Vivre à 20 ans une guerre perdue

LIVRE I
TRIOMPHE ET HEGEMONIE DE L'ALLEMAGNE NAZIE

PROLOGUE

Chers petits enfants et arrières petits enfants, ami rarissime lecteur, sachez que si vous avez le privilège (?) de lire les lignes qui vont suivre, vous le devez à un fait historique extraordinaire : L’assassinat de l’Archiduc François Ferdinand, héritier du trône Austro-Hongrois, le 28 juin 1914 à Sarajevo...

En effet, grande cause, infime effet, sans les conséquences apocalyptiques qui affecteront la France et l’Europe au cours de la première grande guerre mondiale du début du vingtième siècle, je ne serais pas !

Car, fin juillet 1914, un jeune diacre au Séminaire de Tours se prépare à recevoir le sacrement de l'ordination. Il est promis à la prêtrise, et, en raison de ses brillantes capacités intellectuelles et de sa grande piété, il est assuré d’une brillante carrière sacerdotale.

Survient alors à la suite de cet assassinat, le coup de tonnerre du 2 août : La guerre entre la France et l'Allemagne alliée à l’Autriche, est déclarée ! Tous les tocsins des églises de France appellent à la mobilisation générale.

Le jeune diacre est brusquement mobilisé au 125ième régiment d'infanterie de Poitiers, où il servira son pays pendant cinquante longs mois.

Fin 1917, le séminariste tourangeau qui a combattu dans les tranchées sur tous les fronts du nord et de l’est de la France, rencontrera l'amour terrestre dans un petit village de Lorraine où son unité bénéficie d'une période de repos bien méritée.

Une jolie jeune fille de dix-huit ans enflammera son cœur, au point de lui faire perdre sa vocation sacerdotale.

Cet homme et cette femme sont mon père et ma mère, unis pour la vie par le sacrement du mariage en la paroisse de Crévic, le 2 janvier 1920.


Je suis né le 28 novembre 1920.

Parce que la fatalité d'une nouvelle guerre entre la France et l’Allemagne restera évidente, je serai, par la volonté de mes parents, un fils unique.

Enfance cajolée, choyée. Puis adolescence bien particulière entre un père resté profondément mystique, et une mère de puissante souche paysanne qui attend tous les plaisirs de la vie...

Jeunesse isolée, au service de la religion. Peut-être mon père espéra-t-il que je serai touché par une vocation religieuse, au cours d'une année passée dans un lointain séminaire des Pyrénées ?

Je le décevrai beaucoup... Mais j'hériterai de lui deux marquages au fer rouge : Une certitude religieuse catholique. Un ardent patriotisme et l'orgueil d'être Français, citoyen de la nation la plus éclairée et la plus puissante du monde.


Ma mère me transmettra la vitalité et les instincts paysans de mes vigoureux ancêtres terriens lorrains.

1931 marquera profondément mon imagination lors de l'Exposition Universelle Coloniale de Paris, qui proclama notre génie sur les cinq continents du monde. S’inscrira alors dans mon esprit le rêve de partir pour l'outre mer, vers l’Indochine ou le Maroc. J'avais onze ans.

En dépit de ma ressemblance morphologique évidente avec mon père, c'est le riche sang lorrain qui coule dans mes veines. Je ne serai donc pas un pur esprit...

Entre mes deux parents si dissemblables, l'isolement et la spiritualité de mon éducation feront de moi un jeune garçon farouche, élevé dans l'ignorance de toutes les réalités de la vie, mal dans sa peau et peu préparé à l'existence qui l'attend.

Adolescent de tendance asociale, convaincu de laideur physique et de médiocrité intellectuelle, je me persuaderai que jamais je ne connaîtrai les félicités de l'amour, ni l'exaltation de la réussite sociale. A moins que...

A moins que je ne m'expatrie au delà des mers ! Vers ces terres lointaines, ensoleillées et mystérieuses, où il me sera peut être donné de rencontrer une enivrante Antinéa – réminiscence d’une récente lecture du roman de Pierre Benoît - qui m'aimerait en dépit de tous mes handicaps physiques ! Et peut-être même la fortune ? Ce rêve de départ lointain deviendra une véritable vocation, et il focalisera tous mes espoirs.

A cette époque, une mésentente chronique va s'installer entre mes parents, si différents. Ma mère pleurera très souvent...

Alors je me consacrerai à lui apporter la consolation de la démonstration de toute mon affection exclusive. Et, pour plus tard, je me jurerai de lui apporter tous les bonheurs matériels possibles.

De plus, enclos dans les murs de mon isolement, rejeté par les autres, je me réfugierai dans des rêves romantiques. M'identifierai dans le personnage superbe et mythique de Cyrano de Bergerac :

-" Ne pas monter bien haut, mais seul !

