Vivre à 20 ans une guerre perdue

HISTOIRE DE HARENGS !

Début 1943, le ravitaillement à Paris est devenu extrêmement difficile. Au cours de mes déplacements il m'arrive de pouvoir acheter des produits alimentaires variés et imprévisibles : seau de mélasse sucrée, sac de nouilles, haricots secs en vrac, que je m'empresse de rapporter à Draveil. Cela me rappelle une petite aventure...

Lors d’une des dernières visites à mes parents avant le débarquement allié, le hasard a voulu que la veille - par l’intermédiaire de la coopérative des Mines de Lens - j’aie pu acheter 25 kilos de harengs frais ! Une manne providentielle en cette période de disette. Pour le transport, j'ai sacrifié une vieille valise de la qualité d'alors, c'est-à-dire en carton.

Manque de chance, rien ne s'enchaînera selon mes désirs au cours de ce voyage : Retards, sabotages... Tout joua contre moi, et mes harengs !

J'arrive Paris Nord juste pour une interruption du trafic du métro. Il fait nuit. Je calcule qu'en marchant très vite, j'atteindrai la gare d'Austerlitz juste à temps, pour le dernier train en partance pour Juvisy…

Donc, me voici, serviette, parapluie et valise de vêtements d'un côté, valise de 25 kgs. de harengs de l'autre, dans les rues désertes de la capitale, bras distendus par la charge.

Désertées par les promeneurs en raison de l’heure, certes, mais pas par les chats ni les chiens errants, tous follement alléchés par l'odeur de mes poissons !

Impossible de m'en débarrasser sans déclencher des concerts d'aboiements capables d'attirer vers moi toutes les patrouilles allemandes de la capitale ! Les plus hardis de mes poursuivants vont mêmes jusqu'à lécher le fond de ma valise de carton ! Réalisant ainsi à mes dépens et en vécu, le thème d'un film ultérieur : "La Traversée de Paris", avec Bourvil et Gabin, sans en avoir perçu les droits d'auteur...

Les dieux seront avec moi, je ne rencontrai pas de contrôles allemands, et réussirai à attraper, au vol, le dernier train.

Affirmer que ma mère - que j'avais réveillée au milieu de la nuit - fut transportée de joie à la vue de ces vingt cinq kilos de poisson qui, par leur odeur, exigeaient un traitement d'urgence, serait très exagéré...

A trois, avec mon père appelé en renfort, nous avons gaiement (?) passé le reste de la nuit à écailler, vider, trancher des têtes, fendre en deux dans le sens de la longueur, cinquante livres de poissons qui seront transformés, pour des raisons de conservation, en pots de “ rollmops ”.

Ce sera pour moi le début d'un trimestre alimentaire placé sous le signe astrologique du poisson ! Etrange, je n'ai plus jamais depuis cette époque, éprouvé de goût pour cette gourmandise, pas plus d'ailleurs, et pour les mêmes raisons de saturation, que pour les rillettes de lapin !


Ma vie peu active et sans entrain, s'installe tant bien que mal, rue Pasteur à Liévin. Heureusement, je passe deux jours par semaine sur Lille, puis sur Roubaix et Tourcoing, où je découvre l'importance de l'industrie textile dans cette région, depuis le peignage, la filature, jusqu'au tissage et teinturerie. Riches et nombreux clients potentiels pour plus tard, Bull de Paris ou Bruxelles...

Au fil du temps, se déplacer devient peu à peu une véritable expédition, en raison des caprices des transports ferroviaires, du fait des bombardements et des plasticages de plus en plus fréquents.

Quant à Paris, c'est maintenant une aventure pleine d'aléas : On sait à peu près quand on part, mais pour ce qui est de l'heure d'arrivée, elle dépend des actions de la Résistance, des dynamitages des voies ferrées, et des actions des avions Mosquitos de la R.A.F. qui mitraillent les convois.

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 13:53:01.
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