Vivre à 20 ans une guerre perdue

DESENCHENTEMENTS

En effet, à partir du début de l’année 1943, les contrôles allemands deviendront encore plus stricts, et le temps des rafles de jeunes gens - imprévisibles et aveugles - se généralisera. Désormais je devrais redoubler de précautions, réduire au maximum mes déplacements, et envisager même un travail sédentaire à mon bureau de Lille ou à celui de Douai.

D’autant plus qu’au retour de ce qui devait être mon dernier voyage à Bruxelles, j’aurai la surprise de trouver ma logeuse qui m'attendait, très affolée, à la sortie de la gare : Depuis deux jours, la Milice me recherchait et guettait mon arrivée rue des Foulons ! Sans le dévouement de ma propriétaire, j'étais pris au piège ! Elle me conduira, par précaution, chez l’une de ses amies.

Solution provisoire… Que faire pour l’avenir ? Je ne vois qu'une solution : Appeler la Bull de Paris à mon secours.

Je serai très déçu. Mon patron s’inquiète surtout de l'état d’avancement des études en cours, et insiste sur mon devoir de tout transmettre, le plus vite possible, à mon nouveau directeur...

Cette fois, je comprends que c'en est fini de mon exceptionnel statut de privilégié. Je suis rentré dans le rang, devenu ce que je mérite, c'est-à-dire un jeune homme banal qui devra choisir entre la clandestinité, ou accepter d'être embrigadé dans une unité du Service du Travail Obligatoire français ! A moins que dans l’intervalle, je ne sois ramassé de force par les Services de « l’Arbeit » allemand...

Je passe les jours suivants à mettre tous mes dossiers en ordre afin de les faire parvenir à Paris.

Par précaution aussi, je prépare deux séries de lettres. Une d'adieu à mes parents. Et un lot d'amoureuses missives à chacune de mes amies... Lettres que je ne date pas, mais déjà mises sous enveloppes et prêtes à être postées en cas de besoin extrême.

C’est alors que soudain, me revient à l'esprit l'image de Monsieur de F. et sa proposition de soutien en cas de danger...

Puisque la Bull de Paris me lâche, pourquoi ne pas appeler Bruxelles ? Avec toutes les précautions voulues, je téléphone discrètement à mon protecteur.

En trois jours, tout sera réglé !

Monsieur de F., venu spécialement de Bruxelles, me remet une liasse de documents : Je suis affecté au compte de la Bull, en qualité d'Ingénieur, aux Mines de Liévin ! Affectation qui, en ce qui concerne les autorités françaises et allemandes, me dispense de tous les services obligatoires, réquisitions et risques de départ en Allemagne !

Décidément, il est évident que Monsieur de F. a le bras très long… Et qu'il dispose de remarquables appuis. Notamment sans doute au niveau des autorités d’occupation...

Pourquoi les Mines de Liévin? Parce qu’à la différence de celles de Lens, celles-ci ne sont pas encore équipées de matériel Bull... Elles sont donc un client potentiel. D’ailleurs, je dois me présenter dès le lendemain matin, au Directeur Général, Monsieur R..

Toutes choses réglées, Monsieur de F. me quitte après une très longue poignée de mains. Très pressé me semble-t-il, de regagner la Belgique.

Sans que je m'en sois rendu compte, à partir de cette embauche factice aux Mines de Liévin, ma vie va désormais s'inscrire dans un autre registre…

Et une nouvelle fois, par le jeu des circonstances !

Par fatalité. Parce que je suis le jouet d'événements démesurés qui m'entraînent dans leur irrésistible torrent. Fatalité qui va me précipiter vers une destinée absolument imprévisible.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:44:43.
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