-" Ver de terre amoureux d'une étoile...


Et faisant également mien le voeu du " René " de Châteaubriant :

-"Levez-vous orages désirés, qui devez m’emporter vers les lointains d'une autre vie !


Mes premiers souvenirs du monde extérieur seront les inscriptions d’une France triomphaliste, qui domine le monde par la puissance de son armée.

Oh ! les images et les émotions enregistrées lors du défilé militaire sur les Champs Elysées, pendant la cérémonie du 14 juillet 1925, commémorant la victoire de 1918 sur notre ennemi allemand, juché sur les épaules de mon père, quand je l’entendais chanter à pleins poumons l’hymne national la Marseillaise !

Tout ce que j’avais enregistré à cette époque, contribuait à me conforter ce sentiment de supériorité de mon pays : Le coureur Ladoumègue remportait tous les titres, de même que Rigoulot en haltérophile, Taris en natation, Georges Carpentier en boxe et les tennismans Cochet, Lacoste, Borotra et Brugnon...

Seule, dans mon premier petit livre d’histoire, l’Amérique nous dépassait au niveau industriel et agricol. Mais j’étais pleinement rassuré parce que nous étions, et de très loin, le premier producteur de vin du monde !

Le premier signe qui ébranlera ma sérénité enfantine, je le devrais à ma toute nouvelle collection de timbres... Ceux, en provenance récente d’Allemagne, présentaient des valeurs faciales, au fil des mois, de plus en plus importantes. Certains atteindront même plusieurs millions de marks ! Et j’entendrai dire que l’Allemagne refusait de payer ses dettes de guerre...

D’autres faits altéreront davantage encore ma jeune conscience en éveil : Je pleurerai l’échec et la disparition de nos aviateurs Nungesser et Coli qui avaient tenté de traverser l’Atlantique d’un seul coup d’aile, et regretterai que ce soit l’Américain Lindbergh qui la réussisse. J’avais alors sept ans.

J’entendrai aussi parler, sans bien en comprendre la portée, de plusieurs d’escroqueries bancaires, du krach de la bourse de New York, de la faillite monétaire de l’Allemagne. De sanglantes purges bolcheviques dans la lointaine Russie. De chômage...

En janvier 1931, le Maréchal Joffre, décède. La mort du vainqueur de la bataille de la Marne, celui qui a sauvé la France de l’invasion allemande en septembre 1914, me navrera infiniment...

Parce que mon père lit tous les jours le journal “ Excelsior ” - le seul à publier deux pages de photos commentées - je prendrai l’habitude de regarder celles-ci quotidiennement, et de ce fait, m’intéresser de plus près à l’essentiel de l’actualité.

C’est ainsi que ma mémoire enregistrera d’une part la progression de nos difficultés politiques, et d’autre part la montée en puissance de notre ancien adversaire vaincu d’hier, avec l’apparition d’un nouveau personnage : Adolf Hitler !

Son nom était l’objet de toutes les discussions, tant son ascension politique était fulgurante. A ce point qu’après des élections pour la Présidence en 1933, il deviendra premier Chancelier du Reich en remplacement du maréchal le Maréchal Hindenburg ! De ce jour, il occupera constamment la première place dans l’actualité internationale.

Dès lors j’assisterai à une succession d’événements stupéfiants : L’incendie du Reichstag, l’installation au pouvoir du parti Nazi, les nominations de Goering et von Papen à des postes essentiels, l’affirmation de la supériorité de la race arienne... Enfin l’accession de Hitler au poste suprême de maître absolu de l’Allemagne !

J’avais quatorze ans quand mon père m’emmènera pour la première fois au cinéma sur les boulevards à Paris... Le cinéma existait depuis de très nombreuses années et j’étais le seul de mon école à ne pas le fréquenter, car il redoutait un effet pernicieux des films à la mode sur mon esprit. Mais ce jour-là, il s’agissait d’un film relatant, avec un réalisme extraordinaire, la grande bataille de Verdun en 1916.

Quand nous étions sortis, un spectacle extraordinaire nous attendait ! Les boulevards étaient noirs de monde. La foule était dans un état de folle agitation presque révolutionnaire, hommes hurlant des slogans, serrés au coude à coude... Incapables de nous dégager, nous avions été entraînés vers la place de la Concorde où s’opposaient deux manifestations. D’une part celle d’anciens combattants, d’autre part celle de communistes.

Soudain, je vis, venant de la Chambre des Députes, plusieurs centaines de cavaliers de la Garde Républicaine chargeant sabre au clair les émeutiers !

Il y eut seize morts et cinq cents blessés ! Ces images de violences et de désordres populaires, joints à la fureur aveugle de la foule, s’inscriront à vie dans ma mémoire.

