, définitif et exclusif. Conforme aux règles de la morale religieuse dont j'étais profondément imprégné, avec pour finalité la fondation d'une belle famille catholique, destinée à prolonger ma vie par une nombreuse descendance.

Mais cette éventualité est bien éloignée de mes préoccupations du moment...

Depuis l'affaire des Mines de Lens, et de ma décision de consacrer tous mes temps libres aux bons soins de mes inclinations, mes aventures vont leur petit chemin avec un bonheur relatif.

Pour mes fins de semaine, compte tenu du peu de temps que me laisse mon travail, il m’arrive de puiser dans le réservoir du personnel féminin que j'ai embauché à la Chambre des Houillères, de préférence des jeunes femmes mariées dont la solitude est extrême depuis la défaite des armées françaises...

Pourquoi ne pas profiter de ma situation privilégiée, puisque l’on ne parle pas encore à cette époque de harcèlement sexuel, ni d’abus d’autorité ? Il n’empêche que de nouveau je connaîtrai de nouveaux « lâchages» du type « Solange », et certains petits sourires narquois…

Or, en août 1941, je suis sur le point de traiter une très grosse affaire sur Valenciennes. Pour y parvenir, en plus d'un travail acharné, j'ai tenté de tisser des liens d'amitié avec mon interlocuteur Monsieur F., dont dépend la signature du contrat.

Il m'a souvent fait profiter de sa voiture de fonction, et m'a donné l’occasion de rencontrer sa famille. Et par la même occasion, sa fille, dont le mari officier est retenu dans un oflag.

C'est une grande et forte jeune femme, d'au moins vingt-cinq ans, de type flamand, peau claire et yeux bleus, santé éclatante, exubérante et familière d'allure et de langage, provocante et hardie. Pas du tout mon style. Tout à fait de la seule catégorie “E ”, dépourvue des charmes de la “ bonne éducation” que j'apprécie tant.

Vient le jour où tant de services et de civilités de la part de M.F. m'inciteront, un soir, à l'inviter à mon tour aussi fastueusement que possible (sur note de frais Compagnie Bull!), dans le meilleur restaurant de la ville.

Il me fera la surprise de venir accompagné de sa fille Madeleine...

-“ J'espère que vous n'y verrez pas d'inconvénient ? Elle manque tellement de distraction !

Je pourrai apprécier en effet à quel point celle-ci devait manquer de divertissement, car je me ferai “ draguer ” au cours de ce repas comme je ne l'avais jamais encore été !

Je me laissai faire, par pur souci professionnel, pour ne pas vexer une alliée potentielle. Et aussi parce que les bons vins que j’avais commandés m'émoustillaient un peu.

Après avoir reconduit mon client chez lui, celui ci me demanda de raccompagner la dite Madeleine jusque chez à sa demeure, service que je ne refuserai pas.

Mais parvenue devant la porte de celle-ci, je fus happé par cette vigoureuse luronne qui m'entraîna, sans que je puisse vraiment résister, dans sa chambre... En un clin d’œil elle était nue, et avait entrepris de me déshabiller ! Aussitôt, ma bonne santé constitutionnelle se mit en route avec toute sa promptitude habituelle...

J'avais jusqu'alors toujours refusé les femmes de la seule catégorie « E »... Quelle erreur ! J'allais pleinement l'apprécier cette nuit-là...

Alors que j'étais encore dans les vapeurs du septième ciel à la suite de l'éblouissement d'une brutale première étreinte, j'entendis, avec stupéfaction, la voix de Madeleine m'interpeller sans équivoque :

-“ Ah non ! Mon chéri, tu ne vas pas t'en tirer comme ça ! Et moi alors ? J'en ai besoin autant que toi, et tu ne m'as rien donné ! On dirait que tu ne connais pas bien les femmes ? Eh bien mon bon chéri, moi, je vais t'apprendre ! Allez, mon mignon, tu recommences, mais tu m'obéis ! Tu fais comme je te dis... Laisse-toi faire... Sois patient : Les femmes sont lentes... Et surtout, attends-moi ! Tu vas voir que c'est autre chose...

Dans les bras - si je peux dire - de Madeleine, en une seule nuit, j'en apprendrai plus qu'en deux cents pages de lecture initiatique type « Livre Rose », et trois ans de pratique de jeunes femmes trop bien élevées !

Miracle de la vitalité exceptionnelle et de l'audace des femmes de la catégorie “ E ” ! Quel dommage que les Solange et autres Mme D. par exemple, aient respecté, par trop de discrétion, mes pratiques de séminariste naïf !

Les “ lumières ” que me révéla Madeleine furent littéralement le jour de ma “Pentecôte amoureuse” !

Moi qui me croyais si malin, quel bêta j'avais été pour ne pas deviner qu'il y avait réciprocité de plaisir entre l'homme et la femme ! Que celui-ci, parfaitement partagé, amplifiait, magnifiait l'acte d'amour ! Cette évidence m'apparaissait maintenant d'un coup !

Comment n'y avais-je pas songé? Je me rappelai soudain la profondeur de la sentence qu'avait un jour prononcée notre cher professeur de philosophie, Pierre Aimé Touchard, sentence qui m'avait tant intrigué :

-“ Le plaisir s'ajoute à l'acte, comme à la jeunesse sa fleur...

Je comprenais maintenant l’étrange comportement de madame D. de Bordeaux qui m’avait utilisé de si équestre façon, ainsi que ses débordement gestuels et gutturaux, alors qu’elle mettait à l’épreuve mon endurance...

Je comprenais maintenant pourquoi j'avais été si souvent lâché par mes petites amies expérimentées !

Rétrospectivement, je sentirai la morsure du ridicule en pensant à certains petits sourires narquois que j'avais parfois surpris sur les lèvres de certaines de mes amantes...

Pour le présent, en parfait ingrat, je me promets de ne plus jamais remettre les pieds (et le reste) chez Madeleine, ma pourtant, ô combien bienfaitrice, pour éviter d’être soumis à nouveau à ses appétits de femme de a seule catégorie E, si en retard d’affection…

Mais je me jure d'éclatantes revanches ! Et très prochaines...

Pas plus tard que ce week-end, car j'ai justement rendez vous avec mes deux amies Parisiennes, la rousse Maud et la brune Jeannette, qui sont depuis quelques mois mes amantes du moment.

Elles seront les premières à connaître mes nouvelles manières...

Véritable début de ma carrière d'amant.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:46:15.
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