Vivre à 20 ans une guerre perdue

LE GOUVERNEMENT DE VICHY

Toute mon agitation de ces derniers mois, mes préoccupations tout à fait égoïstes, sont sans commune mesure avec les événements en cours. Le martèlement des bottes allemandes est là pour me rappeler chaque jour l’effroyable vérité : La France est vaincue, occupée.

Mais que s'est il donc passé en France depuis mon départ de Paris en décembre 1940 ?

Etrangeté de ma mémoire… Alors que depuis le début de mon récit celle ci a fait preuve de ressources que je ne lui soupçonnais pas, j'éprouve des difficultés à me rappeler les événements purement politiques qui affectèrent mon pays en ces premiers temps d'occupation allemande !

En dépit du recours habituel aux chroniques auxquelles j’ai eu recours jusqu’alors pour la séquence des faits et leurs dates - qui instantanément éveillaient un écho dans mon souvenir - malgré quelques jours d'interruption de ma rédaction tant j'étais surpris de ses défaillances, je ne pouvais retrouver l’écho que de quelques faits...

Deux nouvelles dans la même quinzaine de fin décembre : L'arrestation de Pierre Laval sur ordre du Maréchal Pétain, pour excès de zèle envers les occupants ! Puis, quelques jours plus tard, sa libération sur ordre express de Hitler ! Laval aurait alors paraît il commenté :

- “ Je sais désormais où sont mes amis...

Ou encore, le retour des cendres de l'Aiglon, ce fils tant désiré de Napoléon, mort en exil à Schönbrunn, me souvenant aussi du commentaire des ouvriers du bassin minier à ce sujet :

-“ Ils nous volent notre charbon, et ils nous rendent les cendres...

Ce geste gratuit de propagande nazie n'aura pas l'impact espéré par nos vainqueurs, qui souhaitaient nous attendrir à peu de frais.

Pour des raisons professionnelles, j'ai pu connaître exactement le tracé de la ligne de la zone interdite du Nord : Abbeville - Amiens - Péronne - Laon - Mézières. Et celui de la zone rattachée à Bruxelles qui suivait exactement les limites sud des deux départements du Nord et du Pas-de-Calais.

Egalement, retrouvé dans une des lettres de ma mère, les cours du marché noir : Un œuf vaut 3,25 F. ; l'huile 120 F. le litre; le beurre 90 F. le kilo. Pour se faire une idée de ce que ces prix représentent, il faut se rappeler que le salaire mensuel d'un instituteur était de 1.250 F par mois !

Ainsi que les restrictions par cartes d'alimentation devenues extrêmement sévères : 200 g de pain, par jour, 300 g de viande par semaine !

Je me rappelle aussi de deux films: “ La fille du puisatier ” de Pagnol, avec en vedette Fernandel et Raimu, et “ Remorque ” avec Jean Gabin.

Ce qui est curieux, c'est que la mémoire de mes amis d'alors, du même âge que moi, valablement observateurs et curieux, n'ont guère davantage retenu... A leur grand étonnement d'ailleurs, quand je leur ai fait constater leurs carences !

Il y a bien sûr une explication à ce double constat : Après les dix années - entre 1930 et 1940 - de vie politique française dominées par des luttes démagogiques dont le point d'orgue avait été l'avènement du Front Populaire socialo-communiste de Léon Blum, par une instabilité gouvernementale chronique, par un affaiblissement progressif de l'autorité de la France en Europe, enfin par une série de grèves et d'émeutes qui avaient ruiné la France et préparé la défaite, la déliquescence du pouvoir avait été sanctionnée par une atterrante défaite historique !

D'où, aujourd’hui, un rejet physique, un écœurement des Français pour tout ce qui touchait, de près ou de loin, aux jeux de la politique. Un désintéressement total.

Rejet et désintéressement qui nous pousseront à accepter de remettre entre les mains du Maréchal Pétain, le destin de la France, parce qu’il s’identifiait avec l’honnêteté, la respectabilité et le patriotisme !

Avec soulagement, on lui avait délégué de tout cœur le soin de gérer le désastre, totalement, et sans contrôle ! Parce que nous avions confiance en l'homme, l'ancien héros de Verdun, intègre, courageux et indiscutablement foncièrement Français ! Bien peu avaient douté de lui à cette époque.

Car en fait, nous avions le choix entre deux solutions : La résignation actuelle, momentanée et calculée, dans l'attente de la mondialisation du conflit. Ou le refus de toute soumission par un combat clandestin ! Résistance avortée dans l’œuf, faute du minimum d’armement voulu, et qui aurait eu pour conséquence, l’occupation du reste de la France jusqu’aux rives de la Méditerranée !

Oui, en cette première année de l’occupation, la plus grande majorité des Français - toutes couches sociales et générations confondues - optera pour le maréchal Pétain ! Choix qui sera taxé, beaucoup plus tard, après la libération, de faiblesse, de défaitisme... Jugement trop facile, après coup !

Parmi cette majorité de Français, il y avait les citoyens qui s’étaient montrés les plus clairvoyants - comme les associations d’anciens combattants de la guerre 1914-1918 dont faisait partie mon père - qui avaient redouté les effets des solutions de générosités sociales, face au réarmement intensif des Allemands.

Ils avaient eu aussi le courage de souhaiter une politique de fermeté à l'égard de l'Allemagne ressuscitant dès 1930 sous l'impulsion de Hitler. De réclamer un intervention militaire outre-Rhin dès la première violation du traité de Versailles, lors de la remilitarisation de sa rive gauche.