De même que la grande colère de mon père, en mars 1936... Ce jour- là il martèlera de son poing la table où se trouvait son journal ! Celui-ci, sur toute la première page, annonçait que les armées allemandes avaient réoccupé la Rhénanie, et se trouvent maintenant face à nous de l’autre côté du Rhin, sans que nous ayions levé le petit doigt !

J’ai maintenant un peu plus de quinze ans, et je commence à raisonner. Il m’apparaît que ce sont à l’évidence nos désordres politiques et sociaux, qui sont responsables de notre faiblesse, ainsi que la démagogie électorale de la gauche qui pour conquérir le pouvoir promet plus qu’il n’est raisonnable et n’hésite pas à recourir aux conflits sociaux.

En écho à ce sentiment, en avril de la même année, j’assiste au triomphe du Front Populaire animé par le socialiste Léon Blum, qui, devenu Premier Ministre, accorde aux masses ouvrières la semaine de quarante heures et deux semaines de congé payés.

Je compare ces mesures généreuses avec ce qui se passe outre Rhin, où les usines d’armements allemandes travaillent à raison de soixante heures, et sans jamais une seule journée de grève !

En 1937, Hitler recevra à Berlin un autre dictateur italien : Mussolini ; Ils signeront le « Pacte d’acier .

Apparaissent dans les journaux de plus en plus souvent, les noms de Keitel et de Goering, tandis qu’on apprend la construction d’une nouvelle ligne de fortifications allemande le long de nos frontières : La ligne Siegfried.

Au début de l'année 1938, de lourds nuages d'orage s'amassent au-delà du Rhin. Adolf Hitler, ivre de revanche militaire, fanatise l'Allemagne.

A la même époque, la France, surtout depuis le Front Populaire de 1936, sombre dans des désordres politiques et sociaux à répétition, qui ruinent le pays et sa puissance militaire.

Tout cela m’affecte, me démoralise… Et me conforte dans mes projets de départ pour l’outre-mer.

1938 sera une année fatidique !

En mars, Hitler, annexe l’Autriche sans avoir besoin de tirer un seul coup de canon !

La France et l’Angleterre laissent faire...

ire, quelques mois plus tard, le maître de l’Allemagne exige la cession d’une partie de la Tchécoslovaquie, les Sudètes. Allait on enfin réagir ?

Non ! Les ministres, Daladier, et Chamberlain, convoqués à Munich, le fief du Führer, par peur de faire la guerre, « s’aplatiront » une fois de plus !

Mais la fatalité, l'horreur d'un nouveau conflit armé, apparaîtra de manière inéluctable lorsque Hitler, enivré de succès, convaincu de la veulerie de la France et de l’Angleterre, exigera l’annexion de la ville polonaise de Dantzig !

C’en était trop.

Le revolver était armé.

J'avais alors à peine dix-neuf ans.


C'est dans cet état d'esprit d'anxiété générale que le soir du 2 septembre 1939, comme chaque jour après le travail, je m’étais rendu au stade nautique pour la séance d'entraînement d'aviron habituelle.

Il faisait idéalement beau, pas un souffle de vent. Les quatre rameurs de l'outrigger dont je faisais partie frappaient l'eau de leurs avirons en cadence parfaite, projetant rapidement en arrière par de puissantes saccades, le long et fin bateau qui fendait l'onde dans un crissement de tissu.

La puissance du bonheur de vivre, d'être jeune, d'être aimé et d'aimer, m’étreignait de plénitude heureuse

A trois kilomètres en aval de Juvisy, nous avions fait demi-tour pour rentrer. En descente, la vitesse était plus vive, l'effort plus léger. Dans la douceur de la soirée d’un proche automne, les berges feuillues défilaient, tandis que le ciel et l'eau s'incendiaient des couleurs du soleil couchant. Tant de beauté m'inondait le cœur d'une joie tranquille. Que les angoisses du monde me semblaient loin !

D'autant plus que nous parvenaient, portées par la brise, les notes mélancoliques du si beau tango :

-" Violetta, chère idole...

Soudain, alors que nous étions en vue du ponton d’arrivée, nous vîmes à contre-jour la silhouette du gardien de la société nautique dont les bras s'agitaient comme des sémaphores. Brutalement, sa forte voix nous parvint :

-"Rentrez vite les garçons, la guerre est déclarée!

Contraste déchirant entre la sérénité parfaite d'un paysage romantique, et l'annonce du déclenchement d'un cataclysme épouvantable !

Déjà les divisions blindées allemandes avaient envahi la Pologne...

Mes parents en 1939

...en 1939

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Maurice NONET
Dernière modification le : March 02 2007 14:00:45.
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