Un monde nouveau est en gestation, dans la douleur et dans le sang. Mon pays, mon cher pays, qui, il y à peine quelques années était encore l’un des phares du monde, est aujourd'hui vaincu, occupé, humilié comme jamais encore il ne l'a été au cours de sa longue histoire !

Dans quelques mois, j'aurais vingt-deux ans. J'ai l'impression d'en avoir vécu trente, tant ces dernières années ont été lourdes d'événements prodigieux ! Et je ressens sur mes épaules tout le poids de la fatalité.

En effet, en y réfléchissant bien, je n'ai jamais rien choisi vraiment librement. Tout m'a été imposé, et à cet instant précis, je constate combien trois guerres contre le même adversaire ont pu déterminer mon hérédité et mon destin.

1871, la défaite contre les Prussiens a provoqué l'exil de mon grand-père maternel lorrain, des environs de Metz annexé lors du traité de Frankfort, et qui refusa d'être allemand : En s'installant aux environs de Nancy à la Neuvelotte, il devait quelques années plus tard, fonder une famille dont l’une des petites filles deviendra ma mère, à Crévic.

Sans la mobilisation du mois d'août 1914, celui qui deviendra mon père, aurait été prêtre après quinze années de séminaire... Sans la guerre de 1914-1918, jamais il n'aurait rencontré, dans un petit village de Lorraine bien éloignée de sa Touraine natale, celle à laquelle je dois le privilège de la vie.

Sans la guerre de 1939, selon ma vocation, je serais sans doute parti pour le Maroc...

Fatalité !

Et, aujourd’hui, je ne sais pas encore que la fatalité va continuer à m'imposer sa loi, inéluctablement, en dépit de toute ma présente agitation dérisoire.

Cette même fatalité qui en ce moment même, dresse des nations entières dans une guerre monstrueuse, à l'issue encore incertaine...

Fatalité qui, demain, de son glaive brandi, va armer les bras des nations victorieuses.