De vouloir que l'autorité de l'Etat soit respectée. De comprendre que, face à un pays dont les usines de guerre travaillaient soixante heures par semaine à raison de deux et trois postes par jour et avec une population active une fois et demie plus nombreuse que la nôtre, on ne pouvait faire miroiter aux ouvriers de trop faciles et généreuses réformes sociales, notamment une réduction de la durée du travail, sans risquer un suicidaire déséquilibre dans la production des armes de guerre !

Malheureusement, ceux-ci n’avaient pas été écoutés.

Ces Français-là étaient conscients, fin 1940, d'avoir eu raison contre les prometteurs de lune, les démagogues qui avaient triomphé aux élections de 1936...

Désespérés par la défaite, ils avaient alors lucidement, recherché l'attitude la plus convenable face au malheur qui nous valait deux millions de prisonniers et la perte des neuf dixième de notre matériel militaire. Ils avaient compris que toute résistance était folie tant que le contexte actuel ne serait pas modifié.

Car que peuvent dix mille poitrines nues contre la mitrailleuse d'un seul char ?

Il était donc tout à fait honorable de se résigner momentanément, en accordant sa confiance à un homme au-dessus de tout soupçon au point de vue patriotique et qui incarnait la France humiliée : le Maréchal Pétain !

Malheureusement, quelques mois plus tard, son gouvernement devra moduler son attitude nationaliste, en raison des chantages et des pressions de nos vainqueurs qui détenaient deux millions de prisonniers, et la moitié la plus riche du territoire national. Difficile et dangereux jeu diplomatique, avec un adversaire qui détient tous les atouts !

Mais, aussi profond qu’ait été notre désespoir, il nous semblait que viendraient peut être un jour des raisons d’espérer.

La guerre parfaitement prophétisée dans le fameux “ Mein Kampf ” d'Adolf Hitler, ne pouvait se limiter à un conflit entre quelques pays européens comme cela avait été le cas en 1866 entre la Prusse et l'Autriche, ou encore en 1870 entre Napoléon III et le roi Frédéric II...

Non, l’actuel conflit ne pouvait en rester à ce stade !

Déjà, la première guerre mondiale avait démontré la fatale implication des Etats-Unis dans la guerre franco allemande.

Imparablement, ce conflit ne s'achèverait pas avec la seule défaite de la France ! Il continuerait encore longtemps, et impliquerait d'autres nations encore neutres. Amplifié par tous les progrès industriels à venir, générant l'usage d'armes toujours plus redoutables, toujours plus perfectionnées, toujours plus meurtrières, et surtout toujours plus nombreuses.

Telles étaient sans doute les raisons de notre étrange passivité politique de l’époque, et de notre désintéressement de la chose publique. Et, par conséquence, l'absence de nos souvenirs.

En revanche, inoubliables sont ceux qui ont trait à la poursuite de la guerre, et la succession insolente des victoires nazies…

L'incroyable a lieu en Méditerranée ! Alors qu'on pensait l'Angleterre maîtresse absolue des mers, l'Africa Corps du fameux Général Rommel, à la barbe de la Royal Navy, parvient à débarquer massivement en Libye le 12 février, et occupe Tripoli !

En Europe Centrale, mainmise germanique sur les Balkans en mars. En avril, c'est le tour de la Yougoslavie, Belgrade est investie. Plus au sud, assaillie par une armée de panzers venue au secours de celle de Mussolini incapable de venir à bout du faible contingent hellène réfugié dans la montagne, la Grèce capitule.

Le 20 mai, par un coup d'audace prodigieux, les troupes aéroportées allemandes envahissent la Crète sous les yeux de la Home Fleet !

La machine de guerre germanique semble irrésistible. L'hégémonie d’Hitler sur l'Europe devient totale. Sur tous les océans, les bâtiments de l'amiral Donitz sont insaisissables, et envoient par le fond des centaines de bateaux de commerce.

Pourtant, l’Angleterre reste debout !

Après avoir pensé qu'elle nous avait trahie à Dunkerque et Mers el Kébir, nous commençons à nous prendre d'admiration pour ce peuple qui subit sans faiblir les bombardements massifs de l'aviation de Goering, nuit après nuit...

D'éprouver de l’admiration pour leur Royal Air Force dont les Hurricane et les Spitfire tiennent victorieusement tête aux redoutables Messerschmitt et Heinkel. Enfin un grand respect envers cet homme indomptable qu’elle a su se donner aux heures où se jouait son destin : Winston Churchill ! Pourquoi n'avons nous pas su nous choisir aussi, en temps opportun, un semblable chef indomptable ?

Car il faut bien se rendre à l'évidence : l'Angleterre résiste ! Et pourtant, ce n'était pas l'envie qui manquait aux Allemands de la réduire à néant : Radio Paris ne clamait-il pas quotidiennement par la voix de Philippe Henriot :

-“ Londres, comme Carthage, doit être détruite !

Après des échecs humiliants en Méditerranée, la Home-Fleet enregistre enfin un succès spectaculaire le 10 mai : Elle coule le cuirassé le plus puissant d’Allemagne, le Bismark, quarante mille tonnes, après une furieuse poursuite de Brest à Calais.

De plus, la R.A.F. équipée de tous nouveaux bombardiers quadrimoteurs fabriqués aux U.S.A., entreprend des raids nocturnes de représailles sur les villes allemandes, narguant la suprématie aérienne de la Luftwaffe, infligeant ainsi un cinglant démenti à la promesse du Maréchal Goering :

-“Jamais un avion ennemi ne survolera une ville allemande !

Une vieille dame admirative devant la statue symbolique de la race aryenne, signée par le sculpteur officiel allemand : Arnaud Breker ! Ironie de l’histoire, celui-ci était juif !

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:53:00.
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