Vivre à 20 ans une guerre perdue

DRAVEIL

Le contrat “ Mines de Lens ” signé, ma situation au sein de la Compagnie Bull était assurée. Je pouvais dès lors organiser plus harmonieusement ma vie personnelle. Bien décidé à jouir maintenant de ma jeunesse que je ne pouvais concevoir sans amour ! Et pour cela disposer désormais pour cela de tous mes dimanches et de toutes mes soirées.

Mais avant toute chose, il me fallait tenir la promesse que je m'étais faite à moi-même, de donner tout le bonheur possible à ma mère, à commencer par ce qui lui avait toujours tant manqué : Une maison avec un jardin !


Depuis mon départ pour Douai, comment ma chère maman avait-elle supporté notre séparation ? Le mieux du monde, en tout cas, beaucoup plus facilement que je ne l’avais redouté. Au début, les lettres que je lui envoyais régulièrement, avaient compensé un peu la déchirure de mon départ. Ensuite, la pluie d'argent que je faisais régulièrement tomber sur ses genoux, l'extasiait :

-“Tant d'argent, tant d'argent… Que va-t-on en faire? Il y en aura bientôt assez pour acheter une maison…

C'était important à ses yeux : Etre locataire avait été la blessure de toute sa vie conjugale. Elle se lamentait souvent :

-“ Ton père n'a pas su nous acheter une maison, comme l'on fait la plupart de ses collègues...

En réalité, mon père n'avait jamais pu avoir accès à l'emprunt à la construction prévu par la loi Loucheur, en raison de la précarité de son état de santé dû à ses blessures de guerre dont lui seul connaissait la fatale gravité, et dont il mourra, à soixante six ans…

J'entrevoyais la possibilité de lui donner cette joie, moi, le “ fruit sec ”, ainsi que m'avait souvent qualifié mon père au cours de mes années scolaires peu brillantes. Et aussi, il faut le reconnaître, de me donner ainsi l'occasion de prendre une revanche filiale sur lui...

C’est donc décidé, on achètera une maison !

Ma mère court les agences deux mois durant, sans répit. Visite, compare, estime, calcule. Me tient informé par de longues lettres.

A l'évidence, la somme dont je disposais ne permettait pas l'achat d'une demeure bourgeoise, mais tout de même une belle maison confortable, avec un bon terrain où mes parents pourraient planter des légumes, bien utiles par ces temps de guerre où la disette commençait à se faire cruellement sentir.

Enfin, après bien des démarches, nous arrêtons notre choix sur une habitation non loin de la Seine et de la gare pour mon père, dans une riante bourgade proche de Juvisy : Draveil.

Fière, émue jusqu'aux larmes, ma mère m'accompagnera chez le notaire avec mon père - car je n'étais pas encore majeur. Je signais ainsi le contrat de ma première opération immobilière, alors que je n'avais pas encore vingt et un ans !

Montagne de bonheur ! Submersion de joie ! Délicieux sentiment d'orgueil ! Jamais je n'oublierai les émois de la remise des clés ! De notre première entrée de propriétaire dans “ notre ” maison !

Tout était à moi, les murs, le toit, les fenêtres, les portes, le jardin, l'herbe... Rien qu'à moi ! Je ne me lassais pas de la visiter, du sous-sol au grenier. L’imagination déjà en travail, la tête pleine de projets...

Je découvrais la joie profonde, héritée de mes ancêtres paysans lorrains, de la “ propriété ” ! Sentiment magique dont je ne me rassasierai jamais.

Possession ! Il y a autant de différences entre : “ être propriétaire” et “être locataire”, qu'entre admirer de loin une jolie femme, et l’étreindre pleinement entre ses bras !

Je savourerai longuement cette sensation nouvelle, enivrante et réconfortante, d'avoir un “ toit à moi ”.

Et de pouvoir offrir à ma mère, ce dont elle avait rêvé toute sa vie.

Draveil , 1943.

Draveil 1943. ( On aperçoit ma main qui tient un fil qui me permet - grâce à un montage mécano – de déclencher à distance l’obturateur, car le dispositif « retard » n’existe pas encore...)

L’église de Draveil en 1943.

Mon nouveau « look » : Parapluie, serviette, gants et chapeau bords roulés… Devant la grille de la maison de Draveil. Juillet 1943.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:46:14.
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